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20160928 - 1901-1935 : la Légion étrangère au Maroc

 

Au Maroc, les XVIIIe et XIXe siècles sont marqués par des désordres de plus en plus graves aussi bien dans le domaine intérieur que sur le plan international. L’Espagne et la France sont amenées à protéger leurs navires de commerce circulant en vue des côtes marocaines contre les attaques des pirates de Salé.

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À partir de 1830, la France doit interdire l’accès de la frontière algéro-marocaine aux pillards marocains et aux partisans d’Abd el-Kader réfugiés au Maroc oriental. Les exactions de ces deux groupes sont sanctionnées en août 1844 par le bombardement de Tanger et de Mogador par l’escadre du prince de Joinville, pendant que le général Bugeaud inflige une sévère défaite à l’armée marocaine sur l’oued Isly. Le problème de la sécurité de la frontière algéro-marocaine n’en est pas, pour autant, résolu. L’insécurité persiste jusqu’au xxe siècle, même après la signature par la France et le Maroc de la convention de Lalla-Maghnia portant sur ce que l’on a appelé par la suite la « zone des confins algéro-marocains ». La convention ne définit pas avec précision les territoires relevant de chacune des deux nations. Entériné par les nations européennes directement concernées par la sécurité de la navigation dans le détroit de Gibraltar et en Méditerranée occidentale, cet accord est contesté par l’Allemagne. Réputée se désintéresser des problèmes du Maroc après les déclarations du chancelier Bismarck, celle-ci n’a pas été consultée. L’empereur Guillaume II, ne s’estimant pas lié par ces accords, multiplie les incidents diplomatiques dirigés contre la France. Le plus grave est la visite qu’il fait à Tanger en 1905 où il prononce, le 31 mars, un discours par lequel il se proclame seul défenseur désintéressé du Maroc et signifie à la France, l’Espagne et l’Angleterre qu’il entend prendre part aux discussions que ces États auront entre eux à propos du Maroc. Simultanément, le Kaiser envoie à Fès un plénipotentiaire pour recommander au sultan de refuser le programme d’assainissement des finances proposé par la France en lui démontrant l’incompatibilité de celui-ci avec les conventions existantes. Le sultan repousse donc les mesures préconisées et invite les nations concernées, Allemagne comprise, à une conférence pour définir un programme acceptable de réformes à introduire dans son pays.

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Du 15 janvier au 7 avril 1906 se tient, à Algésiras, une réunion qui aboutit à la signature de l’acte dit « d’Algésiras » par lequel les cosignataires garantissent la paix et la prospérité du Maroc moyennant une refonte de son administration. Ils chargent la France d’assister le maghzen dans la définition et la mise en œuvre du plan de réformes conforme aux recommandations de la conférence.

Le maghzen ne met aucune bonne volonté à se plier aux conclusions de la conférence. Il encourage une campagne de xénophobie antifrançaise et, dans la zone des confins, algéro marocains, il pousse au rassemblement de harka (bandes armées) devant contrecarrer les mesures de sécurité prises par la France.

1901-1907 — les débuts de l’intervention de la légion au Maroc

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Durant la période comprise entre 1901 et 1907, la France hésite à adopter vis-à-vis du Maroc une attitude ferme et à utiliser le droit de suite que lui a accordé le sultan en 1901. Les opérations lancées le long de la frontière algéro-marocaine ne sont jamais poussées jusqu’à infliger une défaite sévère aux Marocains, ce que ces derniers interprètent comme une marque de faiblesse.

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Quoi qu’il en soit, avant 1907, la Légion a participé à des opérations de protection de la frontière. Sa contribution est assez difficile à cerner car, de 1901 à la fin de la pacification en 1935, elle n’a reçu qu’exceptionnellement une mission qui lui était propre. Le commandement n’éprouvait, pourtant, aucune réticence à l’employer. Il cherchait une méthode et des moyens pour riposter instantanément aux exactions des pillards. La création des compagnies montées de la Légion répondait au moins en partie à ce besoin. De plus, l’état-major mettait au point le concept de « colonnes autosuffisantes ». Composées d’éléments prélevés sur les corps des diverses armes, ces formations polyvalentes groupaient des unités d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie, du génie…, ensemble d’un maniement souple sur le terrain. Dans le cadre de cette stratégie, les deux régiments étrangers furent appelés à fournir aux colonnes soit un bataillon soit une ou plusieurs compagnies qui constituaient le « noyau dur » des colonnes. Au début du xxe siècle, c’est, le plus souvent, le 1er régiment étranger (re) qui détache des éléments auprès des colonnes opérant à la frontière marocaine, alors que le 2e re fournit renforts et relèves aux détachements de Légion d’Indochine et de Madagascar.

La colonne d’Igli

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Une des premières opérations de ce type fut « la colonne d’Igli », commandée par le colonel Bertrand. Composée d’un bataillon de la Légion renforcé de la compagnie montée du II/1er re, d’un bataillon du 2e régiment de tirailleurs algériens, d’une section d’artillerie, d’un demi-peloton de spahis et d’un demi-peloton de chasseurs d’Afrique, elle est rassemblée à Zoubia et se met en route le 25 mars 1900 pour atteindre Igli le 5 avril. Pour impressionner la population, la colonne, en arrivant, défile devant l’agglomération, fanions déployés, aux sons de la nouba des tirailleurs accompagnée par les clairons et les fifres de la Légion. Pour éviter tout incident avec les autochtones, le défilé passe à mille mètres des premières habitations.

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La mission paraît être de préparer à Igli l’installation d’un bataillon de la Légion qui y tiendra garnison pendant deux ans. Certains indices donnent, toutefois, à penser que le but visé est plus politique que militaire. La colonne doit montrer sa force sans, sauf cas de nécessité absolue, s’en servir. Elle doit, par sa présence, dissuader les Marocains d’aller piller en territoire algérien. En fait, son seul résultat est d’obliger le Maroc à abandonner un projet de mainmise sur la palmeraie d’Igli. La colonne quitte la zone le 9 novembre 1900 sans y laisser une formation de la Légion, et rentre à Sidi-bel-Abbès.

Combat d’El-Moungar

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Le 2 septembre 1903, le 2e peloton de la 22e compagnie/2e re escortant un convoi de ravitaillement des postes des oasis présahariennes débouche vers 9 heures du matin dans la plaine d’El-Moungar. Pris à partie par plusieurs centaines de guerriers Doui Mena et Ouled Djerid, il combat de 9 heures 45 à 18 heures. En plus du capitaine Vauchez et de son adjoint, le lieutenant Selchauhansen, officier danois servant à titre étranger, mortellement blessés, les pertes s’élèvent à trente-quatre tués et quarante blessés. Le combat d’El-Moungar est, pour le 2e re, l’équivalent de ce qu’est le combat de Camerone pour l’ensemble de la Légion. Chaque année, toutes les formations du 2e re se recueillent en mémoire des héros d’El-Moungar qui ont respecté jusqu’au sacrifice suprême la parole donnée de servir avec « honneur et fidélité ». La nouvelle de ce combat provoqua en métropole une émotion considérable, l’opinion publique jugeant inefficaces les opérations sur la frontière algéro-marocaine et insuffisants les ordres donnés par les divers gouvernements parisiens pour interdire le territoire algérien aux pillards marocains.

