18961226 - Le Monde illustré -

18961219 - Le Monde illustré - A TRAVERS LE PAYS FAHAVALO

 

18961121 - Le Monde illustré - Les travaux de route à Madagascar

 

 


Les officiers du corps expéditionnaire sont pris de doux accès de gaieté lorsque les journaux de France leur apprennent que la route carrossable entre Tamatave et Tananarive est ouverte à la circulation et au commerce. Qui diable peut avoir intérêt à tromper ainsi le bon peuple de France? Le résultat obtenu est déjà assez honorable pour qu'il ne soit pas besoin de l'exagérer. La vérité, c'est qu'il existe entre Tamatave et Tananarive une piste muletière construite à la hâte. C'est sur cette piste que sont actuellement concentrés tous les travailleurs. Il faut à tout prix la mettre en état de résister à la saison des pluies, et non pas certes la rendre praticable aux voitures.

Une seule route à peu près carrossable existe à Madagascar. C'est la route d'Ambohimanga à Tananarive : 20 kilomètres en terrain relativement peu ondulé — la plaine n'existe pas. Ces 20 kilomètres de route viennent d'être terminés. Le service du génie y a fait construire deux ponts en treillis l'un de 12 mètres de portée sur le Mamba et l'autre de 8 m. sur le ravin d'Andranotsilakadahy (où l'eau n'a pas de fond).

La piste muletière entre Tamatave et Tananarive, ouverte en deux mois par les officiers du génie, avec des travailleurs désertant au jour le jour, a difficilement résisté aux passages répétés des convois de mulets. Les parties en forêt constamment exposées à l'humidité et à la pluie — la saison sèche est encore un mythe — sont complètement défoncées; les parties à flanc de coteau , se trouvent réduites par suite de l'effondrement des remblais à une corniche de quelques cent mètres de largeur surplombant des ravins de 300 à 400 mètres de profondeur.

Il était urgent,si l'on voulait pendant la saison des pluies conserver des communications avec la côte, de reprendre sur presque toute sa longueur le travail amorcé. Deux points surtout étaient en danger de disparaître complètement.
En quittant la côte, on pénètre après un trajet de 50 kilomètres environ dans la grande forêt de Béforona, forêt immense où les hautes futaies et les lianes forment un rideau impénétrable. La route ne recevant ni air ni lumière, n'était plus qu'une mare de boue. 600 Chinois dirigés par une compagnie du génie (14e compagnie) sont en train de refaire la route, de l'assécher et de l'aérer en abattant largement le bois à droite et à gauche.

Plus haut, avant d'entrer dans l'Imerina, on rencontre - immédiatement après avoir traversé le Mangoro — deux alignements montagneux importants, le Fody et l'Angavo. Le Fody a pu être tourné par le Nord et la route construite par le capitaine du génie Serrat a merveilleusement résisté.

L'Angavo ne pouvait être tourné qu'au prix d'un allongement énorme du trajet. Il est bien profondément entaillé par la vallée de la Mandraka mais cette vallée, resserrée en plusieurs endroits entre deux parois de rochers à pic où la rivière se précipite en cascades de 30 et 40 mètres de hauteur, ne peut être utilisée qu'au prix d'efforts et de travaux gigantesques que ne peut entraîner la création d'une simple piste muletière. Le capitaine du génie Serrat a exécuté un traçé de route qui s'élève d abord jusqu'à mi-côte par des lacets escaladant un contrefort de l'Angavo, contourne très habilement une série de croupes où les pentes atteignent parfois 70° puis gagne le sommet par de nouveaux lacets à flanc de coteau.Après avoir suivi l'arête pendant quelques kilomètres, la route pénètre en forêt, s'abaisse pour traverser la Mandraka puis gravit les pentes boisées qui précèdent Ankeramadinikia.

