“Ici tout commence”. Cette devise, inscrite au fronton du bâtiment “état-major” du Groupement de recrutement de la Légion étrangère résume avec sobriété la philosophie qui accompagne le candidat.
Un parcours géographique avant d’être psychologique
Peu de choses en commun entre tous les légionnaires, sinon le fait d’assumer la rupture avec la vie d’avant. Ce chemin vers la rupture a déjà débuté lorsque le candidat quitte son foyer et prend la route vers le centre de recrutement. À mesure que les pays “viviers” sont de plus en plus éloignés de la France, les volontaires parcourent plusieurs milliers de kilomètres pour faire acte de candidature. C’est sans doute là le début du chemin. Un parcours souvent géographique avant d’être un parcours psychologique. Cette rupture que le futur légionnaire met entre lui et sa vie d’avant, c’est avant tout une rupture physique, qui se compte en kilomètres, en frontières traversées, en fleuves franchis, en méridiens dépassés. Ce sont parfois des tentatives répétées, face à autant d’échecs, qui endurcissent le volontaire et éprouvent sa motivation à rejoindre les rangs de la Légion. C’est le début d’un travail mental sourd pour préparer une nouvelle vie.
Omnes hic incipit
“Ici tout commence”. Cette devise, inscrite au fronton du bâtiment “état-major” du Groupement de recrutement de la Légion étrangère résume avec sobriété la philosophie qui accompagne le candidat. Plusieurs mondes séparent encore ces hommes en survêtement de sport noir du képi blanc. Pourtant, les ordres qu’ils exécutent concourent déjà à construire les fondations d’une mentalité de soldat. Vie en collectivité, culte de l’effort, solidarité avec le groupe, responsabilisation des francophones, souci du détail, apprentissage du vocabulaire de base… à bien des égards, ces candidats – alignés au repos de parade dans leur couloir – ont déjà des réflexes de jeunes soldats. Ils expérimentent d’ailleurs pendant ces quelques jours de sélection un parcours commun à tous les légionnaires. La cohésion naît bien souvent en quelques heures, soudant ces volontaires aux motivations diverses, mais lancés dans une même démarche et confrontés à un environnement nouveau et source d’appréhension. Ces quelques jours d’incertitude, qui leur semblent souvent longs, demeurent gravés dans la mémoire de ceux qui ont franchi la sélection. Les candidats savent qu’ils sont scrutés et que chaque détail compte : la nouvelle vie se mérite !
Nouvel alias, nouveau baptême
L’une des étapes, sans doute la plus emblématiques de ce renouveau, est le nouvel alias que chaque légionnaire reçoit par souci d’équité et par sécurité. Ce nouveau nom, puisé parmi les noms de son bassin de naissance, ne dénature pas l’origine du candidat. Ce nouveau nom lui permet d’être un autre lui-même, qui serait né quelques kilomètres plus loin, parfois à un an ou à un jour de différence. La vie avec laquelle il a franchi les portes du Fort de Nogent ou du quartier Vienot restera donc sous scellés quelques mois, le temps d’achever une mue de légionnaire, avant de renouer avec son nom.
Personne ne naît légionnaire, puisque chacun change de nom ; c’est bien la preuve que cette vocation très particulière relève, pour chacun, d’une transformation. Les candidats sont mis sous identité déclarée et rebaptisés d’un nom de légionnaire, puisé dans les registres du recrutement. Ce nouvel alias, cet anonymat, ce baptême incongru ; autant de symboles extrêmement forts qui préparent déjà le candidat à être un homme nouveau. Ce nouveau nom est d’ailleurs déjà littéralement une forme de “dépassement de soi”, car c’est de cela qu’il pourrait s’agir demain au combat pour tous ces volontaires : se dépasser, se dévouer, peut-être même, si la situation l’exige, aller jusqu’à se sacrifier.
Par le Lieutenant-colonel Thomas Eickmayer,
chef de corps du Groupement de recrutement de la Légion étrangère.