18951001 - Le Messager de l'Ouest - L'Armée coloniale.

 

L'Armée coloniale.

 

 

Il a fallu la funèbre expérience de Madagascar, pour que l'on se rende compte en haut lieu, de l'impossibilité absolue de faire campagne aux colonies avec des troupes non préparées par un long entraînement et par un séjour prolongé sous un climat se rapprochant de celui de nos colonies.

La commission du budget réunie sous la présidence de M. Lockroy a entendu le rapport du budget du ministère de la guerre, qui préconise la formation d'une armée coloniale exclusivement composée des troupes d'Afrique, dont une partie rentrerait en France, tandis que l'autre réorganisée avec les cadres des troupes coloniales actuelles formerai! le noyau de la future armée.


Ces troupes seraient placées sous les ordres du Ministre de la guerre et se recruteraient par voie, d'engagements avec prime.

La commission du budget est entièrement favorable à ce projet : il reste à entendre le ministère de la guerre et celui de la marine.

Espérons que ces deux honorables ne s'opposeront pas à l'établissement et à la réalisation de cette loi, comme ils s'opposent actuellement à l'engagement pour la durée de la guerre d'une foule d'anciens soldats qui ne demandent qu'a marcher, et que ni les nouvelles alarmantes au point de vue sanitaire ni les fatigues n'arrêtent..

Que voulez-vous,on a voulu prouver au monde entier que nos petits soldats de France chasseurs et lignards avaient autant de sang dans les veines que nos vieilles troupes d'Afrique ou de la Marine et que leur courage était égale à celui des légionnaires et des marsouins. Certes il y a longtemps que nous savons que nos soldais de France ont autant de cœur que ceux d'Algérie, et, il n'était pas nécessaire pour cela de les envoyer mourir par milliers à Madagascar.

Aujourd'hui que la triste expérience est venue donner une sanglante réponse à ceux qui n'avaient pas assez d'arguments furibonds contre les quelques hommes sensés qui déclaraient que quelle que soit leur bonne, volonté, les troupes de France n'étaient pas aptes pour la guerre aux colonies — la préparation leur manquant. Aujourd'hui dis-je on en revient au projet primitif de 1893.

A cette époque il était question de former l'armée coloniale des seuls volontaires engagés; ou rengagés de leur faire tenir garnison dans notre colonie algérienne, garnison dans les ports mêmes ou à proximité afin de l'avoir toujours sous la main et pouvoir l'embarquer dès la première heure d'un conflit. C'était simple, sensé et facile à résoudre. Le pavé des grandes et. petites villes de France nous verserait du jour au lendemain cinquante mille hommes, robustes, aguerris par les difficultés et les misères de la vie et qui préférant le fusil Lebel à la pince-monseigneur, seraient trop heureux d'endosser l'uniforme militaire.


A l'abri désormais du besoin, tranquille sur le présent, et sans souci de l'avenir dont ils se moquent ; ces hommes seraient admirablement aptes à la guerre aux colonies.

Ne laissant derrière eux peu ou pas de famille, ils envisageront sans regrets et je dirai même avec plaisir l'éventualité d'un conflit colonial qui leur permettrait de secouer le joug de la vie de caserne toujours pesant pour les turbulents.
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On aurait beaucoup moins de pertes, de non-valeurs les familles ne verraient plus tous les jours quelqu'un des leurs disparaître dans le gouffre colonial.

Si toutes les mères en France sont prêtes à donner leurs enfants jusqu'au dernier pour défendre la Patrie, contre un envahisseur quelconque, elle ne sont, nullement préparées à ces morts lointaines, qui ne leur laissent pas même la consolation de pleurer agenouillées sur une tombe collective ou privée.


Avec le recrutement que je préconise, et auquel on s’était arrêté dès l'abord, la France verrait non sais émotion, certes, mais avec plus de tranquillité, plus de confiance, se dérouler au loin nos actions militaires conséquences naturelles du développement incessant de nos colonies.

Mais il ne faudrait pas que le même député M. Cavaignac, vint encore s'opposer cette fois comme il le fit en février 1893, à l'entrée delà Légion étrangère dans l'armée coloniale; et les éléments qu'ils trouvaient bon à prendre de la façon que j'indiquais tout à l'heure, ne lui paraissent plus utilisables dès que ces éléments ont revêtu la capote du légionnaire.