Le colonel Lyautey commandant de la subdivision d’Aïn-Sefra

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Le gouverneur général de l’Algérie, Charles Jonnart, qui vient de remplacer dans cette fonction le gouverneur général Laferriere, partage l’inquiétude de la nation. Il réclame au ministre de la Guerre la nomination au commandement de la subdivision d’Aïn-Sefra d’un officier énergique ayant l’expérience des opérations de pacification, capable, en outre, de créer une administration adaptée aux besoins de populations peu évoluées. Il suggère de confier ce commandement au colonel Lyautey qui, sous l’autorité du général Gallieni, a obtenu de brillants résultats aussi bien à Madagascar qu’en haute région du Tonkin. Le ministre se laisse persuader que le colonel Lyautey est l’homme de la situation. D’ailleurs, ce dernier souhaite obtenir un commandement plus actif que celui du 17e régiment de hussards en garnison à Alençon où il se morfond. La suggestion du gouverneur Jonnart est adoptée sur-le-champ et, en septembre 1903, le colonel qui vient d’être promu général de brigade rejoint Aïn-Sefra.

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Le plan d’action qu’il met au point ne tient compte que de très loin des instructions de « prudence » reçues du ministre de la Guerre. Ce dernier lui a stipulé, qu’en aucun cas, les opérations militaires ne devraient donner prétexte au déclenchement d’un incident diplomatique par l’une des nations hostiles à l’implantation de la France au Maroc. Les missions fixées par le général précisent, en effet, qu’en cas de nécessité, les troupes transiteront par des secteurs dépendant du Maroc et que, dans des cas extrêmes, elles pourront s’installer « temporairement » sur des territoires plus marocains qu’algériens.

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Dès le mois de novembre 1903, ces opérations commencent. Les 2e et 3e compagnies montées du 1er re intégrées dans la colonne du chef de bataillon Pierron quittent Aïn-Sefra en direction de l’ouest/sud-ouest, et arrivent en bordure du plateau dominant la palmeraie de Béchar. Un poste est construit, et des travaux de piste reliant la position à Aïn-Sefra sont entamés. Cette implantation provoque une vive émotion dans les milieux gouvernementaux de Paris qui réclament des explications au général. Se sachant couvert par le gouverneur Jonnart, il répond que ses troupes ne sont pas à Béchar mais seulement à Colomb, lieu-dit inconnu de Paris mais existant réellement à proximité de Béchar sous le nom de Tagda. Le nom de Colomb, patronyme d’un officier français tué dans le secteur, sera, par la suite, associé à celui de Béchar pour devenir jusqu’à nos jours Colomb-Béchar.

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Simultanément, le général fait construire des postes à Forthassa-Gharbia, Bou-Aïech et Talzaza ; il fait réaliser l’embryon d’un réseau de pistes facilitant la surveillance du territoire et le cheminement des convois de ravitaillement. Des reconnaissances sont poussées vers la vallée du Guir et à la périphérie de la hamada (plateau désertique délimité d’ouest en est par les vallées des ouadi Ziz et Guir). En 1904, un autre poste est implanté à Berguent, en territoire marocain, à la limite nord des hauts plateaux. Cette nouvelle installation provoque, comme l’arrivée à Colomb (Béchar), une forte émotion au sein du gouvernement et une nouvelle demande d’explications. Le général Lyautey répond sèchement en menaçant de démissionner. Le gouverneur général Jonnart fait savoir, de son côté, qu’il approuve totalement la stratégie du général, et souligne que le nouveau poste permettra de surveiller en permanence le débouché du col de Jerada, point de passage obligé des rezzou lancés par les tribus marocaines nomadisant près de la vallée de la Moulouya. La construction du nouveau poste terminée, celui-ci est occupé par la 3e compagnie montée/1er re renforcée d’un peloton de spahis. En 1907, une piste reliant Mecheria en Algérie à Berguent sera réalisée sous la direction du lieutenant Rollet, alors officier à la suite dans cette compagnie.

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En 1905, des reconnaissances sont effectuées dans le nord-est du Maroc, autour de la vallée de la Moulouya sur les zones de parcours des tribus Beni Snassen, et au sud sur la hamada du Guir, au sud et autour de Colomb-Béchar.

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L’ensemble de ces mesures entraînent une diminution du pillage des ressources algériennes, mais cette amélioration n’est le fait que des fractions vivant près de la frontière. Les tribus plus éloignées de la frontière, dorénavant coupées des ressources procurées par le pillage, cherchent à trouver d’autres sources d’approvisionnement. Les informateurs de la subdivision d’Aïn-Sefra et de la division d’Oran signalent qu’autour d’Oujda, dans le nord-est du Maroc et dans les palmeraies du sud, des harka préparent des expéditions en territoire algérien.

À l’intérieur de l’empire chérifien, la situation continue à se détériorer : aucun effort n’est fait pour assainir les finances du pays ; les attentats contre les étrangers, et plus spécialement contre les Français, se multiplient ; les attaques d’établissements européens sont de plus en plus fréquentes.

La situation devenant intolérable, après l’assassinat à Marrakech du docteur Mauchamp, ressortissant français, le gouvernement se décide à autoriser, au début de 1907, le général Lyautey à entreprendre une action militaire au Maroc oriental.

1907-1919 — la Légion et les débuts de la pacification

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Les opérations en territoire chérifien débutent en 1907 dans la zone accessible depuis l’Algérie. Au mois de mars, des éléments de la division d’Oran occupent Oujda, métropole du Maroc oriental, mais elles ont ordre de ne pas pénétrer de plus de dix kilomètres à l’ouest de la ville. Le gouverneur général Jonnart préconise, au contraire, d’occuper, « dans la foulée » Cheraâ, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest d’Oujda, pour enfermer les Beni Snassen dans leur massif montagneux. Il fait valoir à Paris que la demi-mesure autorisée par le gouvernement est, aux yeux des Marocains, une preuve de faiblesse qui les incitera à s’opposer à l’occupation de leur territoire. Il réussit à faire revenir sur sa décision le gouvernement qui finit par autoriser l’isolement du massif.

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La Légion étrangère participe à ce premier mouvement par des éléments du V/1er re associés à des unités de tirailleurs algériens et de zouaves. La majorité des légionnaires stationnés dans l’ouest du département d’Oran, alors occupés à terminer la réalisation de diverses pistes constituant l’ébauche d’un réseau de communications routières avec le Maroc, ne peut participer aux opérations. La 3e compagnie montée/1er re, basée à Berguent, peut être envoyée le 1er décembre 1907 à Oujda où elle rejoint dans la colonne du colonel Félineau les 1re, 4e, 17e et 19e compagnies du 1er re. Le 13 décembre, la colonne progresse vers l’ouest, traverse l’oued Isly et va stationner, l’arme au pied, pendant trois heures, devant Ain-Sfa sans riposter aux tirs sporadiques venus du douar, puis elle se retire sur le bord de l’oued. Le 15 décembre, laissant leurs mulets dans la vallée de l’Isly, les cinq compagnies de la Légion repartent en tête de la colonne en direction d’Ain-Sfa. Elles avancent jusqu’à deux cents mètres des premières maisons. Les tirs de soutien de l’artillerie tombant cinquante mètres derrière le front des unités, le commandement fait replier celles-ci, geste de pacification dans la ligne politique qu’appliquera le général Lyautey sur l’ensemble du territoire marocain. Le résultat de cette mesure est la soumission sans combat en quelques semaines de 30.000 Beni Snassen.

