Un esprit guerrier au service de la France
« C'est la gloire de la Légion d'avoir dispensé ses chefs de tourner la tête pour voir si on les suit » - Col. Druène
L’unique spécificité de la Légion étrangère réside dans le recrutement d’étrangers, formés pour porter les armes de la France dès le temps de paix ; sa vocation, historique, est l’excellence opérationnelle. De cette spécificité découlent toutefois un certain nombre de caractéristiques, dans tous les domaines et particulièrement dans sa façon de cultiver l’esprit guerrier.
Le développement de cet état d’esprit permettant de combiner aguerrissement, entretien des traditions et maîtrise de la technologie, et dont les qualités fondamentales sont la combativité, la résistance et la rusticité, procède de l’articulation fine entre la « pâte humaine » et le système de commandement chargé de le modeler en vue de vaincre au combat.
A cet égard, le recrutement à titre étranger présente des atouts exceptionnels, permettant à la Légion d’exacerber l’esprit guerrier indispensable à l’excellence opérationnelle, sous la houlette d’un commandement adapté. L’esprit fantassin, arme des plus exposées et nécessitant un fort engagement physique et moral, irrigue tout légionnaire. Il agit comme une référence commune initiale à l’ensemble des formations, quelle que soit l’arme servie. Cet esprit légionnaire, s’il est spécifique, possède néanmoins des aspects qui peuvent être transposés à d’autres unités.
Si pour la maîtrise des nouvelles technologies, la méthode Légion se traduit essentiellement par l’accent mis sur l’apprentissage du français, la culture de l’esprit guerrier s’avère plus spécifique dans les domaines de l’aguerrissement et de l’entretien des traditions. Reposant sur la possibilité d’offrir une seconde chance, il se caractérise par une forte cohésion, le culte de la mission, la rigueur dans l’exécution, la solidarité et la mémoire des Anciens. Les zones de recouvrement en sont nombreuses car l’approche est intégrale et doit être cohérente.
Offrir une seconde chance qui oblige
L’attrait majeur de la Légion repose sur sa capacité à offrir à tous, nationaux comme étrangers, la possibilité de servir la France malgré des passés parfois chaotiques. Cette seconde chance oblige autant le candidat que la Légion par son aspect dérogatoire : le candidat par l’opportunité exorbitante qui lui est offerte, l’institution en raison du risque encouru en recrutant des étrangers aux parcours et motivations divers.
Un terreau exceptionnel pour l’esprit guerrier
Cette spécificité de recrutement offre d’emblée une pâte humaine exceptionnelle. Le candidat qui se présente à la porte du Groupement de Recrutement de la Légion Etrangère (GRLE) est, sans le savoir encore, prédisposé aux privations et à l’investissement lui seront demandés, parce qu’il a surmonté des épreuves professionnelles ou personnelles, parce qu’il vient de sociétés moins confortables ou à la violence endémique, parce qu’il a déjà pratiqué la vie militaire ou, tel cet ancien sous-officier arménien, parce qu’il a tout perdu et est prêt à se donner corps et âme à une nouvelle cause. Le candidat apporte aussi une polyvalence, faite de savoir-faire acquis par l’expérience et de débrouillardise acquise par nécessité, qui se révèlera indispensable pour la vie en campagne et pour remplir la mission « à tout prix ». Pour beaucoup, la vie qu’offre la Légion, malgré ses contraintes, s’avèrera bien moins âpre que celle qu’ils ont pu connaître.
Pour tous, la décision de se présenter aura été le fruit de pérégrinations, d’échecs et de persévérance, de tergiversations et de doutes, et in fine de volontarisme mâtiné de résignation, sceau d’une certaine radicalité : quittant un équilibre plus ou moins précaire ils ont fait le grand saut, parfois avec peu de possibilités de retour en arrière.
Sélection et formation initiale
Pourtant il ne s’agit là que d’une première étape : la sélection les attend, qui nécessitera engagement et combativité. Une totale franchise envers l’institution leur sera demandée, qui donnera toute sa valeur à la parole donnée. Evalué physiquement et psychologiquement, pesé, soupesé dans les moindres actions du quotidien et dans sa capacité à travailler en équipe, seul un candidat sur cinq sera retenu. Une fois immatriculé, il servira désormais « au titre de la Légion » et non d’un régiment, acceptant de fait l’inconfort de la mobilité selon les besoins de l’institution ; l’opportunité d’avoir été « remis debout » sera pour lui un moteur puissant de reconnaissance.