Sur tous ces lacets, le remblai, glissant sur les pentes, a disparu. Un détachement de la 12e compagnie du génie et des travailleurs zanzibars et somalis travaillent en ce moment à la réparation sous la direction d'un officier du génie. La protection des travailleurs — car on est là en pleine zone fahavalo — est en outre assurée par un détachement de tirailleurs sénégalais que commande un lieutenant d'infanterie de marine. Ce détachement a actuellement installé son camp au-dessus de la première série de lacets dont nous parlions tout à l'heure. Le coup d’œil n'est pas banal.

Des paillottes fabriquées de bric et de broc — on n'a pas de temps à perdre: tous les dimanches on lève le camp, on va s'installer quelques kilomètres plus loin et le lundi le travail reprend — quelques tentes auxquelles il reste moins de toile que de trous et, planant sur le tout, le pavillon français.

Quand l'orage se déchaîne, la toiture de chaume, si pittoresque, laisse passer d'abord de minces filets d'eau qui se changent bientôt en torrents venant réveiller bien désagréablement le dormeur et l'arracher à ses songes. Adieu, pays, famille, gloire. Voir le Rêve de Detaille. — Il essaye d'abord de boucher les trous, déplace son lit sans succès et finit par se rendormir sous la douche et retrouver le fil interrompu de sa rêverie. Le soleil du tropique n'est-il pas là pour faire disparaître demain les traces de l'orage.

En revanche, on jouit de ce point d'un panorama merveilleux. Le cirque d'Ambodinangavo (au pied de l'Angavo) s'ouvre à vos pieds. Au loin, bien loin on distingue les hauteurs de Moramanga; puis vers l'est, à l'horizon, une ligne bleuâtre silhouette la grande forêt; dans le fond, des rizières, autrefois florissantes, aujourd'hui en partie abandonnées par suite du manque de bras. Comme couleur, c'est un peu terne.

Je me souviens avoir déjà eu l'impression de cette coloration. C'est devant un tableau de Gustave Doré où ce maître du crayon a tenté d'entrer en lutte avec la couleur. « Un orage dans les montagnes d’Écosse » au musée de Grenoble. Ce sont les mêmes tons vert sombre, avec de loin en loin, les taches grisâtres des roches. Par endroits, une mince ligne rougeâtre indique l'écorchure de la route. J'ai le regret de ne pas connaître l’Écosse, mais si Gustave Doré a réussi à en rendre l'aspect, la ressemblance avec les massifs montagneux de Bezanozano est frappante.

On n'entend pas dans ces derniers le bag-pip des montagnards écossais, mais la musette des travailleurs zanzibars peut presque confirmer l'illusion.

On se fait difficilement une idée, surtout après avoir vu les villages nègres de l'Exposition de 1889, de l'aspect d'un campement d'auxiliaires noirs.

Les Zanzibars robustes et infatigables cachent leurs torses musclés, sous de vieilles défroques de l'armée anglaise, casaques rouges élimées, timbrées aux pattes d’épaule de la couronne royale, de vieux uniformes des courriers de l'Agence Cook ou des chemises en lambeaux. L'un d'eux a acheté le pagne déchiré d'une indigène sénégalaise et s'y enroule voluptueusement.

Les Somalis, anémiés, épuisés, secoués par d'affreux accès de toux, te drapent dans des couvertures de coolies jadis rouges, devenus roses sous l'action des pluies. Ils rivalisent de paresse et c'est un spectacle curieux que de les voir à l'appel du matin que suit immédiatement la visite médicale (?) singer la maladie pour esquiver le travail. Leurs regards faux implorent, leurs gestes obséquieux et désespérés semblent indiquer d’atroces souffrances. Force est d'être sans pitié: si un carottier réussit à éviter le départ, le lendemain 30 se présentent et ce sont des grimaces piteuses, des contorsions comiques, des gémissements sans fin. On les bourre de quinine, on les badigeonne de teinture d'iode et en route.

Au travail même contraste: le Zanzibar chante, s'entraîne et se grise; l'un d'eux hurle à plein poumons : Gombé. les autres marmottent comme un répons religieux: Tunotindgé Kiniamoisi et la besogne va vite. La terre vole sous les angadys (bêches malgaches), le Somali, lui, murmure une litanie faite de: Jossa, Jossa et ne travaille qu'avec des gestes lents, comme à regret. Et, pendant que le Zanzibar s'excite au travail par ces chants au rythme étrange et que le Somali s'endort sur sa tâche, le bon tirailleur sénégalais qui les protège s'appuie sur son arme et somnole doucement.