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Le commandement peut alors, dès le début de 1908, déplacer la majeure partie des unités présentes dans l’amalat d’Oujda vers le sud pour s’opposer à la marche des harka venant du Tafilalet et de la vallée du Guir. Trois colonnes comptant chacune une des compagnies montées du 1er re marchent vers la palmeraie de Bou-Denib où se trouve la harka de Moulay-es-Sebaï, adversaire acharné de la France et du sultan. Le 14 avril 1908, la 3e compagnie montée/1er re atteint dans la palmeraie le ksar cœur de la résistance. Une section de la compagnie tente de pénétrer dans le fort en empruntant une brèche ouverte par un obus, mais elle est repoussée avec des pertes importantes. Les légionnaires n’atteignent leur objectif qu’après élargissement de la brèche par l’artillerie. Abandonnant ses morts, la plupart de ses blessés, ses tentes et ses vivres, la harka s’enfuit vers l’ouest dans les contreforts du Grand Atlas.

L’importance stratégique de Bou-Denib est telle que les compagnies montées reçoivent l’ordre d’y construire, en deux mois, un poste pouvant abriter 1 500 hommes et 550 animaux ainsi qu’une redoute abritant des mitrailleuses et comportant des plateformes pour canons de 75 mm et de 80 mm de montagne. Le 30 août 1908, cet ouvrage, tenu par deux compagnies montées du 1er re, est attaqué par une harka de 20 000 hommes qui, après dix-huit heures d’assauts inefficaces, abandonne la partie en laissant 173 corps sur le terrain.

Le débarquement de Casablanca

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Alors que le général Lyautey réussissait en 1907-1908 ses premières opérations au Maroc oriental, la situation des Européens installés aux alentours de Casablanca et dans la ville continuait à se dégrader. La construction d’une jetée, embryon du port de commerce actuel, se heurtait à l’hostilité des Marocains qui attaquaient le chantier et en détruisaient le matériel. Le 30 juillet 1907, ils assassinaient neuf Européens dont cinq Français, et assiégeaient les consulats étrangers.

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Conformément aux accords d’Algésiras, la France, chargée d’assurer la sécurité du territoire et de défendre la légitimité du sultan, mit à terre, le 5 août, un détachement de fusiliers marins pour protéger les consulats. Ce détachement perdit son chef et eut cinq hommes blessés en entrant en ville. Le 7 août, un corps de débarquement de 2 000 hommes aux ordres du général Drude releva les marins. Sa mission, bien que plus étendue que celle des marins, est limitée par Paris à l’agglomération de Casablanca et à sa banlieue immédiate ; il ne peut s’emparer de positions stratégiques autour de la ville.

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La Légion participe à cette opération par le VI/1er re débarqué le 7 août. Ce bataillon, commandé par le chef de bataillon Provost, doit repousser les assauts quasi quotidiens lancés par les Chaouia. Le 8 août, en défendant la face nord du camp numéro 1 où il bivouaque, le bataillon déplore son premier mort, le légionnaire Motz ; le 3 septembre, le commandant Provost, menant son bataillon à l’assaut de la crête de Sidi-Moumen située à moins de dix kilomètres à l’est de la ville, tombe à son tour. Le 2 septembre 1907, le corps de débarquement reçoit le renfort du VI/2e re suivi, deux jours plus tard, par le I/2e re. Installés au camp « Sud Ville », ces deux formations groupées administrativement forment le 1er régiment de marche/2e re (1er rm/2e re) commandé par le colonel Boutegourd. Ils repoussent, indépendamment l’un de l’autre, les attaques désordonnées mais violentes des tribus contre le chantier de la jetée et la ville. Dès les premiers combats, il est évident que respecter les ordres reçus de Paris et abandonner immédiatement le terrain occupé pendant les sorties aboutit à une situation absurde : Casablanca n’est qu’une position d’où il est de plus en plus difficile de déboucher. Pour sortir de cette situation, le 1er janvier 1908, le général Drude, contrevenant aux prescriptions du ministre, fait occuper Mediouna, agglomération distante de dix-huit kilomètres au sud de Casablanca puis, au lieu d’évacuer la place et de revenir à Casablanca, il y crée une garnison. Son successeur, le général d’Amade, adopte la même attitude : après avoir occupé Berrechid, il progresse vers le sud et s’empare de Settat après un dur combat mené par des éléments du 1er rm/2e re. L’activité incessante des troupes, l’omniprésence sur le terrain des compagnies montées de la Légion et l’action du service de santé auprès de la population aboutissent à la soumission de la très grande majorité des tribus Chaouia.

Les étapes de la pacification du Maroc, bien qu’encore peu discernables, se précisent :

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  • soumettre, avec Casablanca comme base arrière, les tribus de la Chaouia en assurant la couverture lointaine de la ville par la construction de camps ou de postes à Boucheron, Ben-Ahmed et Ben-Slimane ;

  • reconnaître la côte atlantique au sud-ouest de Casablanca jusqu’à l’embouchure de l’Oum-er-Rebia ;

  • étendre progressivement les territoires soumis jusqu’au piémont du Moyen Atlas en refoulant les irréductibles dans la montagne.

Une fois la sécurité assurée à l’intérieur du périmètre délimité par les postes périphériques, les troupes commenceront à réaliser des infrastructures devant permettre l’évolution du Maroc vers la modernité : réseau routier, lignes télégraphiques, infirmeries, travaux d’irrigation…

À partir du mois d’août 1908, les opérations, au Maroc occidental, visent, au sud de Casablanca, à consolider la position de Settat. Le succès des actions entreprises permet au gouvernement de ramener en Algérie, le 1er août le VI/1er re, puis le 29 octobre le IV/2e re. À Casablanca seul reste le I/2e re qui, groupé avec le 4e régiment de zouaves, constitue un régiment de marche chargé d’aménager, à l’intérieur de la zone contrôlée, des camps militaires, de construire un réseau de routes et de pistes et d’assainir les secteurs insalubres. À Settat, limite sud de la zone, la 2e compagnie/1er rm/2e re du capitaine Rollet protège les travaux d’installation du bac de Mechra-ben-Abbou sur l’Oum-er-Rebia. Elle participe ensuite à la colonne du Cba Aubert de l’infanterie coloniale qui doit barrer la route de Fès à une harka rassemblée au sud d’Agadir, dans la région de Tiznit, qui marche sur Fès pour déposer le sultan. La mission de la 2e compagnie/1er rm/2e re, du 5 juin au 11 juillet 1910, consiste à protéger les convois de ravitaillement des unités combattantes. Le 5 août, une colonne d’« observation » est rassemblée à Guisser à trente kilomètres au sud/sud-est de Settat sous les ordres du Cba Forey. Elle comprend la compagnie Rollet, la compagnie Arqui (4e compagnie/2e re), une compagnie du 4e régiment de tirailleurs, un demi-escadron de spahis, une demi-batterie de 75, la section de mitrailleuses du 2e re et une section d’ambulances. En dépit de sa composition à but opérationnel, la colonne n’effectue que des reconnaissances et des tournées de police autour de Guisser. Les populations ne lui manifestent aucune hostilité ; elles attendent le passage de la colonne pour vendre aux militaires œufs et poulets, quémander du sucre et de la farine, et surtout pour bénéficier des soins donnés par le médecin et ses infirmiers, première manifestation de la politique de séduction des autochtones du général Lyautey.

Hostilité de l’Allemagne

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Cette politique irrite l’Allemagne qui souhaite établir des relations commerciales avec le Maroc indépendamment de la France avec laquelle les rapports sont toujours aussi tendus. Le consulat d’Allemagne de Casablanca, transformé en officine de désertion, facilite le retour en Allemagne de ses nationaux « déçus de la Légion », et sert de refuge aux déserteurs avant leur embarquement sur un navire allemand. Un soir de septembre 1908, le chancelier du consulat escorte des déserteurs jusqu’au bateau battant pavillon allemand qui doit les rapatrier. Avant d’arriver au point d’embarquement, le groupe est arrêté par une patrouille de légionnaires qui, reconnaissant les déserteurs, les conduit au pc de la place et refuse de les remettre au consul.

