18951025 - Le Courrier de Tlemcen - La médaille de Madagascar

18951020 - Le Petit Journal Illustré - Prise de Tananarive

18951019 - Le Monde illustré - A Madagascar.

 

A Madagascar.


C'est encore une triste scène de l'expédition que nous montrons aujourd'hui, avec ce transport de soldats malades dirigés sur les sanatoriums, et destinés à être rapatriés. Mais au lendemain de la victoire si chèrement achetée, maintenant que le drapeau français flotte sur Tananarive, occupée par nos troupes, il est permis d'oublier pour un instant tout ce qui est venu assombrir cette conquête, pour n'en plus considérer que les heureux résultats.

C'est à la date du 11 octobre, que les ministres se sont réunis, à neuf heures, en conseil de cabinet, au Ministère des finances, sous la présidence de M. Ribot, et dès le début de la réunion, le général Zurlinden, ministre de la guerre, a donné communication du télégramme suivant, adressé au gouvernement par le colonel Bailloud, directeur des étapes du corps expéditionnaire, et arrivé à Paris à huit heures et demie du matin :

« Majunga, 10 oct. 1895, 7 h. 15 m. « Je reçois à l'instant l'avis officiel suivant daté d'Andriba, 9 octobre : « Après un action brillante, Tananarive a été occupée le 30 septembre. Les négociations pour la paix ont été commencées le 1er octobre et ont abouti dans la soiré du même jour, sous réserve de la ratification par le gouvernement de la République.

Le général Metzinger est nommé gouverneur de Tananarive. »


Ce télégramme a été immédiatement communiqué au président de la République, puis aux présidents du Sénat et de la Chambre des députés.

Le gouvernement a décidé que le ministre de la guerre enverrait au général Duchesne le télégramme suivant : « Au nom de la France entière, le gouvernement de la République vous adresse ses félicitations ainsi qu'aux officiers, sous officiers et soldats des armées de terre et de mer. Vos admirables troupes, celle de la vaillante colonne de Tananarive comme celles qui gardent vos communications après les avoir ouvertes au prix d'efforts inouïs, toutes ont bien mérité de la partie. La France vous remercie, général, du service que vous venez de rendre et du grand exemple que vous avez donné. Vous avez prouvé une fois de plus qu'il n'est pas d'obstacle ni de péril dont on ne vienne à bout avec de la méthode, du courage et du sang froid.
Vous êtes nommé grand-officier de la Légion d'honneur. Envoyez sans tarder vos propositions de récompenses. Le gouvernement proposera au Parlement la création d'une médaille de Madagascar qui sera donnée à toutes vos troupes. »

Le prince Rahamatra. — Notre correspondant de Toulouse, M. Massip, nous communique un portrait de l'un des chefs de l'expédition malgache, le prince Rahamatra, neveu de la reine de Madagascar, qui passa quelques mois dans la Haute-Garonne, en qualité de lieutenant auxiliaire au 83e de ligne.


C'est donc chez nous qu'il a appris à nous combattre, et c'est en qualité de général des troupes malgaches qu'il a essuyé une défaite à Kinajy et sur les croupes de l'Ambohimena, où l'armée qu'il commandait a été mise en déroute.

La marche rapide de notre colonne n'a pas permis aux Hovas de concentrer des forces sur les diverses positions où le gouvernement de Madagascar avait fait exécuter des travaux de défense considérables, notamment dans la plaine de Babaz, qui fut occupée sans coup férir, le 25 septembre.

La marche sur Tananarive n'a d'ailleurs été qu'une suite de combats, et nous n'avons pu nous approcher qu'en enlevant position après position.

La résistance des Hovas a été acharnée. Tananarive était défendue par 15,000 hommes, dont 7,000 armés de fusils et de nombreux canons.

Le 30, après avoir éteint successivement les feux des batteries avancées, nous prenions position vers deux heures, sur les hauteurs voisines et bombardions le palais occupé par la reine et le premier ministre.

Après une heure d'un bombardement efficace, le drapeau blanc fut arboré sur le palais et des parlementaires se présentèrent devant nos lignes pour annoncer la soumission.

Les troupes entrèrent dans Tananarive à six heures.

Nous avons eu 50 blessés, dont 4 officiers et 7 morts.

18951019 - Le Gaulois

18951013 - Le Gaulois

18951012 - Le Monde illustré - A MADAGASCAR - L'observatoire royal de Tananarive.

 

L'observatoire royal de Tananarive.

 

 

Une dépêche de source anglaise, envoyée par voie de terre, de Tananarive à Vatomandry, portée par vapeur de Vatomandry à Maurice, et câblée de Maurice à Londres, annonce que l'observatoire royal de Tananarive a été démoli.


Cet observatoire se dressait à deux kilomètres à l'Est de Tananarive, sur la colline d'Ambohidempona, une colline de 50 mètres moins haute environ que la colline ou est assis le palais de la reine, qui domine tout.

Ce sont les pères jésuites qui ont construit cet édifice, sur un terrain prêté par la reine des Hovas : ils avalent été contraints de donner à leur observatoire le titre de « royal », ce qui signifie qu'aucune initiative « française » n'eût été tolérée par le premier ministre ; en cette circonstance, comme en tant d'autres, la résidence générale s'était pliée aux volontés du dictateur Hova.

J'ai visité cet observatoire, qui m'a semblé très bien compris et très bien installé. Il avait un défaut, il est vrai. Sa coupole mobile avait été mal calculée ; elle ne reposait pas sur ces rainures et ne pouvait fonctionner, ce qui empêchait toute exploration du ciel et toute étude astronomique.

Mais les Pères, à défaut des astres, étudiaient les vents, la température, la pluie, tout ce qui relève de la météorologie.

