18950928 - Le Monde illustré - Les sanatoriums de l'Océan Indien.

 

Les sanatoriums de l'Océan Indien.

 

 

Photographies communiquées par M. H. MAGER.

Possédons-nous, dans nos colonies de l'Océan Indien, des sanatoriums, ou tout au moins quelques climats privilégiés où il pourrait être installé des établissements de convalescence ?

Toutes nos colonies de l'Océan Indien jouissent dans certaines parties de leur zone élevée d'un climat réparateur; et les deux plus importantes de ces colonies, Diego-Suarez et la Réunion, ont construit dans les sites les plus favorables des hôpitaux ou des sanatoriums.

Le sanatorium de Diego-Suarez a été installé sur la montagne d'Ambre, à 35 kilomètres d'Antsirane, chef-lieu de la colonie, et a environ 1,300 mètres d'altitude : une piste presque carrossable y conduit ; les charrettes de nos colons peuvent s'y engager sans crainte dans la bonne saison ; mais nous avons peu de charrettes à Diego et comme un seul de nos colons possède une calèche à mules, le chemin se fait presque toujours à cheval, ou en filanzana : le trajet s'effectue en quatre heures.

Notre colonie gérant ses finances avec une parcimonie qui devrait être pour beaucoup un exemple, nous n'avons pas construit un luxueux et coûteux édifice ; nous avons élevé une vaste maison assez semblable à celles de nos colons; cloisons en planches, toiture en tôle ; ce n'est pas très confortable, mais c'est suffisant; d'ailleurs la vue est si belle, si magnifique, dominant toute la baie de Diégo-Suarez qui apparait dans son admirable ensemble, embrassant au loin tout le Nord de Madagascar, qu'on domine comme des cieux; puis cet air élevé est si pur.

Il n'y a nulle part sur notre terre d'aussi belle retraite : on vante parfois le Peak-Victoria de Hong-Kong : le Peak-Victoria a un double orgueil, il est vrai : on y accède en funiculaire, on y trouve des hôtels, qui quoique anglais, savent accommoder quelques plats; pour la montagne d'Ambre, certes pas de chemin de fer, pas d’hôtels : mais l'isolement est un grand charme et notre montagne avec sa verdure, ses eaux qui bruissent, sa brise qui fouette, son beau ciel tout proche, son horizon lointain sans limite, est sans rivale : on y est au dessus de la ville et des villages, on les voient à ses pieds, loin, bien loin et petits.

Ce n'est pas cher, non plus : le budget local ne demande pas 9 francs par journée, là-haut; le tarif des chambres est de 1 franc 50 cent. pour les officiers et les fonctionnaires, de 2 francs pour les particuliers.

Nous n'aurions pu loger là, malheureusement, tous les malades du corps expéditionnaire. D’ailleurs le cyclone de 1894 a mis à mal notre frêle bâtiment , qui n'est plus guère qu'une épave; mais la montagne d'Ambre a un large sommet et il eût été facile d'y construire en quelques jours des casernements assez vastes pour un millier d'hommes, pour deux mille s'il eût fallu : nos entrepreneurs d'Antsirane avaient des matériaux en réserve et des ouvriers plus qu'il n'en fallait : le travail pouvait être mené rondement.

La commission militaire chargée par ministère de la guerre de choisir un emplacement pour le grand sanatorium du corps expéditionnaire n'a pas visité la montagne par le fait d'un simple hasard : il pleuvait le jour où la commission se mit en route pour la montagne : elle s'arrêta au sixième kilomètre, dans les casernements de Mahatsinzoarivo, et se contenta d'étudier la montagne d'Ambre avec ses lorgnettes.

La montagne d'Ambre avait d'incontestables avantages sur Nosy-Komba, qui, à tous les points de vue, fut un détestable choix : les navires, qui transportent les malades à Nosy-Komba n'auraient eu que six heures de route à faire en plus pour atteindre les côtes voisines de la montagne, au sud ou au nord du cap Saint-Sébastien ; sur cette côte, affirme le commandant Jehenne, les brises sont modérées, la mer est toujours belle, et les mouillages sont nombreux.


Plus de douze sentiers indigènes, relevés par notre service des Travaux, conduisent vers le sanatorium : on s'en serait servi ; ils sont durs, mais ils ne sont pas impraticables ; on les aurait améliorés ensuite.