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Le 1er juillet 1911, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris annonce au ministre des Affaires étrangères que son gouvernement va envoyer à Agadir un navire de guerre pour défendre les intérêts allemands menacés dans cette zone par des Marocains révoltés. Il ajoute que, compte tenu de l’insécurité en terre chérifienne, l’Allemagne considère que l’acte d’Algésiras est caduc. De nouvelles discussions entre l’Allemagne et la France sont nécessaires afin de régler entre les deux États les intérêts de chacun. Quatre mois de tractations furent nécessaires pour régler tous les points litigieux et obtenir l’abandon par l’Allemagne de ses revendications moyennant des compensations territoriales en Afrique équatoriale. Enfin, la convention franco-allemande du 4 novembre reconnaissait à la France le droit de conclure un traité de protectorat avec le Maroc.

La révolte de Fès

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Les mehalla chérifiennes, n’ayant plus été payées depuis des mois, se révoltent, le 28 mars 1911. Elles entraînent avec elles les tribus berbères de la périphérie de Fès et assiègent la ville. Le sultan demande à la France d’intervenir en venant au secours de sa capitale.

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Chargé de dégager Fès, le général Moinier rassemble à Kenitra un groupement formé d’unités pouvant, sans risque majeur, être retirées des opérations en cours pour marcher sur Fès. Ce groupement est scindé en trois colonnes. L’une d’elles, aux ordres du colonel Gouraud, comprend un bataillon du 4e zouaves, un bataillon du 3e tirailleurs, la 3e compagnie montée/1er rm/2e re du capitaine Rollet et un convoi de ravitaillement.

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Partie de Kenitra le 11 mai 1911, la colonne Gouraud est harcelée, dans la nuit, à Lalla-Ito, par des Zemmour que repousse la compagnie Rollet. Longeant la rive gauche de l’oued Sebou, elle traverse ensuite des merja (marécages asséchés) couvertes d’herbes sèches d’une densité telle que la marche des hommes et des mulets en est ralentie. La compagnie Rollet, le plus souvent en avant-garde, n’a plus l’occasion de combattre, les Marocains ne s’opposant pas au passage de la colonne. La traversée du massif du Zegota ne rencontre pas de résistance et le 21 mai, après avoir traversé la plaine du Zais, la compagnie montée va installer son bivouac en face du palais du sultan à Fès-Jdid (Fès ville nouvelle). À partir du 25 mai, elle escorte des convois de ravitaillement empruntant la piste de Kenitra à Fès. Elle se heurte, dans la montagne, à des fractions des Beni M’Tir qui lui causent quelques pertes. Pour contrôler la piste entre le col du Zegota et le massif des Beni Ahmer, elle construit un poste à la N’Zala des Beni Ahmer. Vers le sud, en direction d’El-Bhalil et de Sefrou, elle reconnaît les premières pentes du Moyen Atlas en repérant les itinéraires praticables pour les colonnes qui soumettront, à une époque encore indéterminée, les Berbères du Moyen Atlas.

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Le commandement, une fois la région de Fès pacifiée, détermine les projets majeurs de mise en valeur des territoires que contrôlent ses unités. Priorité est donnée au projet d’une route reliant directement Casablanca et Rabat à Meknès et Fès en évitant le détour par Kenitra et la traversée du Gharb. Ce projet est accueilli très favorablement par certaines fractions des Zemmour, et les premières reconnaissances sont lancées à partir de Fès et de Meknès jusqu’à Tiflet, à cinquante kilomètres à l’est de Rabat. Une piste est aménagée de Tiflet à Meknès avec le concours de la compagnie montée Rollet. La chaleur qui s’ajoute à la fatigue des légionnaires, en opérations sans interruption depuis le mois de mai, provoque une épidémie de fièvre typhoïde dont les seules victimes sont le lieutenant Allote de La Faye, décédé le 13 septembre à l’hôpital de Fès, et le légionnaire Kollsen, mort trois jours plus tard.

À la fin de 1911 et dans les premiers mois de 1912, la compagnie montée/1er rm/2e re reçoit une série de missions très diverses : chantier d’amélioration de la piste Meknès-Fès au pont de l’oued Ouislam, opération de police dans la vallée de l’oued El-Kell, escorte d’une reconnaissance évaluant la possibilité d’approvisionner Fès par voie fluviale empruntant le cours du Sebou, opération contre les Beni M’Tir et les Aït Youssi sur les premières pentes du Moyen Atlas, destruction de la casbah du caïd Raho, nettoyage du secteur de Sefrou et occupation de la ville le 12 janvier 1912. L’ensemble de ces opérations, aussi impressionnant qu’il soit, ne répond qu’à des besoins tactiques instantanés. Il ne s’inscrit pas dans une stratégie d’ensemble, impossible à définir en raison du manque d’effectifs, car les unités engagées dans une opération de pacification n’étaient pas en mesure, dans la majorité des cas, d’occuper le terrain conquis.

Le protectorat et le général Lyautey, résident général de France au Maroc

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Le 30 mars 1912, le gouvernement français, conformément à l’accord franco-allemand du 4 novembre 1911, signe avec le sultan un traité de protectorat par lequel la France prend en charge les relations du Maroc avec les nations étrangères, les finances du pays, la police, l’armée, la santé publique… Cet accord est très contesté par le maghzen et par l’armée.

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Le 17 avril 1912, les tabors chérifiens (éléments de l’armée du sultan) en garnison à Fès se mutinent. Ils massacrent leurs officiers et soulèvent la population de la médina contre les Européens qui doivent se réfugier à l’intérieur d’un périmètre de défense. La révolte gagne la montagne d’où descendent 20 000 guerriers qui assiègent la ville.

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Le gouvernement français auquel le traité de protectorat a confié la responsabilité de l’ordre public doit ramener le calme au Maroc. Il fait appel au général Lyautey qu’il nomme, par décret du 28 avril, résident général de France au Maroc. Arrivé à Fès le 23 mai, le Résident lance, avec le peu de troupes dont il dispose, une série de petites opérations qui, en l’espace de deux mois, rejette les révoltés en direction du nord dans le Rif et au sud dans le Moyen Atlas. La compagnie montée Rollet commence par chasser les maraudeurs des jardins situés en contrebas du secteur oriental de la ville ; elle détruit les passerelles qu’ils ont lancées sur le Sebou. Les insurgés défendent leurs positions avec un tel acharnement que la compagnie doit donner l’assaut à un mamelon d’où partent des feux nourris et ajustés. En juillet, l’action est orientée au nord de Fès sur la rive gauche de l’Ouerrha pour créer un glacis de protection lointaine de la ville ; le 6 juillet, les légionnaires livrent un combat à Souk-el-Tnine, et le lendemain à Moulay-bou-Chta. Au cours de ces deux engagements, un caporal et un légionnaire sont tués et quatre légionnaires blessés.

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Revenue à Fès, la compagnie s’installe avec des unités de tirailleurs nord-africains et sénégalais au camp de Dar-Mahrès où sera installée la portion centrale du 3e rei en 1924. Les travaux d’aménagement du camp qui lui sont assignés doivent être interrompus pour combattre une fraction des Beni M’Tir retranchée au Djebel-Kandar, dans le Moyen Atlas, et reconnaître le secteur d’Immouzer du Kandar.