Le soir, au retour, toute la bande accélère l'allure, le pas de soupe et défile en chantant : Tararaboum. Est-ce un air d'importation? Qu'en pense Bruand?

Au camp, tous se bousculent pour jeter leurs outils, puis avant de se séparer, hurlent le triple et légendaire « hip, hip, hip hurrah » anglais.

Le travail consiste à élargir à 2 mètres en déblai la corniche étroite qui marque la ligne suivie par les anciens travaux à construire à toutes les traversées de ravins des enrochements et des palées solides pour soutenir les terres. Le travail est atrocement compliqué par la présence du roc à fleur du sol, et les échos du cirque d'Ambodinangavo répercutent toute la journée l'écho des coups de mine nécessaires à entailler la roche.

Sur ce terrain dur, les angadys se tordent, les pics se brisent, les barres à mine s'émoussent et ce n'est pas le forgeron qui est le moins occupé cela ne l'empêche pas d'interpeller gaiement son souffleur somali que sa maigreur famélique a fait surnommer M. Gigot fin.

Malgré toutes les difficultés, les travaux avancent et si, pendant l'hivernage les convois de mulets peuvent parvenir à Tananarive, si la disette ne s'y fait pas sentir, les braves gens qui n'auront marchandé ni leur dévouement ni leur santé, s'estimeront assez payés.

Daniel ROB.

18961114 - Le Monde illustré - Les Hovas exilés.

 

18961024 - Le Monde illustré - L'ARRIVÉE DU GÉNÉRAL GALLIENI

 

Le général Gallieni est arrivé à Tamatave, par l’Iraouaddy, le 7 septembre : il devait débarquer à 2 heures de l'après-midi. en canot tenté au pied du grand escalier de l'Iraouaddy et, remorqué par une chaloupe à vapeur du port, devait le conduire au débarcadère. Notre première photographie montre le canot du général approchant de terre.

Dès que le « commandant supérieur des troupes » touche le sol de Madagascar, les deux canons, mis en batterie sur la plage, tirent quinze coups.

Notre seconde photographie a été prise au moment où le premier coup est tiré.

Aucune troupe, autre que l'artillerie, n'était venue recevoir le général, il y avait pour cela une raison : Tamatave n'a plus de garnison, toutes les forces disponibles ont été distraites pour former la colonne du Nord-Est qui opère en ce moment entre Ténérive et Ambatondrazaka et la colonne du Sud-Est, en marche de Mananzary sur Fianarantsoa.


Le général, accompagné du capitaine de génie Moynet et du capitaine Duprat, venu pour lui souhaiter la bienvenue au nom de M. Laroche, franchit prestement les rangs compacts des colons massés sur le rivage et s'engage dans l'ancienne avenue n° 1 aujourd'hui avenue du Commerce, pour aller au Comptoir national d'Escompte, où un appartement avait été préparé pour lui.

Avant le départ du général pour Tananarive, nous avons causé longuement; il m'a donné rendez-vous pour le mois prochain dans la capitale hova.
Les intérêts français sont en bonnes mains.

Henri MAGER

18961003 - Le Monde illustré

18960919 - Le Monde illustré - A MADAGASCAR - EXÉCUTION DE « PARTISANS » A TAMATAVE.

 

 

Le 4 août deux indigènes ont été fusillés à Tamatave.

Etaient-ce des criminels? étaient-ce des héros? la question est délicate à résoudre.

Voici les faits. Dès la guerre terminée, les populations malgaches de la côte qui ont à venger une oppression cruelle et sanguinaire, bientôt centenaire. crurent l'heure propice. Les Hovas étaient nos ennemis et si la guerre était officiellement close les Hovas la continuaient, en dirigeant contre nous des bandes fahavalos : « Sus aux Hovas » fut le cri de toutes les populations qui nous croyaient leurs libérateurs : trois chefs prirent la tête du mouvement : l'un était betsimisaraka, le second anjouannais, le troisième mayottais.