Après cette courte escale à Aubagne, le candidat est acheminé en pays chaurien où ses instructeurs l’attendent pour la formation initiale. Véritable creuset de formation, le 4e régiment étranger (4e RE) agit comme une fonderie de l’esprit Légion, destinée à forger un homme nouveau ; celle-ci est rendue possible par le concept des fermes, alliant à l’apprentissage des savoir-faire et du savoir-être militaire, la vie en collectivité de ces jeunes légionnaires d’horizons si divers. Dans leurs premiers mois de vie militaire, ils vont s’aguerrir physiquement et moralement, apprenant à s’intégrer dans un collectif et à s’adapter à un modus operandi qui a fait ses preuves, mélange d’abnégation, de résilience et de goût de l’effort. L’accent sera particulièrement mis sur la rusticité, avec 56 jours de terrain et 270 kilomètres de marche dont la redoutée « marche Képi blanc ». La césure que constitue l’engagement va être volontairement prolongée : pendant le premier mois, sans moyens de communication vers l’extérieur ni permissions, en vase clos avec soixante autres engagés, le légionnaire va expérimenter la promiscuité, les difficultés de compréhension, des façons de faire nouvelles, une ferme discipline et la nécessité du collectif ; les « Gaulois » seront binômés avec des étrangers et notés comme ces derniers.
Chaque légionnaire, quelles que soient ses aspirations, est avant tout formé comme combattant et fantassin, son emploi premier ; les musiciens de la Musique de la Légion Etrangère (MLE) ne font pas exceptions et sont régulièrement engagés dans des opérations intérieures, rappelant leur vocation opérationnelle. Tous les sous-officiers étant issus du rang, l’unicité du parcours est un facteur puissant de cohésion. Cet esprit légionnaire sera entretenu tout au long de la carrière, lors des différents stages au 4e RE qui tous intègrent une dimension physique et mentale.
Vient d’être posée la première brique permettant de « créer l’amalgame », indispensable à la Légion pour s’engager au combat avec l’esprit guerrier qu’on lui connaît. De nombreuses autres devront suivre.
L’amalgame, une nécessité au service de la mission
La notion d’amalgame provient de la nécessité de fédérer 150 nationalités autour d’un objectif commun, la mission. Il permet de canaliser l’esprit bagarreur individuel en esprit guerrier collectif, et ainsi d’obtenir de chacun le meilleur de lui-même au profit de ses chefs et ses camarades. Au-delà de la formation initiale, la Légion dispose de nombreux outils pour garantir cet amalgame au sein de ses unités : références communes fortes, ils ont systématiquement pour boussole l’excellence opérationnelle et pour leviers l’exigence et l’équité.
Entretenir l’esprit guerrier, avec exigence et justice
Tout d’abord, le code d’honneur du légionnaire rend tangible les attendus. Cette « charte de comportement » en établissant une continuité entre les règles de vie au quartier et l’engagement opérationnel, crée une forme d’absolu dans l’état de soldat par une acception intégrale de l’esprit guerrier, formalisé dans la règle n°5 : « Soldat d’élite, tu t’entraînes avec rigueur, tu entretiens ton arme comme le bien le plus précieux, tu as le souci constant de ta forme physique. » Au quotidien, la rigueur dans le comportement et l’exécution des missions est exigée et va de pair avec une discipline collective. La justice impose une application des sanctions sans état d’âme pour toute entorse au code d’honneur, grille de lecture commune.
L’impératif de disponibilité revêt également une exigence particulière, puisqu’elle est formalisée dans les règles de vie et contraint fortement le légionnaire pendant ses cinq premières années à la Légion. Outre l’amalgame qu’elle contribue à forger, cette dimension exacerbée du service à la Légion rejaillit de fait sur l’ensemble des cadres, officiers en tête : elle concourt ainsi à orienter toute l’institution au service de la mission, au détriment des contingences personnelles et au bénéfice des forces morales collectives.