Ils avaient de très nombreux et très précis instruments : des baromètres et des barographes, des thermomètres et des géothermomètres, pour connaître la chaleur du sol à certaines profondeurs, des pluviomètres et des évaporomètres, des héliographes pour calculer le nombre d'heures et de minutes pendant lesquelles le soleil a brillé sur l'horizon durant la journée, des néphoscopes pour déterminer la direction des nuages, des anémomètres, actinomètres et actinographes, psychromètres et psychrographes.

J'ai vu fonctionner tous des appareils et constaté avec quel soin scrupuleux les préposés aux observations notaient à tout moment les résultats obtenus.

A quel mobile ont obéi les Hovas en détruisant cet édifice ? Ont-ils voulu raser un monument qui leur semblait s'élever trop orgueilleusement en face le palais de leur souveraine ? Ont-ils voulu atteindre les Français en jetant bas ce bâtiment « royal » ? Est-ce la superstition qui a frappé la science ? N'est-ce pas le perfide conseil de quelque rancune qui les a dirigés ?


HENRI MAGER.


*
*  *


« La dépêche qui annonçait la destruction de cet édifice, portait la date du 23 septembre. En voici la teneur : « Les Français sont à trente milles de la capitale et s'avancent vivement. Le cimetière anglais et l'observatoire français ont été détruits.

« La reine a prononcé un discours dans un kabary : « Les Français sont près de vous, a-t-elle dit ; vous avez dit que vous combattriez pour moi, mais vous n'avez pas combattu. Je ne fuirai pas: je mourrai dans mon palais. »

« Les Hovas s'apprêtent à tenter une dernière défense à Ambohimanga. »

D'autre part, l'amiral Bienaimé vient de télégraphier, par la voie de Zanzibar, qu'il est arrivé le 29 septembre, sur le Primauguet, devant Tamatave.

Les communications de Tamatave avec Tananarive étaient complètement coupées, et une action énergique est nécessaire pour pouvoir coopérer par la voie de Tamatave, comme l'a demandé le général Duchesne, au ravitaillement du corps expéditionnaire à Tananarive.

Cette opération, qui est peut-être exécutée à l'heure actuelle, devait avoir surtout pour objectif le fort de Mankajadrianombana (Farafate) où. depuis le mois d'août, le général Rainandriamampandry a fait exécuter des travaux importants.

Comme la garnison de Tamatave, qui est sous les ordres du colonel Giovellina, a été très éprouvée, l'aviso le Papin, qui se trouvait le 25 septembre à Zanzibar, attendant des instructions du gouvernement, a dû recevoir à ce moment l'ordre d'aller prendre des troupes de renfort à l'île de la Réunion.

18951005 - Le Monde illustré - A MADAGASCAR

 

A MADAGASCAR

 

 

A l'heure où les nouvelles de l'expédition sont un peu meilleures, et où l'on annonce, prématurément sans doute, que peut-être le drapeau français flotte déjà au faîte du palais royal de Tananarive, ce sont pourtant encore des scènes de tristesse que nous avons à montrer, avec le transport de malades sur Marololo. C'est là que l'on embarque les moins atteints, et que l'on dirige sur différents sanatoria ceux qui ne pourraient pas supporter le voyage.

Nous montrons aussi l'hôpital n° 3 à Suberbieville, dont l'installation est insuffisante, d'après les dernières notes de notre envoyé spécial.

Voici en outre un convoi de bœufs dirigés sur Andriba, et destinés au ravitaillement de la colonne légère, en marche sur Tananarive.

D'après les dernières dépêches, l'état des troupes serait satisfaisant, et l'espoir d'une solution définitive et prochaine aurait relevé le moral des soldats, si déprimé par l'inaction et par le spectacle de la maladie qui a fait tant de ravages déjà.

Nos lecteurs sont au courant, grâce à la très curieuse et dernière lettre de M. Tinayre, du différend survenu entre le général Duchesne et les correspondants des journaux français attachés à l'expédition.

On sait que seul, un représentant de la presse allemande, M. Wolf a été autorisé par le chef de l'expédition, à suivre l'armée dans sa marche sur Tananarive.

Une de nos gravures représente cet étranger si favorisé, et dont la présence auprès de nos troupes, au moment où l'on évince nos collaborateurs a justement étonné chacun.

Notre confrère M. Jacques Sincère a signalé dans le Figaro, et sous ce titre : Une faute, ce fait tout à fait singulier et sur lequel il appelle tout particulièrement l'attention. « M. Eugène Wolf, correspondant du Berliner Tageblalt, marche avec l'état-major général; il dîne avec les chefs de la colonne, les invite à dîner à son tour; en un mot, il est dans l'intimité du général Duchesne.

« On ne peut évidemment pas demander au général Duchesne d'avoir lu les journaux allemands depuis une dizaine d'années. Ce n'est pas son métier, et il faut l'en féliciter, car lire les journaux d'outre-Rhin est rarement une besogne agréable. Il serait ridicule de demander à un journal allemand de sans cesse être plein d'éloges pour nos faits et gestes. Il serait vraiment pénible qu'on nous louât toujours à Berlin, et je ne songe pas à faire un crime au Berliner Tayeblatt d'avoir en maintes occasions été injuste pour nous : c'est l'habitude des journaux allemands.

Mais enfin, le général Duchesne aurait pu et du s'enquérir du rôle joué à Madagascar et ailleurs par M. Eugène Wolf, qui est plutôt un explorateur qu'un journaliste. Et quel explorateur » !

« Il a été à Zanzibar, il a pris des notes de tout genre, qui ont été en partie publiées. Il a donné des notes commerciales tout à fait remarquables et qui ont été pleines d'incontestable utilité pour le négoce allemand. Il a porté son enquête sur d'autres points de l'Afrique, car il est un des partisans les plus convaincus de l'expansion coloniale de son pays.