Le service de l'artillerie a déjà effectué dans la colonie des travaux considérables, entre autre la voie ferrée, qui partant du port, gravit les flancs du plateau et s'étend jusqu'à Mahatsinzoarivo : il eût pu, sans grands efforts, améliorer les chemins de la vallée de l'Irognogno ; à son défaut notre Service des travaux, qui a fait ses preuves en construisant le premier tronçon de la route d'Antsirane à Anamakia eût pu être chargé du travail.

Les fiévreux et les anémiés du corps expéditionnaire se seraient guéris en trois ou quatre semaines ; ils auraient ensuite gaillardement supporté la traversée du retour en France.


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Si les travaux qu'il eut fallu effectuer à Diego-Suarez pouvaient fournir prétexte à hésitation, la Réunion, elle, pouvait recevoir des milliers de malades dans les locaux existants.

A Saint-Denis, chef-lieu de la Réunion, il y a une caserne immense, ou mille hommes peuvent tenir à l'aise; elle est aujourd'hui déserte.

Pourquoi ne pas l'avoir transformée en hôpital ? En hôpital-annexe du grand hôpital militaire, qui est bâti tout proche, sur l'autre bord de la rivière.

Qu'on ne dise pas que la Réunion est un pays de fièvres, où il faut se garder d'aller.

Bien des métropolitains et bien des créoles ont déjà senti à Madagascar, avant cette expédition, les atteintes de la fièvre malgache ; ils sont toujours revenus à la Réunion pour se remettre ; et ils avaient la constante habitude de demeurer en ville (à Saint-Denis) une quinzaine avant de gagner les hauts, les brûlés, les plaines et les cirques.

Nos soldats se seraient donc très bien trouvés du séjour de la Réunion, en affectant à leur usage la caserne, les bâtiments de l'artillerie, divers autres bâtiments cédés avec enthousiasme par les municipalités: il en aurait été logé et soigné de 3,000 à 4,000 dans les parties basses : ceux dont l'état aurait nécessité plus de soins auraient été transportés dans les Hauts, à Salazie, où il y a un hôpital militaire, à Cilaos, à la plaine des Palmistes, où il y a des baraquements militaires, si je ne me trompe, à Saint-François, dans tous les édifices coloniaux et dans les maisons que les particuliers auraient cédées.

A Salazie et à Cilaos ! Quelles ravissantes stations ! Le cirque de Salazie est situé à 52 kilomètres de Saint-Denis; on s'y rend en chemin de fer de Saint-Denis à Saint-André et en diligence de Saint-André au village qui est à 872 mètres d'altitude; l'hôpital militaire et le centre d'Hellbourg sont au delà sur un plateau de 919 mètres d'altitude; une source minérale y a été découverte en 1831 par des chasseurs de cabris; elle a été captée en 1852 et 1853; sa température est de 32° centigrades ; son goût est aigrelette.

Le climat de ce cirque est si délicieux et l'accès en est si facile que les Bourbonnais y vont en foule pendant la saison d'hivernage et plus particulièrement du 15 septembre au 15 décembre; c'est-à dire en ce moment même ; les Mauriciens, qui n'ont pas dans leur belle Ile de France des lieux si charmants y affluent plus nombreux encore que les Bourbonnais.

LES SANATORIUMS DE LA RÉUNION. — L'ÉTABLISSEMENT THERMAL DE SALAZIE ET L'HÔPITAL MILITAIRE.

Pourquoi nos soldats n'iraient-ils pas là ? Si l'hôpital militaire ne peut en hospitaliser qu'une centaine, un millier peuvent être logés dans les maisons privées, car Salazie n'est pas un désert ; ce district compte plus de cinq mille habitants, et certaines maisons du village sont grandes, spacieuses et coquettes, à en juger par les belles photographies que nous publions.

Cilaos, avec ses sources thermales de 34° à 39°, n'est pas moins pittoresque que Salazie; l'accès en est peut-être moins facile et plus long, mais les cures y sont, dit-on, plus merveilleuses.

Est-il bien nécessaire, après ces constatations, de formuler la conclusion ?