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Les objectifs fixés par le général Lyautey une fois atteints et l’insurrection domptée, les résultats doivent être consolidés par la mise en œuvre d’un programme de présence sur le terrain en évitant de recourir à la force, la faiblesse des effectifs ne le permettant pas.

La compagnie Rollet commence, en novembre 1912, la construction de la piste reliant Fès à Petitjean et Kenitra par le col du Zegota. Entre le 6 novembre 1912 et le 14 avril 1914, date de l’ouverture de la piste à la circulation, les travaux sont interrompus à plusieurs reprises pour procéder à des opérations de pacification au nord, à l’est et au sud de Fès.

Liaison entre le Maroc occidental et oriental

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Au Maroc oriental, les colonnes venant d’Oujda arrivent à Guercif après avoir maîtrisé l’opposition des fractions occidentales des Beni Snassen. La perspective d’un conflit armé avec l’Allemagne oblige à réaliser rapidement la jonction à l’est et à l’ouest du Maroc, et à relier par voie terrestre la Tunisie et l’Algérie à la côte atlantique du Maroc par suppression de la solution de continuité entre Fès et Taza.

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La compagnie montée du capitaine Rollet, intégrée dans le groupement du général Gouraud, quitte Fès, le 27 avril 1914. Détachée à l’avant-garde en soutien de la cavalerie, elle participe à la reconnaissance du terrain jusqu’à la crête dominant la vallée de l’Ouerrha. Les jours suivants, toujours à l’avant-garde, elle progresse en direction de l’est et combat, le 10 mai, au djebel Tfazza contre les guerriers Rhiata. Le 12 mai, elle participe à l’attaque contre les guerriers d’El-Hadj-Ami et contre les Tsoul, puis va cantonner au camp de l’oued Amelil et fait, le 16 mai à 15 heures, sa jonction à Meknassa-Tatania (à l’ouest de Taza) avec un élément du groupement du général Baumgarten venant d’Oujda.

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Le 17 mai, le groupement du général Gouraud rejoint Taza où le général Lyautey, avant de passer en revue les deux groupements, constate officiellement la continuité territoriale existant dorénavant entre Tunis, Alger et Rabat/Casablanca.

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À la fin mai 1914, le protectorat français du Maroc couvre :

  • d’est en ouest, depuis la frontière algérienne jusqu’aux premiers contreforts de l’Atlas, et du nord au sud, depuis la côte de la Méditerranée jusqu’au parallèle de Colomb-Béchar, une zone de cultures puis de hauts plateaux sur lesquels ne pousse que de l’alfa ;

  • à l’ouest, entre la côte atlantique et le Moyen Atlas, et du nord au sud, de la chaîne du Rif au piémont du Haut Atlas, un vaste territoire agricole coupé de collines de faible altitude. Le Maroc oriental est relié au Maroc occidental par le couloir de Taza qui culmine au col de Touahar.

Le programme du général Lyautey

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Dans un rapport adressé au ministre de la Guerre, le Résident trace les grandes lignes du plan de pacification du protectorat qu’il se propose de réaliser. Passant en revue les zones encore dissidentes, principalement les chaînes du Moyen et du Haut Atlas, il compare celles-ci à une besace. Le sac septentrional, limité au nord par la ligne Meknès, Fès, Taza et Guercif, est limité à l’est/sud-est par les hauts plateaux des confins algéro-marocains et au sud/sud ouest par une ligne reliant Meknès à Ksar-es-Souk (aujourd’hui Er-Rachidia). Le sac méridional comprend la partie sud/sud-ouest du Moyen Atlas, le Haut Atlas et l’Anti-Atlas ; il est bordé à l’ouest par les plaines des Beni Amir et des Beni Moussa et la plaine de Marrakech ; enfin, à l’est, par les hamadas du Dra et du Guir. Soulignant l’hétérogénéité ethnique de chacune de ces zones, il en déduit son programme de pacification : dans un premier temps, isoler l’un de l’autre les deux sacs, puis réduire, dans une deuxième période, le sac septentrional occupé correspondant en gros à la tache de Taza qui menace le couloir de liaison entre Algérie et Maroc ; la pacification du sac méridional fera l’objet d’une troisième phase.

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La déclaration de guerre de l’Allemagne à la France puis la campagne contre Abd el-Krim dans le Rif retarderont jusqu’en 1926 la réalisation de ce programme.

La Légion au Maroc pendant la Première Guerre mondiale

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La déclaration de guerre d’août 1914 oblige le gouvernement à transférer en métropole la quasi-totalité des troupes du Maroc. En ce qui concerne la Légion, seuls sont envoyés en Algérie les légionnaires qui ne sont pas citoyens allemands ou autrichiens, le gouvernement se refusant à faire combattre ceux-ci contre leurs patries respectives.

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Les formations de la Légion restées au Maroc, après les prélèvements ordonnés par Paris, étaient les 1er, 2e et 6e bataillons du 1er re formant le 1er rm/1er re, 1es 3e et 6e bataillons du 2e re formant le 1er rm/2e re, auxquels s’ajoutent deux compagnies montées du 1er re et la compagnie montée du Maroc, la compagnie montée/1er rm/2e re. Toutes ces unités n’ont qu’un effectif réduit. En compensation de ces prélèvements, la métropole envoya quelques bataillons de territoriaux qui devaient démontrer aux Marocains que la France restait présente au Maghreb.

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Par ailleurs, le ministère prescrivait de rassembler les forces restantes à proximité de la côte atlantique et d’abandonner l’intérieur du pays. Le général Lyautey, convaincu qu’un tel recul entraînerait, à brève échéance, la perte de la totalité du pays, maintint, en dépit des ordres reçus, une présence militaire en bordure des zones dissidentes.

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Les faits lui donnèrent raison. Les Tsoul, armés et soutenus financièrement par l’Allemagne, attaquent le couloir de Taza le 9 août 1914. Le 6 septembre, la 1re compagnie montée/2e re est accrochée sur l’Innaouen. Le 13 novembre, une reconnaissance dans le Moyen Atlas dirigée par le colonel Laverdure contre Kenifra, capitale de Moha ou Hamou, caïd des Zaian, tombe dans une embuscade. Elle est entièrement détruite, et la colonne de secours ne peut qu’ensevelir les morts en subissant, elle-même, des pertes. L’année 1915 est tout aussi agitée : le VI/1er rm/2e re participe, le 16 janvier, à une opération contre M’Rirt et la vallée du Guigou ; dans la vallée de l’oued M’çoun, le contrôle permanent du secteur ne peut être exercé qu’en construisant le poste de Bou-Ladjeraf ; le 1er mai, la compagnie montée du Maroc nettoie la région de Si-Ahmed-Zerouk et y construit un poste ; à la limite du Moyen Atlas, la tribu des Branes, alliée aux Beni Ouriaghel, harcèle convois et colonnes ; il faut trois engagements violents pour en venir à bout. En 1916, les reconnaissances du versant occidental du Moyen Atlas se multiplient dans la région d’Ifrane, dans le secteur du Tadla et en bled Zaian. Au printemps, la région de Bou-Denib s’agite et doit être reprise en main, ce qui donne lieu à plusieurs engagements mettant en jeu le VI/1er rm/2e re et la 1re compagnie montée/rm/1er re. En 1917, dès le 2 janvier, le I/1er rm/1er re entame dans le Tadla des opérations contre les Zaian, alors que commence la séparation des deux sacs de la besace imaginée par le résident général. Le 17 juin 1917, le groupe mobile de Meknès se relie à celui de Bou-Denib. Mais ils ne se sont rendus maîtres que d’un étroit couloir que les convois ne parviennent à emprunter qu’en organisant de véritables opérations de guerre.