Enfin, il est arrivé à Madagascar et delà, il a envoyé à un journal, le Berliner Tageblatt, des articles qui se résument en ceci : « Ne faisons pas d'opposition à l'expédition française, car, en l'état actuel des choses, Madagascar est fermée à notre commerce. Quand les Français auront ouvert ces marchés, nous profiterons de la situation, car les Français ne sont pas colonisateurs.

« Or, comme le général Duchesne a empêché les journalistes français de suivre le quartier général, et comme il est certain qu'aucun de nos quatre confrères qui suivent l'armée n'a habité Madagascar depuis un an, et n'est outillé comme M. Wolf, il advient que les Allemands seront informés beaucoup plus vite, et surtout beaucoup plus sûrement que nous, de ce que Madagascar peut produire et de ce que l'on peut y exporter.

«Je demande si c'est là le but poursuivi, et si c'est pour le plus grand bien des maisons de Hambourg qu'on a organisé l'expédition.

« Le mal est fait. Il n'y a donc pas à prendre de mesures contre M. Wolf — et personne ne songe à les demander. Mais on ne peut pourtant pas s'empêcher d'éprouver un certain mouvement d'humeur en constatant que, là où la presse française a eu toutes les peines à n'arriver qu'à rien savoir, un journal allemand a eu toutes les facilités pour être informé, trois ou quatre jours avant nous, de ce que font les braves petits troupiers du pays de France « Nous étions déjà habitués à voir tous nos minis- tres recevoir les correspondants étrangers ; mais vrai on pouvait espérer que cette habitude là, on ne l'avait pas dans l'armée. »

18951001 - Le Messager de l'Ouest - L'Armée coloniale.

 

L'Armée coloniale.

 

 

Il a fallu la funèbre expérience de Madagascar, pour que l'on se rende compte en haut lieu, de l'impossibilité absolue de faire campagne aux colonies avec des troupes non préparées par un long entraînement et par un séjour prolongé sous un climat se rapprochant de celui de nos colonies.

La commission du budget réunie sous la présidence de M. Lockroy a entendu le rapport du budget du ministère de la guerre, qui préconise la formation d'une armée coloniale exclusivement composée des troupes d'Afrique, dont une partie rentrerait en France, tandis que l'autre réorganisée avec les cadres des troupes coloniales actuelles formerai! le noyau de la future armée.


Ces troupes seraient placées sous les ordres du Ministre de la guerre et se recruteraient par voie, d'engagements avec prime.

La commission du budget est entièrement favorable à ce projet : il reste à entendre le ministère de la guerre et celui de la marine.

Espérons que ces deux honorables ne s'opposeront pas à l'établissement et à la réalisation de cette loi, comme ils s'opposent actuellement à l'engagement pour la durée de la guerre d'une foule d'anciens soldats qui ne demandent qu'a marcher, et que ni les nouvelles alarmantes au point de vue sanitaire ni les fatigues n'arrêtent..

Que voulez-vous,on a voulu prouver au monde entier que nos petits soldats de France chasseurs et lignards avaient autant de sang dans les veines que nos vieilles troupes d'Afrique ou de la Marine et que leur courage était égale à celui des légionnaires et des marsouins. Certes il y a longtemps que nous savons que nos soldais de France ont autant de cœur que ceux d'Algérie, et, il n'était pas nécessaire pour cela de les envoyer mourir par milliers à Madagascar.

Aujourd'hui que la triste expérience est venue donner une sanglante réponse à ceux qui n'avaient pas assez d'arguments furibonds contre les quelques hommes sensés qui déclaraient que quelle que soit leur bonne, volonté, les troupes de France n'étaient pas aptes pour la guerre aux colonies — la préparation leur manquant. Aujourd'hui dis-je on en revient au projet primitif de 1893.

A cette époque il était question de former l'armée coloniale des seuls volontaires engagés; ou rengagés de leur faire tenir garnison dans notre colonie algérienne, garnison dans les ports mêmes ou à proximité afin de l'avoir toujours sous la main et pouvoir l'embarquer dès la première heure d'un conflit. C'était simple, sensé et facile à résoudre. Le pavé des grandes et. petites villes de France nous verserait du jour au lendemain cinquante mille hommes, robustes, aguerris par les difficultés et les misères de la vie et qui préférant le fusil Lebel à la pince-monseigneur, seraient trop heureux d'endosser l'uniforme militaire.


A l'abri désormais du besoin, tranquille sur le présent, et sans souci de l'avenir dont ils se moquent ; ces hommes seraient admirablement aptes à la guerre aux colonies.

Ne laissant derrière eux peu ou pas de famille, ils envisageront sans regrets et je dirai même avec plaisir l'éventualité d'un conflit colonial qui leur permettrait de secouer le joug de la vie de caserne toujours pesant pour les turbulents.
.
On aurait beaucoup moins de pertes, de non-valeurs les familles ne verraient plus tous les jours quelqu'un des leurs disparaître dans le gouffre colonial.

Si toutes les mères en France sont prêtes à donner leurs enfants jusqu'au dernier pour défendre la Patrie, contre un envahisseur quelconque, elle ne sont, nullement préparées à ces morts lointaines, qui ne leur laissent pas même la consolation de pleurer agenouillées sur une tombe collective ou privée.


Avec le recrutement que je préconise, et auquel on s’était arrêté dès l'abord, la France verrait non sais émotion, certes, mais avec plus de tranquillité, plus de confiance, se dérouler au loin nos actions militaires conséquences naturelles du développement incessant de nos colonies.

Mais il ne faudrait pas que le même député M. Cavaignac, vint encore s'opposer cette fois comme il le fit en février 1893, à l'entrée delà Légion étrangère dans l'armée coloniale; et les éléments qu'ils trouvaient bon à prendre de la façon que j'indiquais tout à l'heure, ne lui paraissent plus utilisables dès que ces éléments ont revêtu la capote du légionnaire.