HENRI MAGER.
Délégué de Diégo-Suarez

 

A Madagascar.

 

Les lenteurs cruelles de cette interminable expédition, et les nouvelles désastreuses que l'on se décide enfin à nous communiquer dans toute leur douloureuse exactitude, sont à l'heure présente l'objet de toutes les préoccupations. Tous les regards se tournent vers cette île lointaine au climat meurtrier, toutes les pensées s'y transportent anxieuses, et l'on se demande comment on a pu se lancer avec tant d'imprévoyance et de légèreté dans cette funeste campagne, dont l'issue sera l'évidente victoire, si retardée soit-elle, mais à quel prix, puisqu'elle aura coûté la vie à tant de pauvres enfants dont nous avons salué le départ triomphal, il y a quelques mois, et qui dorment maintenant au fond de l'immense océan où l'on a jeté leurs cadavres.

Une lettre de notre envoyé spécial, M. Louis Tinayre, donnera mieux que nous ne le pourrions faire, une idée de ce qui se passe là-bas, et de ce qu'il y voit journellement. En voici quelques fragments, se rapportant à celui de ses dessins que nous publions aujourd'hui :

 

Suberbieville, 20 août 1895.


« Je vous envoie des dessins et une série de photographies, sur les seuls événements du moment.

« En effet, toute la colonne expéditionnaire est transformée en un immense convoi, soit de vivres, soit de malades. Tous les efforts du général Duchesne tendent à concentrer des vivres vers Andriba qui est le point d'où partira la colonne légère pour la conquête et l'occupation de Tananarive. Selon les prévisions, on pense prendre Andriba (où les Hovas se sont retranchés), vers le 25 août : dix jours pour organiser la colonne légère, et vingt jours de marche pour atteindre le but; de sorte qu'à la fin de septembre, si toutefois les prévisions sont justes, la campagne sera virtuellement terminée, tout au moins pour cette année.

« Mais, si le général arrive à Tananarive fin septembre, il n'en sera pas de même pour mes confrères et moi, car nous avons reçu par ordre du général la lettre suivante :

 

Camp de la Côte 750 18/8/95.

CORPS EXPÉDITIONNAIRE de MADAGASCAR

Le chef d'état-major

Cher monsieur.


Le général en chef, à qui j'ai soumis votre lettre du 14, me charge de vous informer qu'il ne verra pas d'inconvénients à ce que vos confrères et vous suiviez jusqu'à Andriba (qu'il compte avoir atteint avant la fin du mois) les troupes de la colonne.

Mais il est encore trop incertain des conditions dans lesquelles s'exécutera la marche ultérieure en avant, et des moyens qu'il devra employer en vue d'assurer le ravitaillement des unités de l'avant, pour pouvoir s'engager à entretenir dans la colonne réduite qu'il compte emmener ce que vous me permettrez d'appeler des bouches militairement inutiles. Donc, cher monsieur, toute liberté de manœuvre pour chacun de vous jusqu'à Andriba.

Mais, nulle assurance que vous puissiez ensuite pousser en avant jusqu'à ce que nous soyons arrivés à Tananarive; après quoi, nous espérons bien que les routes seront ouvertes largement aux voyageurs.

Veuillez transmettre à vos camarades l'expression de ma très cordiale sympathie.


Torcy.


« Il est vraiment dur pour un correspondant, de se voir arrêter juste au moment où l'intérêt décisif de la campagne va s'engager; et de perdre ainsi le fruit de tant de fatigues subies depuis des mois, dans l'espoir de recueillir, de visu le plus de documents possibles ; mais que faire en présence de la volonté du général Duchesne ? Dans ces conditions, je me trouve bien indécis sur le parti à prendre.


Attendrai-je à Andriba, où l'on manque de tout, et où la dysenterie fait de cruels ravages, ou retournerai-je à Majunga d'où je pourrais aller à la Réunion refaire ma santé bien ébranlée, et y attendre les événements ? Car, il ne faut plus songer à rester longtemps ici, où on en est arrivé à ne plus trouver de bras pour creuser les tombes. J'ai pu résister au climat meurtrier de Suberbieville, pendant bientôt trois mois : mais prolonger ce séjour serait dangereux pour ma vie. « Je vais donc partir pour l'avant ou pour l'arrière; mais il m'est en ce moment impossible de vous fixer à ce sujet, par courrier. Mes confrères, eux. s'en vont tous à l'arrière : Pagès retourne à Paris, en passant par la Réunion; Bourdouresque va se retremper par un voyage en mer autour de l'île, puis repartira pour la France; Fabert, lui, retournera tout simplement à Majunga; seul, Delhorbe (directeur du Comptoir d'Escompte avant d'être correspondant du Temps), attend l'ouverture de la route de Tananarive.