Aucune grande opération n’a lieu en 1918. L’érosion des effectifs du Maroc aggravée par les envois de renforts en métropole interdit la poursuite de la pacification. Le 11 novembre 1918, les effectifs très réduits restés sur le sol marocain avaient réussi à conserver l’intégralité du protectorat français sur le Maroc. Les dissidents, toujours travaillés par la propagande allemande, refusèrent de croire à la défaite de l’Allemagne et continuèrent leur combat. La libération des classes appelées pendant les hostilités et le retour en métropole des territoriaux envoyés au Maroc en 1914 provoquèrent une crise des effectifs européens et de l’encadrement des troupes indigènes. Informé des problèmes que posait, alors, au commandement la présence en Algérie du régiment de marche de la Légion (rmle) qui, régiment de marche et non régiment organique de l’armée française, risquait d’être dissous à brève échéance, le Résident obtint du ministre le transfert de cette unité au Maroc afin de pallier, ne fût-ce que partiellement, cette crise.

La Légion dans la pacification, 1920-1935

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Le 27 octobre 1919, le rmle arrive à Oujda. Il rejoint Taza d’où, pendant trois semaines, deux de ses compagnies pourchassent jusqu’aux abords du Rif des bandes armées qui refusent le combat et se réfugient au Maroc espagnol. Ces compagnies sont ensuite dirigées sur Meknès où doit stationner le régiment.

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L’arrivée du rmle représente, en valeur absolue, un faible apport numérique pour les formations européennes, son effectif de 994 officiers, sous-officiers et militaires du rang est inférieur à l’effectif normal d’un bataillon. Il permet d’augmenter de 85 % l’effectif de 1 200 légionnaires que comptent les quatre bataillons formant corps du 1er et du 2e re et les trois compagnies montées présentes au Maroc.

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Sachant que seule la Légion parviendra à lui apporter les effectifs qui lui sont nécessaires, le général Lyautey charge le lieutenant-colonel Rollet d’étudier une réorganisation de la Légion au Maroc. Après des discussions serrées, le ministère de la Guerre autorise :

  • l’affectation aux formations du Maroc de plus de la moitié des engagés volontaires au titre de la Légion ;

  • la transformation du rmle en régiment organique des troupes du Maroc ; il devient 3e régiment étranger d’infanterie (rei) et est affecté à Fès ;

  • le transfert d’Algérie au Maroc du 2e re qui devient 2e rei en garnison à Meknès ;

  • la création du 4e rei par groupement des bataillons formant corps des 1er et 2e re stationnés au Maroc avec implantation à Marrakech.

La création de ces régiments à effectif complet est rendue possible grâce à l’afflux de volontaires russes fuyant le régime des Soviets et de germanophones auxquels leurs pays ne peuvent fournir un emploi.

La reprise de la pacification

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Jusqu’en 1919, la pacification n’avait concerné que le « Maroc utile » et les abords des Moyen et Haut Atlas. À partir de 1920, elle vise les tribus berbères peuplant des zones montagneuses, forteresses naturelles où sont organisés des embuscades contre les patrouilles et les convois militaires et des raids contre les tribus ayant fait leur soumission.

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L’année 1920 est consacrée à la mise en place des régiments et à l’instruction des unités. Les recrues doivent être initiées aux particularités du combat au Maroc et être convaincues que la guerre n’y a rien de commun avec ce qu’ils ont pu connaître entre 1914 et 1918 contre les Alliés. Ils doivent comprendre qu’au Maroc, il est impossible de procéder par chocs frontaux contre un adversaire très mobile qui a une connaissance approfondie du terrain. Il faut apprendre à manœuvrer en tirant parti de la configuration du terrain et faire preuve de souplesse dans la manœuvre.

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Pendant cette période, le 3e rei, premier régiment prêt à prendre part aux opérations, a pour mission de compléter un réseau de postes orienté au nord face à la chaîne du Rif et au sud face au Moyen Atlas, pour protéger la piste et le chemin de fer à voie étroite de Fès à Taza. Il garde un bataillon en réserve à Fès. Le 2e rei, après son transfert d’Algérie au Maroc, commence par repousser, entre Fès et Taza, les Beni Ouarain vers le sud afin de mettre le cordon ombilical entre Maroc occidental et Maroc oriental hors de portée des Berbères du Moyen Atlas.

49

En 1921, les objectifs consistent, d’une part à en finir avec la dissidence au Tadla et en bled Zaian qui menace encore les zones de cultures au pied du Moyen Atlas, d’autre part à créer ensuite une liaison entre Meknès et Fès d’un côté et Midelt de l’autre en passant par le col du Zad.

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Le III/3e rei intégré dans le groupe mobile de Fès participe aux opérations de Kesmat-el-Khamis et de Kassiona avant de rejoindre, en juillet, le II/3e rei à Bekrit en limite nord du bled Zaian, puis de construire un poste au djebel Ayhoum. Le I/3e rei conquiert le marabout de Si-Ahmed-el-Monedden et construit un poste sur le lieu du combat. Un détachement du 4e rei défait les dissidents sur l’oued Oughziat, et le IV/4e rei occupe en avril Gheuder. À la fin de l’année, les objectifs fixés par le Résident sont atteints : les Zaian ont fait leur soumission, et le poste de Bekrit qui contrôle la zone à l’ouest de la piste Azrou/Midelt a été dégagé, mettant la liaison Meknès-Midelt à l’abri des incursions d’insoumis.

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En 1922, l’objectif prioritaire est la réduction de la tache de Taza. Deux bataillons du 2e rei entrent, l’un (III/2e rei) dans la composition du groupe mobile du général Decherf avec lequel il remonte le cours de la Moulouya et occupe les postes du secteur d’El-Menzel. Le II/2e rei assure l’escorte de convois avant de rejoindre le groupe du général Aubert qui, marchant du nord au sud contre les Marmoucha, parvient à rejeter une partie des dissidents vers le cœur du Moyen Atlas. Les II et III/3e rei rejoignent le III/2e rei dans le groupement du général Decherf pour réduire le massif du Tichoukt, forteresse des Aït Tseghouchen. Le III/3e rei enlève la position de la Kelaa des Beni Alaham, puis combat au Tizi-Adni. Commandé par le chef de bataillon Nicolas, le bataillon fait les frais d’une erreur initiale du commandement qui refuse de tenir compte des suggestions du chef de bataillon. Celui-ci estimait nécessaire, avant d’attaquer Skoura, de modifier l’opération pour tenir compte des difficultés du terrain et remettre en ordre les unités. Cette suggestion n’ayant pas été retenue, le III/3e rei doit combattre dans des conditions défavorables entraînant la perte de 17 tués, 18 disparus et 64 blessés, pertes énormes par rapport à l’effectif des deux compagnies mises en ligne. L’opiniâtreté du III/3e rei dans cette malheureuse affaire fait l’objet d’une citation à l’ordre des troupes du Maroc.

52

Pendant la belle saison, d’avril à octobre, les Légionnaires combattent. Ils pénètrent en zone dissidente, s’y établissent et construisent les postes dans lesquels ils mènent pendant l’automne et l’hiver une existence monotone, vivant sous la menace constante d’un coup de main des dissidents. La corvée d’eau ne peut être faite que sous la protection d’un élément d’escorte prêt à riposter en cas d’embuscade. Les liaisons entre postes voisins ne se font que par moyens optiques ; communiquer par estafettes ferait tomber le messager dans un traquenard, les dissidents guettant en permanence l’occasion de s’emparer de l’arme et des munitions d’un isolé.