Il serait vraiment trop facile d'employer constamment les régiments étrangers à batailler, à travers notre domaine colonial et à ne leur accorder aucun des avantages qui pourraient être faits dans la nouvelle loi aux militaires qui s'engageraient dans celle armée.

En vérité on semble ignorer en haut leu que depuis tantôt, quinze ans, la Légion étrangère s'est trouvée sur tous nos champs de bataille lointains et que les routes du Tonkin, du Soudan, du Sénégal, du Dahomey et de Madagascar sont jalonnées des os de ces obscurs, mais à coup sûr héroïques soldats.
A eux tous les devoirs -—j'entends les plus pénibles— la construction des postes, le déboisement toujours si meurtrier, le séjour aux endroits les plus malsains et les plus périlleux; et lorsque le péril est passé, lorsque la buée mortelle montant des terres remuées, a couché sur les flancs une bonne moitié de leur effectif; les légionnaires quittent aussitôt après l'assainissement, le poste qu'ils ont péniblement construit pour d'autres.


Certes, si périlleux qu'il soit, c'est un très grand honneur qu'on leur fait, mais s'ils sont si souvent à la peine et à l'honneur, ne pourraient-ils pas être un peu plus au profil.

Continuera-t-on cette espèce d'ostracisme qui consiste à leur confier tous les devoirs et ne leur accorder aucune faveur.


Nous voulons croire que non; nous pensons que la commission du budget, qui siège au frais sous la voûte du Palais Bourbon, pensera aux légionnaires intrépides, qui, sous un soleil de fou, marchant chaque jour, entreront sous peu et les premiers, j'en suis sûr, à Tananarive.

L. R.

LA REVUE DE SAMEDI

 

 

Samedi à 4 heures de l'après-midi, le 1er Étranger, en tenue de campagne, quittait ses casernes et venait musique et drapeau en tète se ranger sur le plateau dit Village Nègre. nu

Les troupes formant le carré étaient placées dans l'ordre suivant : 1re face, le détachement du Tonkin partant le 6 courant, 2e face, 20e et 19e compagnies; 3e face, 18e et 17e compagnies; 4e face, 15e et 13e compagnies.

Pour celle revue le Dépôt avait versé ses hommes instruits dans les autres compagnies.


Cette formation était à peine prise que M. de Villebois-de-Mareuil paraissait sur le terrain.

Aussitôt la musique joue la marche du régiment et le colonel monté sur un superbe cheval, passe au petit trot devant le front des troupes qui sont au port-d'armes.

La revue terminée, les troupes sont massées en colonne double sur trois côtés, tandis que les parlants remontant le terrain viennent se placer au centre de cette formation.

Le colonel s'est alors avancé et a fait ses adieux aux tonkinois, dans ces termes :

Vous avez raison de vouloir agrandir le cercle de votre horizon du monde, raison de vous précipiter aux terres de rêve, vouées aux impérissables magnificences des ivresses ininterrompues du soleil, où le sol ne mesure plus son effort, la végétation sa sève, la vie sa fécondité créatrice. Les yeux habitués à des cieux plus rudes,contemplent, dans un saisissement, d'extase, ces plages enchanteresses, où le nappe d'azur diamantée de rayons se fond avec cette autre mer de verdure frissonnante,aux palmes étagées, aux feuilles invraisemblables aux lianes débordantes, et ils comparent étonnés l'éblouissante vision à celle bien pâle du pays de là-bas qu'ils gardent en leur profondeur de souvenir.

Dieu, cependant, a fait à chacun sa part.

Il a voulu que, sous les climats de fer, se trempassent, les énergies victorieuses, que la force d'activité fut en rapport avec la lutte pour la vie, que la marche ascendante de la civilisation se fit sous la morsure de la nécessité, et alors, en ces hommes des races de conquêtes, des races d'En avant, ces innombrables populations adonnées à la joie de vivre, dans l'éternel été de leur flore privilégiée, ont reconnu des maîtres; l'Occident, a mis la main sur l'Orient. Ce n'est, pas le triomphe violent d'une force sur une faiblesse — les actes de simple force n'ont pas de longs prolongements d'avenir, — c'est, sous la pression des intérêts d'expansion, la diffusion de lumières d'une humanité incomplètement développée.

Je vous conjure donc de ne pas oublier votre rôle de civilisateurs, de vous rappeler qu'étant les forts vous devez être bons, de vous convaincre que la justice et le respect du droit sont par excellence l'apanage de l'être d'élite, et qu'il vous est interdit de les violer, sous peine de porter atteinte à la civilisation même dont vous êtes les missionnaires. Songez encore que plus haut l'on est, en spectacle à d'autres êtres, moins on peut faillir, et qu'aux représentants de l'idée resplendissante du progrès humain, il n'est pas permis de déchoir.

Et lorsque, aux lointains de cet Extrême-Orient, vous aurez accompli votre œuvre de soldats et de civilisés, que vous aurez dépensé votre grandeur morale, fatigué votre énergie physique, vous tournerez vos regards avec bonheur vers cette belle Algérie que vous allez quitter et dont, l'attirance reste invincible au cœur qui a subi son charme. Elle vous tiendra toujours ses hospitalières promesses. Terre de rêve aussi elle, d'un rêve moins éblouissant peut être, mais si doucement captivant, avec sa brise de Méditerranée tempérant les ardeurs sahariennes, ses cultures luxuriantes, le resplendissement de son firmament d'Orient; terre d'incomparable poésie jusqu'en son désert, terre de liberté et aussi de cordialité ! Quand on la blasphème, elle n'a qu'à s'offrir, comme Phryné, dans la beauté de sa forme, à ses accusateurs, pour les atteler au char de sa fortune.