La cohésion dans l’effort, au service la capacité d’encaisse collective
Par ailleurs, la méthode Légion, imposée par la barrière de la langue, se résume systématiquement à « faire, faire faire ». Il en ressort plusieurs vertus qui renforcent la capacité d’encaisse collective : elle force le cadre à l’exemplarité, incite au respect du chef et entretient la confiance mutuelle. Elle va de pair avec une nécessaire simplicité dans la façon de donner et d’exécuter les ordres.
Troupe d’assaut, la Légion assume cette appétence marquée pour la cohésion dans l’effort, autant pour se préparer à la mission que pour alimenter le besoin de dépassement de soi du légionnaire, toujours dans un groupe. Les Centre d’entraînement en forêt équatoriale du 3e régiment étranger d’infanterie (3e REI), Centre d’instruction et d’aguerrissement nautique à Mayotte et autres Centre d’instruction et d’aguerrissement commando contribuent ainsi directement à l’aguerrissement individuel et collectif des unités de Légion mais également de leurs camarades des différentes armes. Les stages généralistes de cursus réalisés à Castelnaudary, formation générale élémentaire (FGE) et formation générale de premier niveau (FG1), mettent l’accent sur la résistance physique et morale des stagiaires, la FG1 étant systématiquement suivie par un stage moniteur commando au sein d’une brigade Légion. Enfin, l’esprit guerrier est encore rehaussé par les milieux spécifiques : forêt amazonienne pour le 3e REI, lagune pour le Détachement de Légion étrangère de Mayotte, montagne pour le 2e régiment étranger de génie, parachutiste pour le 2e régiment étranger de parachutistes et amphibie pour les régiments de la 6e brigade légère blindée.
Au-delà des stages groupés au 4e RE, la mobilité interne à la Légion et transverse aux spécialités d’armes, permise par une gestion centralisée de la ressource à titre étranger, autorise un brassage entre régiments tout au long de la carrière, cultivant ainsi l’esprit de remise en cause et entretenant une connaissance mutuelle forte entre cadres et légionnaires.
Donner du sens à l’engagement
« Etranger au service de la France » : cette formule, factuellement juste, fait néanmoins abstraction du mûrissement de l’engagement légionnaire. Celui-ci nécessite un ancrage concret et progressif, qui passe par des repères et des symboles liés à la communauté militaire dans un premier temps, au pays ensuite. Plus qu’ailleurs, la culture des traditions à la Légion étrangère n’a pas d’autre objectif que d’enraciner le militaire à titre étranger dans une histoire militaire et dans une famille. Au-delà des motivations qui ont poussé à l’engagement, c’est bien l’appartenance à une nouvelle communauté de destin – militaire au combat, familiale au quotidien, nationale éventuellement - qui donne du sens et permet d’aller au bout de la parole donnée.
Ancrer dans une histoire militaire, entretenir les traditions
L’apprentissage de l’histoire de la Légion, par des instructions dédiées, par l’importance accordée au chant, par des rites quotidiens et les traditions de popote, inscrit résolument le militaire à titre étranger dans une histoire glorieuse qui le dépasse et l’oblige, comme le martèle la devise « More majorum ». Le code d’honneur rappelle qu’il ne s’agit pas de laisser les passions belliqueuses ni individualistes s’exprimer : « Au combat, tu agis sans passion et sans haine, tu respectes les ennemis vaincus, tu n'abandonnes jamais ni tes morts, ni tes blessés, ni tes armes. »,
Ici aussi, des leviers permettent au commandement de rappeler au quotidien cette allégeance : la devise « Honneur et Fidélité » est particulièrement explicite à cet égard, le képi blanc est une source de fierté concrète, le culte des Anciens est entretenu par la commémoration des faits d’armes, de Tuyen Quang aux Adrars en passant par El Moungar, la percée de la ligne Hindenburg ou Dien Bien Phu, autant d’inspiration de l’esprit guerrier. Parmi ceux-ci, Camerone prend naturellement la première place : combat fondateur de la Légion, parangon de l’esprit légionnaire, il est commémoré chaque année partout où la Légion est présente et façonne méticuleusement l’esprit des cadres et légionnaires.