Ces trois chefs, des vaillants entre tous, avaient levé en deux jours une bande assez forte et ils s'étaient mis en marche sur Foulepointe. Ils tuèrent quelques Hovas chemin faisant, et arrivèrent devant la forteresse de Foulepointe en portant devant eux un drapeau tricolore: ils vont donner l'assaut d'un fort plus difficile à enlever que celui de Tamatave, qui nécessita cependant un si grand développement de forces; les Hovas prennent peur et s'enfuient : les Betsimisarakas entrent dans le fort, abattent le pavillon
de la Reine, et hissent le drapeau tricolore.

Ils n'en voulurent qu'aux Hovas, ils respectèrent les blancs et les indigènes.

Les Hovas protestèrent près de nous à Tananarive. Les chefs soulevés durent venir s'expliquer à Tamatave : le Betsimisarakafut, en tant qu'indigène, livré aux tribunaux hovas qui naturellement le condamnèrent à mort: il fut fusillé par un peloton d'infanterie de marine.

Quant aux autres ils étaient protégés français et ils eurent les honneurs du conseil de guerre français.

Que pouvait faire en de telles circonstances, un conseil de guerre? il ne pouvait absoudre, n'ayant pas à trancher la question politique : il condamna; mais le colonel Belin fit d'office un recours en grâce.

Huit mois se passèrent : des ordres arrivèrent de Paris : la Résidence générale de Tamatave décida : la date de l'exécution fut fixée. J'ai voulu en suivre toutes les phases.

L'Anjouannais fut extrait de la prison le mardi 4 août vers 4 heures du soir: encadré par vingt-six soldats d'infanterie de marine, il se dirigea vers les dunes, où l'exécution devait avoir lieu. Je marchai plus d'un quart d'heure près de lui pour l'examiner très attentivement. Il avait un air imposant dans sa longue robe blanche comorienne; la marche assurée, la tète haute sans forfanterie, les yeux comme rêveurs; on lui avait épargné les liens: ses jambes et ses bras étaient libres: il marchait à la mort avec une simplicité, un naturel extraordinaire.

Le Mayottais était à l'hôpital, très malade depuis quelques jours: il reçut l'ordre de se lever et de s'habiller : il obéit sans proférer une parole : par une étrange ironie du sort, il venait de gagner un lot à la loterie organisée le 14 juillet par les dames de Tamatave : lui aussi avait voulu fêter la fête de la nation française qu'il aimait. Trop faible pour marcher, il fut mené au poteau dans une charrette à bœufs.

Je suivais le cortège. Ignorants du lieu précis de l'exécution, nous nous égarons dans les dunes : le cortège s'arrête. Un gendarme à cheval qui nous a vus prendre une fausse direction vient à notre rencontre et nous remet dans la bonne voie. L'Anjouannais toujours calme, d'une impassibilité simple et naturelle reprend sa marche.

Enfin nous voici arrivés: toutes les troupes de la garnison sont sous les armes: le colonel Lecamus est là.

Le Mayottais est descendu de voiture : il se dirige d'un pas assuré vers le poteau: l'Anjouannais est attaché à un second poteau: on les a fait agenouiller. Un crépitement sourd retentit: ils sont morts la tête broyée.

Les troupes défilent sous la pluie qui tombe en déluge. On enlève les corps sur des brancards : je m'approche des poteaux.

Horreur: voici un morceau de cervelle large comme la main. Voici un quartier de crâne;voici un œil avec son orbite, gisant à terre.

Les indigènes de la côte savent maintenant qu'ils ne doivent pas tuer les Hovas, mais ils savent aussi que les Fahavalos hovas nous tuent impunément.

Henri Mager

18960829 - Le Monde illustré - A DIEGO-SUAREZ

 


(D'après les photographies de M. Henri Mager.)

Loin de péricliter, la colonie de Diégo-Suarez prend chaque jour une plus grande importance.