« Dans ces conditions, je me trouve tout seul, si je vois la possibilité de monter.

Je me porte assez bien pour l'instant, quoique la dysenterie ne m'ait pas complètement quitté.

« Mon dessin représente un convoi de vivres, dirigé vers l'avant, c'est-à-dire vers Andriba. Chaque fois que l'on se trouve dans la période de la lune, on en profite pour faire voyager les convois, une partie de la nuit. Cela évite la grande chaleur aux hommes et aux bêtes, et cela sans présenter le moindre danger d'accidents, en raison de la clarté intense que produit ici la pleine lune.


« On peut facilement lire au clair de lune.


« C'est très pittoresque de voir défiler cette longue ligne de voitures dans les sinuosités d'une route montagneuse des plus accidentées. C'est un spectacle d'autant plus impressionnant que la tranquillité et le mystère de la nuit viennent ajouter leur note à la grandeur du tableau.

« On dirait un long serpent sans fin, se déroulant dans le paysage, et marquant ainsi le relief du terrain.

« Quant aux photographies, elles vous diront toute l'impression poignante que vous cause la vue de ces interminables convois d'évacués. Bien que la joie s'exhale de leur bouche, à l'idée qu'on les dirige sur la France, la maladie qui les a marqués de son em- preinte profonde, aura vite raison de ces pauvres gens, et certes, beaucoup d'entre eux ne reverront même pas la mer. Ah ! elle aura coûté cher à la France, cette maudite route.

« Malgré le dévouement des médecins et des infirmiers, qui se tuent, les soins sont presque nuls car dans l'hôpital n° 3 qui ne doit contenir que 250 malades, on en a vu jusqu'à 600, avec 4 médecins seulement pour soigner tout ce monde.

« C'est épouvantable !

« Il faut compter de dix à quinze décès par jour.


« Dernièrement encore, les bras ont même manqué pour creuser les tombes, on a été obligé d'offrir des prix extraordinaires aux Sakalaves pour obtenir leur concours.

« Le pays est toujours désert, et c'est à grand'peine qu'on a pu trouver quelques bras.


« Je m'attendais à recevoir une lettre de vous par ce courrier ; mais il n'y aurait rien d'étonnant à ce que la lettre se soit perdue, parce que la poste est très mal faite, et il ne peut en être autrement.


« Tout le monde est malade, et les sacs passent par tant de mains, que les lettres se perdent à plaisir.


« Le général en chef, pour avoir son courrier se le fait porter par courrier spécial ; mais vous comprenez bien que tout le monde ne peut pas en faire autant. Personne ici ne reçoit son courrier complet.


« Louis Tinayre. »


En raison de la lettre qui lui a été transmise par le chef d'état-major du corps expéditionnaire, et dont on a lu le texte plus haut, M. Tinayre, qui est parti l'un des premiers pour Madagascar et qui reste dernier sur la brèche, avec le correspondant du Temps, se voit désagréablement entravé dans sa mission, et dans l'impossibilité provisoire de poursuivre sa campagne si vaillamment entreprise, et qui nous a valu depuis son origine jusqu'à ce jour, la communication très régulière de documents si fidèles et si originaux.

Tandis que tout le corps expéditionnaire s'est appliqué à témoigner le plus de prévenances possibles aux journalistes accrédités, le général Duchesne ne se doit-il pas à lui-même de faire mentir l'opinion répandue depuis longtemps, de son aversion pour la presse en général, et pour les journalistes en particulier.


Il faut encore espérer que le commandant en chef de l'expédition reviendra sur une mesure essentiellement vexatoire, et qui atteindrait surtout le public avide de renseignements et de documents véridiques sur tout ce qui a rapport à une expédition jusqu'à présent désastreuse et funeste.

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