La mission, toute mission, est par définition sacrée : par simplicité, cohérence et efficacité, la frontière entre vie courante et engagement opérationnel est autant que possible estompée ; il n’y a pas de petite mission. Ce culte de la mission est admirablement résumé sur l’entrée nord du tunnel de Foum Zabel : « La montagne leur barrait la route. Ordre fut donné de passer quand même. La Légion l'exécuta » et, une fois encore, rappelée dans le code d’honneur du légionnaire. Cette affection se traduit naturellement par une volonté forte de maîtrise de l’ensemble des moyens au service de la mission, qu’ils soient technologiques ou plus rustiques, ainsi que par un esprit d’innovation permanent.
Ce besoin de références communes se retrouve également en organisation, avec le choix systématique de la structure régimentaire des unités de Légion. Ce qui semble naturel pour les unités de combat au titre de l’efficacité opérationnelle a été également conservé dans le socle afin de maintenir les repères hiérarchiques et d’entretenir l’esprit de corps. L’enracinement se fait donc pour le légionnaire à double niveau : dans le régiment, « creuset de l’esprit de corps dans l’armée de Terre », et dans la Légion tout entière.
Legio Patria Nostra : ancrer dans une famille, la solidarité Légion
Seconde patrie du légionnaire, la Légion établit avec ce dernier un contrat moral qui garantit au militaire à titre étranger servant ou ayant servi avec honneur et fidélité qu’il ne sera pas abandonné. C’est plus particulièrement le rôle de la maison du légionnaire inaugurée en 1934 par le général Rollet, père Légion, ainsi que de l’Institution des invalides de la Légion étrangère, créée vingt ans plus tard, deux structures ayant pour vocation l’accueil des anciens ou des légionnaires blessés. Le militaire à titre étranger blessé ou abandonné de tous trouvera toujours en la Légion une famille prête à l’accueillir.
Ce contrat moral fort qui fait de l’institution une famille d’accueil à part entière ne va pas sans contraintes ni sacrifices pour les familles des militaires qui y servent. Noël en est l’exemple le plus flagrant : « Noël est la fête de la « famille légionnaire ». […] A l’occasion de Noël, la Légion étrangère se substitue aux familles d’origine des légionnaires, déficientes ou absentes. » Les nombreux tatouages « Legio Patria Nostra », expression artistique de l’esprit de corps et de l’intégration à la famille combattante, témoignent de l’importance que revêt cette nouvelle dimension pour les légionnaires.
Le rôle de l’officier
Ici aussi, le rôle du chef et notamment de l’officier est particulièrement important, dans la mesure où il ne doit pas donner uniquement de sens à la mission mais également à l’engagement tout entier : matérialisant dans un premier temps le lien avec la France, il contribue à l’enracinement progressif par l’apprentissage de la langue et de l’histoire nationale, ainsi que par l’explication des rites et traditions de la Légion. Pour cette raison comme pour des mobiles opérationnels, « l’amour du chef, l’obéissance sont de plus pure tradition » à la Légion, puisque ce dernier est garant de la cohérence du système et contribue à irriguer les forces morales de la troupe. Cela l’oblige singulièrement.
En définitive, si le recrutement à titre étranger connaît une spécificité remarquable, celle de confier à des étrangers les armes de la France dès le temps de paix, l’esprit guerrier qui en découle ne diffère pas fondamentalement des autres unités. En revanche, la façon de le cultiver, en jouant des qualités et défaut d’une population extraordinaire, nécessite des mécanismes particuliers à manier avec exigence et bienveillance : il aboutit à l’esprit légionnaire, exclusivement au service de l’excellence opérationnelle.
Marquant un engagement intégral, l’esprit guerrier s’écrit en trait gras à la Légion et se nourrit de trois caractéristiques propres : une seconde chance qui oblige, le mécanisme d’amalgame qui pousse à l’extrême l’engagement, la rigueur et la cohésion, et la nécessité impérieuse d’enraciner le légionnaire dans une histoire et une famille communes. En opération, il se résume par l’article 6 du code d’honneur, aboutissement de l’état guerrier à la Légion et mantra martelé à froid et à chaud :
« La mission est sacrée, tu l’exécutes jusqu’au bout et, s’il le faut en opérations, au péril de ta vie ».
Lieutenant-colonel P. GRANGER
Chef du bureau études pilotage synthèse
Etat-major du commandement de la Légion étrangère