Pour faire connaître- très intimement cette colonie aux lecteurs du Monde Illustré, j'ai dessein de les y conduire.

Toutes les descriptions ne sauraient rendre l'aspect d'un pays aussi fidèlement qu'une image, qu'une photographie ou une série de photographies prises sur le vif. Je vais donc montrer à nos lecteurs une série de vues prises par moi, durant le court séjour que je viens de faire à Diégo-Suarez et ils pourront se croire quelques instants transportés sur les terres du nord de Madagascar: ils verront et ils jugeront.

Les embarcations, qui viennent chercher les voyageurs à bord des paquebots peuvent débarquer à l'un des trois appontements : celui des Messageries, celui du service local ou celui de la Direction du Port.

Tous ceux qui ont visité Diégo-Suarez connaissent le pavillon de la Direction du Port et notre lieutenant du Port, M. Geffroy, l'un des plus aimables et des plus sympathiques fonctionnaires des colonies.

Dès le débarquement effectué, on longe nos quais pour s'engager dans la rue de la République: une de nos voies de la ville basse, qui devra bientôt disparaître pour permettre la création dans cet emplacement privilégié de grands arsenaux et de bassins de radoub.

Vers le milieu de la rue de la République se dresse un arbre légendaire: le Tamarinier, arbre touffu sans pareil dans la colonie et qui jadis tenait lieu de journal officiel : à son ombrage étaient affichés et promulgués les actes de l'administration.


En montant à la ville haute, sur le Plateau, comme on dit, par divers chemins abrupts et caillouteux, on atteint la rue Flacourt, qui prend naissance à la Résidence de l'Administration, constitue la grande artère du Plateau et est prolongée par les routes d'Antanamitara et de la Montagne d'Ambre.

Les indigènes n'habitent pas de côté : leurs cases sont partout situées sur les confins de la ville : par ordre, elles sont couvertes en tôle ondulée : dans la campagne les indigènes peuvent construire à leur fantaisie et sont libre d'adopter tel mode de toiture leur convenant.

Ces indigènes n'appartiennent pas à une race unique : le territoire de Diégo, jadis désert, s'est peuplé peu à peu en empruntant au pays voisins les éléments de sa prospérité : il est venu des Saint-Mariens en quantité, et peut être plus encore de Saint-Mariennes, puis de Comoriens, des Malgaches de toutes origine, Betsimisaraka, Sakalaves, Hovas : mais parmi les Malgaches les plus précieux pour la colonie sont les Antaïmoro qui viennent du Sud de Madagascar pour s'engager comme travailleurs chez nos colons pour le travail de la terre, et le service des intérieurs.

Antsirane n'étant pas encore pourvu d'une canalisation amenant l'eau en abondance dans la ville et dans les maisons, les indigènes employés comme domestiques ont fort à faire pour aller chercher de l'eau à la fontaine : l'on en rencontre à toute heure en ville portant les "zincs" remplis d'eau : ils se servent en guise de seau de boîtes à pétrole vides : les femmes en portent un sur leur tête, les hommes deux assis à l'extrémité d'un bâton qu'ils portent sur l'épaule.

La colonie est dotée de plusieurs rivières pouvant alimenter une canalisation régulière : elle possède la rivière des Caïmans dont l'une des branches supérieures, la Lalandriana sera avant peu captée.

La plus mouvementée de nos rivières est la rivière des Maques, qui débouche près du village d'Anamakia au sud du port de la Nièvre : sur sa rive gauche sont installés les débarcadères des salines et de la fabrique de conserves de viandes.

On a dit parfois que la colonie de Diégo-Suarez est dépourvue d'arbres et de végétation : c'est une erreur et une calomnie : nos photographies le prouvent. Nous possédons de magnifiques pâturage, qui permettent d'entretenir d'importants troupeaux de bœufs.

Ces bœufs fournissent de la viande d'exportation et des peaux estimées : il en est parfois exporté sur pied. Ils servent aussi de bêtes de somme pour conduire les charrettes : un certain nombre de bœufs ont été en outre dressés comme bœufs porteurs.