Il serait vraiment trop facile d'employer constamment les régiments étrangers à batailler, à travers notre domaine colonial et à ne leur accorder aucun des avantages qui pourraient être faits dans la nouvelle loi aux militaires qui s'engageraient dans celle armée.

En vérité on semble ignorer en haut leu que depuis tantôt, quinze ans, la Légion étrangère s'est trouvée sur tous nos champs de bataille lointains et que les routes du Tonkin, du Soudan, du Sénégal, du Dahomey et de Madagascar sont jalonnées des os de ces obscurs, mais à coup sûr héroïques soldats.
A eux tous les devoirs -—j'entends les plus pénibles— la construction des postes, le déboisement toujours si meurtrier, le séjour aux endroits les plus malsains et les plus périlleux; et lorsque le péril est passé, lorsque la buée mortelle montant des terres remuées, a couché sur les flancs une bonne moitié de leur effectif; les légionnaires quittent aussitôt après l'assainissement, le poste qu'ils ont péniblement construit pour d'autres.


Certes, si périlleux qu'il soit, c'est un très grand honneur qu'on leur fait, mais s'ils sont si souvent à la peine et à l'honneur, ne pourraient-ils pas être un peu plus au profil.

Continuera-t-on cette espèce d'ostracisme qui consiste à leur confier tous les devoirs et ne leur accorder aucune faveur.


Nous voulons croire que non; nous pensons que la commission du budget, qui siège au frais sous la voûte du Palais Bourbon, pensera aux légionnaires intrépides, qui, sous un soleil de fou, marchant chaque jour, entreront sous peu et les premiers, j'en suis sûr, à Tananarive.

L. R.

LA REVUE DE SAMEDI

 

 

Samedi à 4 heures de l'après-midi, le 1er Étranger, en tenue de campagne, quittait ses casernes et venait musique et drapeau en tète se ranger sur le plateau dit Village Nègre. nu

Les troupes formant le carré étaient placées dans l'ordre suivant : 1re face, le détachement du Tonkin partant le 6 courant, 2e face, 20e et 19e compagnies; 3e face, 18e et 17e compagnies; 4e face, 15e et 13e compagnies.

Pour celle revue le Dépôt avait versé ses hommes instruits dans les autres compagnies.


Cette formation était à peine prise que M. de Villebois-de-Mareuil paraissait sur le terrain.

Aussitôt la musique joue la marche du régiment et le colonel monté sur un superbe cheval, passe au petit trot devant le front des troupes qui sont au port-d'armes.

La revue terminée, les troupes sont massées en colonne double sur trois côtés, tandis que les parlants remontant le terrain viennent se placer au centre de cette formation.

Le colonel s'est alors avancé et a fait ses adieux aux tonkinois, dans ces termes :

Vous avez raison de vouloir agrandir le cercle de votre horizon du monde, raison de vous précipiter aux terres de rêve, vouées aux impérissables magnificences des ivresses ininterrompues du soleil, où le sol ne mesure plus son effort, la végétation sa sève, la vie sa fécondité créatrice. Les yeux habitués à des cieux plus rudes,contemplent, dans un saisissement, d'extase, ces plages enchanteresses, où le nappe d'azur diamantée de rayons se fond avec cette autre mer de verdure frissonnante,aux palmes étagées, aux feuilles invraisemblables aux lianes débordantes, et ils comparent étonnés l'éblouissante vision à celle bien pâle du pays de là-bas qu'ils gardent en leur profondeur de souvenir.

Dieu, cependant, a fait à chacun sa part.

Il a voulu que, sous les climats de fer, se trempassent, les énergies victorieuses, que la force d'activité fut en rapport avec la lutte pour la vie, que la marche ascendante de la civilisation se fit sous la morsure de la nécessité, et alors, en ces hommes des races de conquêtes, des races d'En avant, ces innombrables populations adonnées à la joie de vivre, dans l'éternel été de leur flore privilégiée, ont reconnu des maîtres; l'Occident, a mis la main sur l'Orient. Ce n'est, pas le triomphe violent d'une force sur une faiblesse — les actes de simple force n'ont pas de longs prolongements d'avenir, — c'est, sous la pression des intérêts d'expansion, la diffusion de lumières d'une humanité incomplètement développée.