A votre retour, vous retrouverez son climat reposant, son abondance, et les mains tendues de ceux de votre race dont, vous aurez regretté plus d'une fois la bienfaisante étreinte. Je vous souhaite ce retour à tous, et vous enveloppe tous également dans une paternelle pensée d'affection.

Dans ces adieux où l'éloquence le disputait au plus pur patriotisme, le Chef du régiment, emporté peut-être par la vision des gloires futures de notre armée, s'est élevé à des hauteurs où rarement nos officiers viennent chercher le sujet des ordres du jour aux troupes placées sous leur commandement.

Un chef qui comprend de telle façon le devoir militaire, peut tout demander de ses hommes et tenter avec eux l'impossible.

Un défilé a terminé celle revue pendant laquelle huit hommes indisposés par la chaleur ont dû quitter les rangs. Sept étaient de la 20e compagnies ce fait n'a rien d'étonnant cette compagnie ayant mis sac au dos une bonne heure avant les autres ce pour aller chercher le drapeau.


Prévenu aussitôt, M. le Médecin-Major du régiment leur a donné les soins que ces indispositions toutes légères demandaient et bientôt la moitié reprenaient leurs places dans les rangs tandis que les autres dirigés sur l'infirmerie y étaient l'objet de soins particuliers.

 

Pour les manœuvres

 

 

— Lundi, à 4 heures, la 13e compagnie, capitaine Muller, est allé cherché le drapeau du régiment et l'a déposé à la Salle d'Honneur.

— Ce matin à 6 h. les 6 compagnies du 1er Étranger, stationnées à Bel-Abbès ont quitté la ville pour se rendre aux grandes manœuvres qui vont se dérouler autour de Saïda.

— Après les manœuvres, la 17e compagnie du 1er Étranger sera dirigée directement sur Daya et Bedeau pour tenir garnison.

 

Mutations

 

 

Par décret du 21 septembre, M. Jonnell sous-lieutenant, au 1er Étranger, a été nommé lieutenant et maintenu au corps.

— M. Evrard, médecin-major de 1re classe au 1er Étranger est désigné pour le 146e de ligne.

— M. Carrière, médecin-major de 1re classe au 128e de ligne passe au 1er Étranger.

l - M. Gorbel, médecin-major de 1re classe au 2e Étranger, assurera le service de santé de la 3e brigade d'Algérie pendant les grandes manœuvres.

18950929 - Le Messager de l'Ouest - L'Armée coloniale.

 

L'Armée Coloniales

 

L'expédition de Madagascar où nos malheureux soldats, peu habitués aux climats chauds, tombent comme mouches, moissonnés par la fièvre avant d'avoir aperçu un ennemi qui recule toujours, met une fois de plus en évidence l'urgente nécessite de cette armée coloniale si indispensable au développement et à la défense de notre empire coloniale.

Les expéditions de l'Angleterre dans ses immenses colonies, nous démontrent que nos voisins, sur ce point, savent mieux faire que nous. S'agit-il de reculer les frontières de l'Inde ? L'armée coloniale anglaise fournit immédiatement les contingents nécessaires. Survient-il une révolte ? Les contingents coloniaux des environs fortement encadrés dans de solides éléments anglais, le plus souvent nés dans la colonie, a vite raison de la rébellion.

Un rédacteur du Matin a eu l'excellente idée d'interviewer le général Dodds, esprit essentiellement expert en la matière. Le général qui au cours de l'expédition du Dahomey a pu apprécier les divers éléments militaires placés sous ses ordres, a très nettement dit toute sa pensée.

— Je pense a-t-il dit, qu'il serait grand temps d'en finir, une fois pour toutes, avec cette question, souvent agitée, jamais résolue. Une armée coloniale s'impose ; le pays l'attend et l'armée la désire. Nous l'appelons de tous nos vœux et nous ne comprenons pas qu'on nous en fasse attendre si longtemps la création.

Et comme notre confrère lui faisait observer que ces lenteurs sont peut-être dues au conflit très connu de la Guerre et de la Marine. '

— Je n'ai pas à envisager cette hypothèse, a répondu le général.

Que ce soit la Guerre ou que ce soit la Marine qui ait la direction de l'armée coloniale, peu importe, pourvu que cette armée existe. Outillée d'une façon parfaite pour les expéditions spéciales, aguerrie, habituée aux climats meurtriers ; enfin placée sous l'unité de commandement, l'armée coloniale serait, dans ses mains, une arme formidable. Avec elle, les expéditions seraient rondement menées et bien moins coûteuses qu'elles ne le sont de nos jours.

Ce que dit le général Dodds est l'évidence même et tout le monde le pense. Il n'est pas besoin, d'ailleurs, d'être grand clerc en matière militaire pour comprendre qu'une armée coloniale est indispensable à une nation qui veut conquérir ou conserver des colonies, et qu'une expédition lointaine faite avec des soldats que rien n'y a préparés doit forcément être très coûteuse en hommes et en argent. Tout le monde le sait ; depuis 15 ans, nous passons notre temps à faire la conquête de colonies nouvelles ; depuis 14 ans, la question de l'armée coloniale est posée devant le pays et aussi devant le Parlement. ; au lendemain même de l'expédition de Tunisie, le ministère Gambetta déposa un projet de loi portant organisation de cette armée que nous attendons encore; et la question n'a pas fait un pas malgré les longues études auxquelles se sont livrées les diverses commissions qui en ont été saisies. Les différents, projets dorment paisiblement dans les cartons poussiéreux du ministère.

C'est la rivalité de la Guerre et de la Marine, dit-on, qui est cause de tout le mal. Certains ajoutent même que le Ministère des Colonies mérite sa part de reproches dans l'avortement continu dont on nous offre, en haut lieu, le lamentable spectacle.