53

En 1923, au nord de la tache de Taza, la situation se détériore. Les succès d’Abd el-Krim contre l’armée espagnole incitent les tribus frontalières à se rebeller et à attaquer convois, patrouilles et postes de la zone française. La faiblesse des effectifs dont dispose le maréchal ne permet pas de protéger la frontière du nord simultanément avec la poursuite au même rythme que la pacification. Il faut, afin de pouvoir barrer la route de Fès aux Rifains, arrêter les opérations dans la tache de Taza. Les 2e et 3e rei sont envoyés dans le nord pour interdire aux rebelles l’approche des deux villes impériales. Pendant plus de deux ans, les unités des deux régiments s’épuisent à arrêter le déferlement des Rifains, à couvrir le repli des postes devenus indéfendables, à escorter les convois de ravitaillement des postes, escortes qui sont de véritables opérations de guerre nécessitant l’intervention d’un et parfois plusieurs groupes mobiles.

54

Pour maîtriser la situation, le maréchal Lyautey réclame des effectifs supplémentaires à Paris qui répond à ces demandes en n’autorisant le transfert au Maroc que d’un nombre très insuffisant de bataillons de tirailleurs algériens et sénégalais auxquels s’ajoutent, à diverses époques et à titre temporaire, trois bataillons du 1er rei. Le VI/1er rei du chef de bataillon Kratzert est envoyé au début du second trimestre 1923 au Maroc pour opérer contre les Marmoucha. Il retourne en Algérie en janvier 1924 après avoir participé à l’encerclement du massif du Tichoukt.

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En 1924, le danger rifain se précisant, la couverture de la frontière entre le protectorat espagnol et le protectorat français demande toujours plus de troupes. Le VI/1er rei, maintenant commandé par le chef de bataillon Cazaban, revient en territoire chérifien au mois d’avril ; il est affecté au groupe mobile du général Freydenberg. Il participe, le 3 mai, au dégagement du poste de Taounate. Le II/1er rei du Cba Deslandes, arrivé également en 1924, escorte les convois de ravitaillement et les renforts destinés aux postes. Il est dirigé, avec le II/2e rei, vers le massif du Bibane où les deux formations dégagent, en juillet 1925, les postes de l’oued Hamdine et de Bab-Hoceine.

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Le 10 juin 1925, le VI/1er rei est envoyé vers le poste de Mediouna qui doit être évacué. L’ennemi a isolé le poste par un réseau de tranchées occupées en permanence. L’évacuation du poste ne pourra se faire qu’en montant une action de corps franc. Plus d’une centaine de volontaires se présente pour faire partie de l’élément d’assaut dont l’effectif ne doit être que de 60 hommes. À la nuit tombée, le corps franc se dirige vers le poste. Il est rejoint en chemin par la plupart des volontaires dont la participation avait été refusée. En combattant, le groupe parvient à arriver au poste. Le retour vers le bataillon est dramatique : encerclé par un adversaire très nombreux, bien armé et abondamment pourvu de munitions, le corps franc est anéanti, quatre officiers et 60 sous-officiers et militaires du rang sont massacrés par l’adversaire. Leur sacrifice fait l’objet d’une citation du bataillon à l’ordre des troupes du Maroc. Le VII/1er rei arrive à Taza le 20 juillet 1925, venant de Sidi-bel-Abbès. Sous les ordres du chef de bataillon Merlet, il commence par combattre les Branes, délivre les postes de Bab-Moroudj, puis s’empare du piton d’Ashora avant de se tourner contre les Tsoul.

57

L’année 1925 est une année de grands bouleversements. Le maréchal Lyautey doit quitter définitivement le Maroc. Il est remplacé dans ses fonctions de résident général de France au Maroc par Lucien Saint, fonctionnaire de l’État, et dans son commandement en chef des troupes du Maroc, mais uniquement pour la durée de la campagne contre Abd el-Krim, par le maréchal Pétain. Ce dernier obtient de Paris tous les renforts en hommes et en matériel qui avaient été refusés au maréchal Lyautey. Débarquent à Casablanca ou passent la frontière à Oujda des divisions métropolitaines, de l’artillerie lourde, des chars Renault FT, des avions d’observation et de bombardement, abondance de moyens qui fait dire à certains qu’on veut écraser les Rifains avec un marteau pilon d’une puissance hors de proportion avec l’objectif.

Ces renforts, une fois acclimatés, rejoignent le front du Rif et passent à l’offensive au mois de mai 1926. Les I et III/3e rei groupés en un régiment de marche de la 2e division d’infanterie du général Billotte sont dans le secteur d’Aïn-Aïcha et participent à l’offensive générale qui amène Abd el-Krim à se rendre, le 28 mai, au colonel Corap.

Immédiatement après la fin des combats dans le Rif, profitant de la présence de troupes en bordure de ce qui reste de la tache de Taza, le commandement termine la réduction du territoire insoumis par l’opération du Tizi-Anzi.

À la fin de 1926, la zone de la dissidence ne compte plus que le second sac de la besace imaginée par le maréchal Lyautey.

Fin de la pacification

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Après le rapatriement en métropole des divisions prêtées aux troupes du Maroc, le commandement doit réorganiser ses formations et déterminer l’ordre des priorités à donner aux secteurs restant à pacifier. Pour accéder aux confins algéro-marocains depuis Fès et Meknès au nord et Marrakech au sud et immobiliser les rebelles, il faut disposer de pistes capables de supporter la circulation de camions équipés de roues à bandages pleins. Deux pistes principales sont mises en chantier : la première relie Meknès et Fès à Ksar-es-Souk et au Tafilalet en passant par Midelt et la vallée du Ziz ; la seconde va de Marrakech à Ouarzazate en passant par le col du Tizi N’Tichka. Elle permettra d’accéder à la vallée du Draa au sud et, vers le nord, en remontant la vallée du Dades, de rejoindre Ksar-es-Souk. Entre Midelt et Ksar-es-Souk existait une piste praticable uniquement par des fantassins et des convois d’animaux : passant par Rich, Gourrama et Bou-Denib, elle avait une longueur de trois cents kilomètres, alors qu’en suivant le cours de l’oued Ziz, la distance n’est que de cent cinquante kilomètres, mais il faut percer un tunnel dans la cluse du Foum-Zabel. La route de Midelt à Ksar-es-Souk fut étudiée par la direction du génie de Meknès ; sa réalisation fut l’œuvre d’unités des 2e et 3e rei. Quant au tunnel, il fut percé entre le 24 juillet 1927 et le mois de mai 1928 par la compagnie de sapeurs pionniers du 3e rei (sur les cartes éditées par l’Institut géographique du Maroc, ce tunnel est toujours appelé « tunnel du Légionnaire »).

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La piste qui relie Marrakech à Ouarzazate donne accès à la vallée du Draa en direction du sud. Elle permet, en remontant la vallée du Dades, de rejoindre Ksar-es-Souk à partir du sud. Cette piste fut réalisée par le 4e rei, aidé par des unités de tirailleurs qui fournirent la main-d’œuvre « pelles et pioches ». Moins connue que la « route du Ziz », celle-ci passe par le col du Tizi N’Tichka à 2 270 mètres d’altitude.