Je vous conjure donc de ne pas oublier votre rôle de civilisateurs, de vous rappeler qu'étant les forts vous devez être bons, de vous convaincre que la justice et le respect du droit sont par excellence l'apanage de l'être d'élite, et qu'il vous est interdit de les violer, sous peine de porter atteinte à la civilisation même dont vous êtes les missionnaires. Songez encore que plus haut l'on est, en spectacle à d'autres êtres, moins on peut faillir, et qu'aux représentants de l'idée resplendissante du progrès humain, il n'est pas permis de déchoir.

Et lorsque, aux lointains de cet Extrême-Orient, vous aurez accompli votre œuvre de soldats et de civilisés, que vous aurez dépensé votre grandeur morale, fatigué votre énergie physique, vous tournerez vos regards avec bonheur vers cette belle Algérie que vous allez quitter et dont, l'attirance reste invincible au cœur qui a subi son charme. Elle vous tiendra toujours ses hospitalières promesses. Terre de rêve aussi elle, d'un rêve moins éblouissant peut être, mais si doucement captivant, avec sa brise de Méditerranée tempérant les ardeurs sahariennes, ses cultures luxuriantes, le resplendissement de son firmament d'Orient; terre d'incomparable poésie jusqu'en son désert, terre de liberté et aussi de cordialité ! Quand on la blasphème, elle n'a qu'à s'offrir, comme Phryné, dans la beauté de sa forme, à ses accusateurs, pour les atteler au char de sa fortune.

A votre retour, vous retrouverez son climat reposant, son abondance, et les mains tendues de ceux de votre race dont, vous aurez regretté plus d'une fois la bienfaisante étreinte. Je vous souhaite ce retour à tous, et vous enveloppe tous également dans une paternelle pensée d'affection.

Dans ces adieux où l'éloquence le disputait au plus pur patriotisme, le Chef du régiment, emporté peut-être par la vision des gloires futures de notre armée, s'est élevé à des hauteurs où rarement nos officiers viennent chercher le sujet des ordres du jour aux troupes placées sous leur commandement.

Un chef qui comprend de telle façon le devoir militaire, peut tout demander de ses hommes et tenter avec eux l'impossible.

Un défilé a terminé celle revue pendant laquelle huit hommes indisposés par la chaleur ont dû quitter les rangs. Sept étaient de la 20e compagnies ce fait n'a rien d'étonnant cette compagnie ayant mis sac au dos une bonne heure avant les autres ce pour aller chercher le drapeau.


Prévenu aussitôt, M. le Médecin-Major du régiment leur a donné les soins que ces indispositions toutes légères demandaient et bientôt la moitié reprenaient leurs places dans les rangs tandis que les autres dirigés sur l'infirmerie y étaient l'objet de soins particuliers.

 

Pour les manœuvres

 

 

— Lundi, à 4 heures, la 13e compagnie, capitaine Muller, est allé cherché le drapeau du régiment et l'a déposé à la Salle d'Honneur.

— Ce matin à 6 h. les 6 compagnies du 1er Étranger, stationnées à Bel-Abbès ont quitté la ville pour se rendre aux grandes manœuvres qui vont se dérouler autour de Saïda.

— Après les manœuvres, la 17e compagnie du 1er Étranger sera dirigée directement sur Daya et Bedeau pour tenir garnison.

 

Mutations

 

 

Par décret du 21 septembre, M. Jonnell sous-lieutenant, au 1er Étranger, a été nommé lieutenant et maintenu au corps.

— M. Evrard, médecin-major de 1re classe au 1er Étranger est désigné pour le 146e de ligne.

— M. Carrière, médecin-major de 1re classe au 128e de ligne passe au 1er Étranger.

l - M. Gorbel, médecin-major de 1re classe au 2e Étranger, assurera le service de santé de la 3e brigade d'Algérie pendant les grandes manœuvres.

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