Mais les Chambres n'ont-elles pas le droit et le pouvoir de faire taire les rivalités, surtout lorsque ces rivalités finissent par emprunter au dommage qu'elles causent à la Patrie, un caractère véritablement odieux.


STÉRÉO.

1er Étranger

 

M. Ballet-Baz, capitaine au 1er Étranger, passe au 30e d'Infanterie;

M. Houssemont, capitaine au 30e, passe au 1er Étranger;

M. Strudel, lieutenant au 1er Étranger, est mis hors cadres au Tonkin;

MM. Mire et Seindenbinder, lieutenants hors cadres au Tonkin, passent au 1er Étranger.

18950928 - Le Monde illustré - Les sanatoriums de l'Océan Indien.

 

Les sanatoriums de l'Océan Indien.

 

 

Photographies communiquées par M. H. MAGER.

Possédons-nous, dans nos colonies de l'Océan Indien, des sanatoriums, ou tout au moins quelques climats privilégiés où il pourrait être installé des établissements de convalescence ?

Toutes nos colonies de l'Océan Indien jouissent dans certaines parties de leur zone élevée d'un climat réparateur; et les deux plus importantes de ces colonies, Diego-Suarez et la Réunion, ont construit dans les sites les plus favorables des hôpitaux ou des sanatoriums.

Le sanatorium de Diego-Suarez a été installé sur la montagne d'Ambre, à 35 kilomètres d'Antsirane, chef-lieu de la colonie, et a environ 1,300 mètres d'altitude : une piste presque carrossable y conduit ; les charrettes de nos colons peuvent s'y engager sans crainte dans la bonne saison ; mais nous avons peu de charrettes à Diego et comme un seul de nos colons possède une calèche à mules, le chemin se fait presque toujours à cheval, ou en filanzana : le trajet s'effectue en quatre heures.

Notre colonie gérant ses finances avec une parcimonie qui devrait être pour beaucoup un exemple, nous n'avons pas construit un luxueux et coûteux édifice ; nous avons élevé une vaste maison assez semblable à celles de nos colons; cloisons en planches, toiture en tôle ; ce n'est pas très confortable, mais c'est suffisant; d'ailleurs la vue est si belle, si magnifique, dominant toute la baie de Diégo-Suarez qui apparait dans son admirable ensemble, embrassant au loin tout le Nord de Madagascar, qu'on domine comme des cieux; puis cet air élevé est si pur.

Il n'y a nulle part sur notre terre d'aussi belle retraite : on vante parfois le Peak-Victoria de Hong-Kong : le Peak-Victoria a un double orgueil, il est vrai : on y accède en funiculaire, on y trouve des hôtels, qui quoique anglais, savent accommoder quelques plats; pour la montagne d'Ambre, certes pas de chemin de fer, pas d’hôtels : mais l'isolement est un grand charme et notre montagne avec sa verdure, ses eaux qui bruissent, sa brise qui fouette, son beau ciel tout proche, son horizon lointain sans limite, est sans rivale : on y est au dessus de la ville et des villages, on les voient à ses pieds, loin, bien loin et petits.

Ce n'est pas cher, non plus : le budget local ne demande pas 9 francs par journée, là-haut; le tarif des chambres est de 1 franc 50 cent. pour les officiers et les fonctionnaires, de 2 francs pour les particuliers.

Nous n'aurions pu loger là, malheureusement, tous les malades du corps expéditionnaire. D’ailleurs le cyclone de 1894 a mis à mal notre frêle bâtiment , qui n'est plus guère qu'une épave; mais la montagne d'Ambre a un large sommet et il eût été facile d'y construire en quelques jours des casernements assez vastes pour un millier d'hommes, pour deux mille s'il eût fallu : nos entrepreneurs d'Antsirane avaient des matériaux en réserve et des ouvriers plus qu'il n'en fallait : le travail pouvait être mené rondement.

La commission militaire chargée par ministère de la guerre de choisir un emplacement pour le grand sanatorium du corps expéditionnaire n'a pas visité la montagne par le fait d'un simple hasard : il pleuvait le jour où la commission se mit en route pour la montagne : elle s'arrêta au sixième kilomètre, dans les casernements de Mahatsinzoarivo, et se contenta d'étudier la montagne d'Ambre avec ses lorgnettes.

La montagne d'Ambre avait d'incontestables avantages sur Nosy-Komba, qui, à tous les points de vue, fut un détestable choix : les navires, qui transportent les malades à Nosy-Komba n'auraient eu que six heures de route à faire en plus pour atteindre les côtes voisines de la montagne, au sud ou au nord du cap Saint-Sébastien ; sur cette côte, affirme le commandant Jehenne, les brises sont modérées, la mer est toujours belle, et les mouillages sont nombreux.


Plus de douze sentiers indigènes, relevés par notre service des Travaux, conduisent vers le sanatorium : on s'en serait servi ; ils sont durs, mais ils ne sont pas impraticables ; on les aurait améliorés ensuite.

Le service de l'artillerie a déjà effectué dans la colonie des travaux considérables, entre autre la voie ferrée, qui partant du port, gravit les flancs du plateau et s'étend jusqu'à Mahatsinzoarivo : il eût pu, sans grands efforts, améliorer les chemins de la vallée de l'Irognogno ; à son défaut notre Service des travaux, qui a fait ses preuves en construisant le premier tronçon de la route d'Antsirane à Anamakia eût pu être chargé du travail.

Les fiévreux et les anémiés du corps expéditionnaire se seraient guéris en trois ou quatre semaines ; ils auraient ensuite gaillardement supporté la traversée du retour en France.


*
* *


Si les travaux qu'il eut fallu effectuer à Diego-Suarez pouvaient fournir prétexte à hésitation, la Réunion, elle, pouvait recevoir des milliers de malades dans les locaux existants.