La colonie n'en possède pas moins quelques ânes et quelques chevaux, l'élevage du cheval, qui a été tenté, a été malheureusement interrompu par la dernière guerre : c'est un essai à reprendre et tout porte à croire qu'il réussira, car le climat de la colonie est très favorable à l'acclimatement de la race chevaline.

L'élevage doit être la grande industrie de la colonie : on y pratique toutefois avec succés la culture maraichère : les chinois excellent à ce travail.

Deux industries importantes sont à signaler : l'industrie du sel et l'industrie des conserves.

Des salines très importantes ont déjà été installées à la rivière de la Main, à la rivière des Maques et dans les plaines de la Bétaïtra.

Le sel qui a déjà été récolté est de bonne qualité et de bel aspect : son chargement assurera au port un mouvement constant. La fabrique de conserves de viande (dite usine de la Graineterie française) est située à Antomgobato: on dit que neuf millions ont été dépensés en frais d'installation: 300 bœufs pouvaient y être traités chaque jour: une des parties les plus intéressantes de l'usine (où le travail est depuis 1894 suspendu) est la tuerie: les bœufs passaient de front dans les deux étroits corridors qui se trouvaient à l'entrée du bâtiment de la tuerie: dès qu'ils entraient, la tête baissée, dans le compartiment qui fait suite, un homme (se tenant à la hauteur voulue de façon à pouvoir frapper commodément), lançait un coup de sagaie au bas de la tête de chaque bœuf, coup presque toujours mortel l'animal étant écorché, coupé en quartiers, porté à la chambre réfrigérante, puis bouilli, mis en boîte et expédié.

Les curiosités abondent à Diégo-Suarez : il y en a de tous ordres.


Veut-on une curiosité naturelle: voici le baobab, le plus grand végétal connu, dont les rameaux et les racines s'enchevêtrent et se confondent, donnant l'illusion d'une forêt en miniature, et dont le tronc atteint des dimensions prodigieuses. Le Biobab (adansonia digitata) s'élève à trente mètres environ et sa circonférence atteint vingt-cinq ou trente mètres.

Il est vénéré des indigènes qui y suspendent leurs gris-gris ou amulettes.

Veut-on un trait de mœurs curieux : au cimetière d'Antsiranenous verrons sur toutes les tombes indigènes des objets qui ne se trouvent pas dans nos cimetières : des verres et des bouteilles : les bouteilles sont vides: les parents ont bu aux morts et ils ont laissé la marque de leur bonne action.

Veut-on un souvenir curieux de la dernière guerre: voici un canon pris aux Hovas sur le territoire de la colonie, au Point 6: j'ai fait placer une jeune enfant près de ce canon pour en bien marquer la grandeur : avec ce joujou les Hovas ont tiré sur nous à douze cents mètres : ils ne nous ont tué personne.

Ces Hovas,nous allons les retrouver eu cours de notre voyage et nous verrons qu'en somme ils ne seraient pas terrible, si...

Henri Mager

18960815 - Le Monde illustré - DIEGO-SUAREZ. — ASPECT MARITIME

 



A Diego-Suarez, comme dans la plupart de nos colonies, comme au Tonkin, comme à Haïphong notamment. les services militaires qui ont pris possession de la colonie, ont déclaré leurs les meilleures situations C'est ainsi que la plus large partie du territoire de Diego-Suarez, que les rivages du cap Diego et les deux tiers du plateau d'Antsirane sont terrains militaires; une bonne route a été faite du quai d'Antsirane au Plateau; elle est militaire et interdite aux communications civiles.



Le développement des casernes de la colonie est considérable; sur le plateau d'Antsirane ont été construits les quartiers de l'artillerie et les quartiers de l'infanterie, avec, en avant, plus au sud, les casernes de tirailleurs; au cap Diego sont les disciplinaires, les bâtiments de l'hôpital militaire et te cimetière militaire.

L'ensemble de ces constructions a coûté plus de 3 millions de francs, et il s'y trouve réuni plus d'un million de matériel.