A Saint-Denis, chef-lieu de la Réunion, il y a une caserne immense, ou mille hommes peuvent tenir à l'aise; elle est aujourd'hui déserte.

Pourquoi ne pas l'avoir transformée en hôpital ? En hôpital-annexe du grand hôpital militaire, qui est bâti tout proche, sur l'autre bord de la rivière.

Qu'on ne dise pas que la Réunion est un pays de fièvres, où il faut se garder d'aller.

Bien des métropolitains et bien des créoles ont déjà senti à Madagascar, avant cette expédition, les atteintes de la fièvre malgache ; ils sont toujours revenus à la Réunion pour se remettre ; et ils avaient la constante habitude de demeurer en ville (à Saint-Denis) une quinzaine avant de gagner les hauts, les brûlés, les plaines et les cirques.

Nos soldats se seraient donc très bien trouvés du séjour de la Réunion, en affectant à leur usage la caserne, les bâtiments de l'artillerie, divers autres bâtiments cédés avec enthousiasme par les municipalités: il en aurait été logé et soigné de 3,000 à 4,000 dans les parties basses : ceux dont l'état aurait nécessité plus de soins auraient été transportés dans les Hauts, à Salazie, où il y a un hôpital militaire, à Cilaos, à la plaine des Palmistes, où il y a des baraquements militaires, si je ne me trompe, à Saint-François, dans tous les édifices coloniaux et dans les maisons que les particuliers auraient cédées.

A Salazie et à Cilaos ! Quelles ravissantes stations ! Le cirque de Salazie est situé à 52 kilomètres de Saint-Denis; on s'y rend en chemin de fer de Saint-Denis à Saint-André et en diligence de Saint-André au village qui est à 872 mètres d'altitude; l'hôpital militaire et le centre d'Hellbourg sont au delà sur un plateau de 919 mètres d'altitude; une source minérale y a été découverte en 1831 par des chasseurs de cabris; elle a été captée en 1852 et 1853; sa température est de 32° centigrades ; son goût est aigrelette.

Le climat de ce cirque est si délicieux et l'accès en est si facile que les Bourbonnais y vont en foule pendant la saison d'hivernage et plus particulièrement du 15 septembre au 15 décembre; c'est-à dire en ce moment même ; les Mauriciens, qui n'ont pas dans leur belle Ile de France des lieux si charmants y affluent plus nombreux encore que les Bourbonnais.

LES SANATORIUMS DE LA RÉUNION. — L'ÉTABLISSEMENT THERMAL DE SALAZIE ET L'HÔPITAL MILITAIRE.

Pourquoi nos soldats n'iraient-ils pas là ? Si l'hôpital militaire ne peut en hospitaliser qu'une centaine, un millier peuvent être logés dans les maisons privées, car Salazie n'est pas un désert ; ce district compte plus de cinq mille habitants, et certaines maisons du village sont grandes, spacieuses et coquettes, à en juger par les belles photographies que nous publions.

Cilaos, avec ses sources thermales de 34° à 39°, n'est pas moins pittoresque que Salazie; l'accès en est peut-être moins facile et plus long, mais les cures y sont, dit-on, plus merveilleuses.

Est-il bien nécessaire, après ces constatations, de formuler la conclusion ?


HENRI MAGER.
Délégué de Diégo-Suarez

 

A Madagascar.

 

Les lenteurs cruelles de cette interminable expédition, et les nouvelles désastreuses que l'on se décide enfin à nous communiquer dans toute leur douloureuse exactitude, sont à l'heure présente l'objet de toutes les préoccupations. Tous les regards se tournent vers cette île lointaine au climat meurtrier, toutes les pensées s'y transportent anxieuses, et l'on se demande comment on a pu se lancer avec tant d'imprévoyance et de légèreté dans cette funeste campagne, dont l'issue sera l'évidente victoire, si retardée soit-elle, mais à quel prix, puisqu'elle aura coûté la vie à tant de pauvres enfants dont nous avons salué le départ triomphal, il y a quelques mois, et qui dorment maintenant au fond de l'immense océan où l'on a jeté leurs cadavres.

Une lettre de notre envoyé spécial, M. Louis Tinayre, donnera mieux que nous ne le pourrions faire, une idée de ce qui se passe là-bas, et de ce qu'il y voit journellement. En voici quelques fragments, se rapportant à celui de ses dessins que nous publions aujourd'hui :

 

Suberbieville, 20 août 1895.


« Je vous envoie des dessins et une série de photographies, sur les seuls événements du moment.

« En effet, toute la colonne expéditionnaire est transformée en un immense convoi, soit de vivres, soit de malades. Tous les efforts du général Duchesne tendent à concentrer des vivres vers Andriba qui est le point d'où partira la colonne légère pour la conquête et l'occupation de Tananarive. Selon les prévisions, on pense prendre Andriba (où les Hovas se sont retranchés), vers le 25 août : dix jours pour organiser la colonne légère, et vingt jours de marche pour atteindre le but; de sorte qu'à la fin de septembre, si toutefois les prévisions sont justes, la campagne sera virtuellement terminée, tout au moins pour cette année.

« Mais, si le général arrive à Tananarive fin septembre, il n'en sera pas de même pour mes confrères et moi, car nous avons reçu par ordre du général la lettre suivante :

 

Camp de la Côte 750 18/8/95.

CORPS EXPÉDITIONNAIRE de MADAGASCAR

Le chef d'état-major

Cher monsieur.


Le général en chef, à qui j'ai soumis votre lettre du 14, me charge de vous informer qu'il ne verra pas d'inconvénients à ce que vos confrères et vous suiviez jusqu'à Andriba (qu'il compte avoir atteint avant la fin du mois) les troupes de la colonne.

Mais il est encore trop incertain des conditions dans lesquelles s'exécutera la marche ultérieure en avant, et des moyens qu'il devra employer en vue d'assurer le ravitaillement des unités de l'avant, pour pouvoir s'engager à entretenir dans la colonne réduite qu'il compte emmener ce que vous me permettrez d'appeler des bouches militairement inutiles. Donc, cher monsieur, toute liberté de manœuvre pour chacun de vous jusqu'à Andriba.

Mais, nulle assurance que vous puissiez ensuite pousser en avant jusqu'à ce que nous soyons arrivés à Tananarive; après quoi, nous espérons bien que les routes seront ouvertes largement aux voyageurs.

Veuillez transmettre à vos camarades l'expression de ma très cordiale sympathie.


Torcy.


« Il est vraiment dur pour un correspondant, de se voir arrêter juste au moment où l'intérêt décisif de la campagne va s'engager; et de perdre ainsi le fruit de tant de fatigues subies depuis des mois, dans l'espoir de recueillir, de visu le plus de documents possibles ; mais que faire en présence de la volonté du général Duchesne ? Dans ces conditions, je me trouve bien indécis sur le parti à prendre.


Attendrai-je à Andriba, où l'on manque de tout, et où la dysenterie fait de cruels ravages, ou retournerai-je à Majunga d'où je pourrais aller à la Réunion refaire ma santé bien ébranlée, et y attendre les événements ? Car, il ne faut plus songer à rester longtemps ici, où on en est arrivé à ne plus trouver de bras pour creuser les tombes. J'ai pu résister au climat meurtrier de Suberbieville, pendant bientôt trois mois : mais prolonger ce séjour serait dangereux pour ma vie. « Je vais donc partir pour l'avant ou pour l'arrière; mais il m'est en ce moment impossible de vous fixer à ce sujet, par courrier. Mes confrères, eux. s'en vont tous à l'arrière : Pagès retourne à Paris, en passant par la Réunion; Bourdouresque va se retremper par un voyage en mer autour de l'île, puis repartira pour la France; Fabert, lui, retournera tout simplement à Majunga; seul, Delhorbe (directeur du Comptoir d'Escompte avant d'être correspondant du Temps), attend l'ouverture de la route de Tananarive.

« Dans ces conditions, je me trouve tout seul, si je vois la possibilité de monter.

Je me porte assez bien pour l'instant, quoique la dysenterie ne m'ait pas complètement quitté.

« Mon dessin représente un convoi de vivres, dirigé vers l'avant, c'est-à-dire vers Andriba. Chaque fois que l'on se trouve dans la période de la lune, on en profite pour faire voyager les convois, une partie de la nuit. Cela évite la grande chaleur aux hommes et aux bêtes, et cela sans présenter le moindre danger d'accidents, en raison de la clarté intense que produit ici la pleine lune.


« On peut facilement lire au clair de lune.


« C'est très pittoresque de voir défiler cette longue ligne de voitures dans les sinuosités d'une route montagneuse des plus accidentées. C'est un spectacle d'autant plus impressionnant que la tranquillité et le mystère de la nuit viennent ajouter leur note à la grandeur du tableau.

« On dirait un long serpent sans fin, se déroulant dans le paysage, et marquant ainsi le relief du terrain.

« Quant aux photographies, elles vous diront toute l'impression poignante que vous cause la vue de ces interminables convois d'évacués. Bien que la joie s'exhale de leur bouche, à l'idée qu'on les dirige sur la France, la maladie qui les a marqués de son em- preinte profonde, aura vite raison de ces pauvres gens, et certes, beaucoup d'entre eux ne reverront même pas la mer. Ah ! elle aura coûté cher à la France, cette maudite route.

« Malgré le dévouement des médecins et des infirmiers, qui se tuent, les soins sont presque nuls car dans l'hôpital n° 3 qui ne doit contenir que 250 malades, on en a vu jusqu'à 600, avec 4 médecins seulement pour soigner tout ce monde.

« C'est épouvantable !

« Il faut compter de dix à quinze décès par jour.


« Dernièrement encore, les bras ont même manqué pour creuser les tombes, on a été obligé d'offrir des prix extraordinaires aux Sakalaves pour obtenir leur concours.

« Le pays est toujours désert, et c'est à grand'peine qu'on a pu trouver quelques bras.


« Je m'attendais à recevoir une lettre de vous par ce courrier ; mais il n'y aurait rien d'étonnant à ce que la lettre se soit perdue, parce que la poste est très mal faite, et il ne peut en être autrement.


« Tout le monde est malade, et les sacs passent par tant de mains, que les lettres se perdent à plaisir.


« Le général en chef, pour avoir son courrier se le fait porter par courrier spécial ; mais vous comprenez bien que tout le monde ne peut pas en faire autant. Personne ici ne reçoit son courrier complet.


« Louis Tinayre. »


En raison de la lettre qui lui a été transmise par le chef d'état-major du corps expéditionnaire, et dont on a lu le texte plus haut, M. Tinayre, qui est parti l'un des premiers pour Madagascar et qui reste dernier sur la brèche, avec le correspondant du Temps, se voit désagréablement entravé dans sa mission, et dans l'impossibilité provisoire de poursuivre sa campagne si vaillamment entreprise, et qui nous a valu depuis son origine jusqu'à ce jour, la communication très régulière de documents si fidèles et si originaux.

Tandis que tout le corps expéditionnaire s'est appliqué à témoigner le plus de prévenances possibles aux journalistes accrédités, le général Duchesne ne se doit-il pas à lui-même de faire mentir l'opinion répandue depuis longtemps, de son aversion pour la presse en général, et pour les journalistes en particulier.


Il faut encore espérer que le commandant en chef de l'expédition reviendra sur une mesure essentiellement vexatoire, et qui atteindrait surtout le public avide de renseignements et de documents véridiques sur tout ce qui a rapport à une expédition jusqu'à présent désastreuse et funeste.

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