Au point de vue sanitaire, le choix fait de Diego, et en particulier du plateau d'Antsirane, est excellent ; le climat est très salubre; bien que nous ne soyons ici qu'au 12e degré au sud de l'équateur, la température est fort douce, et pendant toute la durée de la saison actuelle une forte bise du sud-est, qui souffle continuellement, rafraîchit la température au point de rappeler le mois d'octobre en France; c'est la meilleure zone de Madagascar, la seule où nos
soldats peuvent séjourner sans crainte d'aucune nature.

On a souvent proposé, avec raison, à notre sens, de concentrer à Diego-Suarez le gros de notre corps d'occupation de Madagascar, qui de ce point central pourrait être transporté, avec le concours des cinq bâtiments de la division navale, partout où besoin serait.

Cette concentration éviterait à nos soldats le séjour, parfois dangereux, de Tamatave et de Majunga ; ce serait une mesure d'humanité et de prudence.

Ces idées ne semblent cependant pas prévaloir en ce moment, et loin de vouloir augmenter notre garnison, on parle à Tananarive de la réduire et de la disperser.
- Les millions dépensés pour la construction des immenses casernes de Diego seraient perdus et il faudrait construire de nouveaux bâtiments là où notre garnison serait envoyée.

En attendant, et tout en parlant de l'évacuation des troupes, les services militaires ne songent pas à abandonner le terrain; ils ont même découvert récemment que certains bâtiments occupés par les services civils devaient revenir aux services militaires, qui avaient coopéré à leur construction; le palais du gouverneur est au nombre des édifices revendiqués par la direction de l'artillerie et le chef de la colonie a dû aller loger ailleurs: on ne lui a même pas laissé la jouissance de la salle des fêtes, annexe du palais, salle récemment construite avec les fonds de la colonie.


La question de l'eau est toujours l'une des difficultés à résoudre pour les militaires, comme pour les civils. Les services militaires sont obligés de monter du quai au plateau toute l'eau nécessaire à leur consommation. Ils utilisant pour le transport la voie ferrée militaire qui monte aux casernes; les réservoirs d'eau sont traînés à la montée par des mulets et redescendent sans traction animale sur le plan incliné. Le forage d'un puits artésien a été tenté, sur le plateau, près du poste télégraphique, mais jusqu'ici la nappe d'eau n'a pu être atteinte.


Trois postes télégraphiques ont été élevés: l'un à Orangea, près de la passe, signale les navires qu'il aperçoit en mer; le second, celui du pipeau, a pour mission de recueillir ces signaux et d'informer- dès qu'un navire est signalé la direction du port, l'administrateur et le colonel il a aussi pour mission de signaler, au troisième poste, celui du cap Diego, l'envoi d'un malade de l'infirmerie militaire du Plateau à l'hôpital du Cap.

J'ai eu l'occasion d'assister, il y a quelques jours, à l'enterrement au cimetière du Cap d'un tirailleur mort à l'hôpital de cette maladie, dite le béribéri, qui est assez fréquente chez les indigènes. C'est sur voie ferrée, presque en chemin de fer, que les morts sont conduits au cimetière par le piquet d'honneur: la plate-forme est traînée par un mulet; le sourd glissement des roues de fer sur les rails, l'immobilité de la plate-forme, la marche lente du convoi, presque à l'aube, donne à cet enterrement, quelque original qu'il soit, le caractère impressionnant qui convient à ces choses tristes.


Je ne veux pas finir cette lettre hâtive sans constater la parfaite entente qui lie à Diego-Suarez l'élément civil et l'élément militaire; entre eux, aucun dissentiment.


La population aime les soldats, et les soldats recherchent la société civile.


Lorsque le lieutenant-colonel Brun a pris récemment, par intérim la direction de la colonie, il a su se faire aimer de tous et la population civile eût souhaité pour l'avenir de la colonisation de cette partie de Madagascar, que ses propositions aient reçu un meilleur accueil à Tananarive.


HENRI MAGER

18960725 - Le Monde illustré -

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