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Ces pistes ayant été terminées, la réduction de la dissidence fut réactivée. Les groupes mobiles de Meknès avec le 2e rei, de Fès dont faisaient partie divers éléments du 3e rei et de Bou-Denib, commencèrent, entre 1927 et 1929, par ramener le calme dans les secteurs de Bou-Denib et du Tafilalet en utilisant des moyens beaucoup plus lourds que ceux dont avaient disposé les unités avant 1925 : artillerie de calibre 155, chars Renault type FT 17, aviation de bombardement… Il leur fallut ensuite réprimer une nouvelle rébellion des Aït Haddidou et des Aït Yahia dans la région de Gourrama et assiéger le ksar des Aït Yacoub.

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En 1933, le djebel Sagho, dernier bastion de la dissidence, fut pris d’assaut par les compagnies montées des trois régiments étrangers d’infanterie du Maroc après un blocus de quarante-deux jours. Les dernières opérations eurent pour théâtre la vallée de l’Assif-Melloul et le plateau des Lacs dans le Haut Atlas, auxquels participèrent des éléments des 2e, 3e et 4e rei. La pénétration dans les territoires de l’extrême sud aux confins de la colonie espagnole du Rio de Oro ne donna pas lieu à des opérations militaires méritant d’être signalées. À la fin de 1934, la totalité du protectorat français du Maroc était pacifié.

En conclusion, il est possible d’affirmer que la part prise par la Légion dans les opérations de pacification du Maroc entre 1903 et 1934 est primordiale. Ses unités ont été l’épine dorsale des colonnes et des groupes mobiles chargés de soumettre les dissidents. Aussitôt les combats terminés, les légionnaires ont entrepris, avec des moyens réduits, la réalisation d’une infrastructure routière qui a été l’un des facteurs essentiels du développement économique du Maroc.

Notes

[1]

ndlr L’auteur de cet article, Pierre Soulié, a rédigé son analyse à partir d’une source originale : A. Bernard, Le Maroc, Paris, éd. Alcan, 412 p. ; de ses recherches personnelles faites dans les fonds du shd ; P. Soulié, Le Général Paul-Frédéric Rollet, Paris, éd. Italiques, 735 p. ; Revue historique des armées, n° spécial Maroc, 1981 ; J.-P. Mahuaud, L’Épopée marocaine de la Légion étrangère, 1903-1934, Paris, L’Harmattan, 2005, 284 p. ; P. Cart-Tanneur, La Vieille Garde, Paris, bip, 1979, 288 p. ; Le Troisième Étranger, Paris, efm, 1979, 191 p. ; Le Quatrième Étranger, Paris, bip, 1979, 183 p.

Pour citer cet article

Soulié Pierre, « 1901-1935 : la Légion étrangère au Maroc », Guerres mondiales et conflits contemporains 1/2010 (n° 237) , p. 7-24
URL : www.cairn.info/revue-guerres-mondiales-et-conflits-contemporains-2010-1-page-7.htm.
DOI : 10.3917/gmcc.237.0007.

20160927 - L’action des pasteurs germanophones à la Légion étrangère (1926-1938)

Revue historique des armées

De l’apostolat à la subversion ? Alexis Neviaski

1« Tout le monde sait que parmi les dizaines de milliers de soldats de notre Légion étrangère, soixante pour cent du contingent environ sont originaires d’Allemagne. Tout le monde sait ou devrait savoir que les deux tiers sont nés protestants. Ces deux faits suffisent à caractériser le devoir difficile mais impérieux, qui est imposé aux protestants français. » 1 Cette déclaration, en prenant la forme d’un raisonnement se veut logique. Elle explique l’intérêt et l’urgence de la mission protestante auprès des légionnaires allemands.

  • 2 Mémento du soldat de la Légion étrangère, imprimé sur les presses du 1er régiment étranger, Sidi-Be (...)

2Toutefois, cette brillante démonstration s’oppose aux principes de la Légion dont la discipline a pour fondement l’égalité devant les règlements et la cohésion par le refus des particularismes. « Tous les légionnaires sont donc égaux. La Légion, qui est désormais ta seconde patrie, ne distingue ni nationalités, ni races, ni religions (…). Aucune question d’ordre politique ou confessionnel ne doit intervenir dans tes relations avec tes camarades, dont tu dois scrupuleusement respecter les croyances et les traditions. » 2

  • 3 SHD/DAT, 7N²2054, renseignement F/Q-SEA n° 259/K du 3 février 1937.

3 Ces intérêts divergents exposent la problématique de l’apostolat des pasteurs à la Légion. La mission évangélique agit-elle en toute bonne foi en faisant preuve d’une réelle ignorance de l’institution, ou au contraire, sous le couvert de la religion, l’action des pasteurs auprès des légionnaires allemands poursuit-elle un but subversif au service du Reich ? En effet, durant l’entre-deux-guerres, l’enjeu que représente la Légion pour l’Allemagne est clairement explicité par le chef des Sturmabteilung (SA), Victor Lutze qui écrit à tous ses commandants d’unités, « la colonne vertébrale des possessions coloniales françaises est constituée par la Légion étrangère dans laquelle bien des Allemands ont contribué à contenir les mouvements de révolte des peuples colonisés contre leurs oppresseurs. Si (…) la Légion étrangère était démoralisée et devenait peu sûre en face des ordres qu’elle reçoit des Français (…) le domaine colonial de la France nous appartiendrait un jour » 3.

L’œuvre des légionnaires : une activité intense

  • 4 En ce qui concerne l’organisation de l’aumônerie militaire, il convient de se référer à la thèse de (...)
  • 5 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement n° 1830, mars 1931.
  • 6 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement n° 56/SIL, 20 mars 1931.
  • 7 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.
  • 8 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement n° 56/SIL, 20 mars 1931.
  • 9 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.

4 À l’époque, les pasteurs militaires sont autorisés à exercer un apostolat auprès des légionnaires uniquement sur les théâtres d’opérations, c’est-à-dire au Levant et au Maroc. Pourtant, en 1930, la fédération protestante de France demande au ministre de la Guerre la création d’un poste d’aumônier à la portion centrale du 1er étranger. Alors qu’en Allemagne des campagnes violentes sont menées contre la Légion, le général commandant le XIXe corps d’armée est convaincu du danger de la présence de ce pasteur dont les fidèles seraient presque exclusivement des Allemands. L’intervention du général est suffisamment argumentée pour que le ministre refuse cette création. Cependant, l’aumônerie de l’armée du Rhin 4 congédie le pasteur Monnin que la fédération protestante nomme alors officiellement à Sidi-Bel-Abbès. Bien que rendu à la vie civile et malgré un apostolat qui ne dure que quelques mois, le pasteur rentre rapidement en relation avec de nombreux légionnaires qui lui sont adressés par monsieur Caussy 5. Qui donc est cet étrange intermédiaire ? « On le donne comme étant de moralité parfaite (…). Il entretient des relations suivies avec de nombreux légionnaires ; des lettres en témoignent. » 6 De fait, monsieur Caussy est le correspondant marseillais de l’Union protestante chrétienne 7 (UPC), œuvre protestante internationale dont un pasteur français, Jules Rambaud, vivant outre-Rhin et marié avec une Allemande, est le secrétaire général. Incontestablement, cette organisation est non seulement rapidement informée de l’arrivée d’un pasteur à Sidi-Bel-Abbès mais aussi en mesure de « l’utiliser ». L’installation du pasteur Monnin a donc été préparée et planifiée. D’ailleurs, lorsqu’il quitte ce poste, le missionnaire prévient son homologue Rambaud qui charge alors le pasteur d’Oran de s’occuper du dépôt de la Légion 8. De même en 1932, Jules Rambaud se réjouit de l’arrivée d’un nouveau pasteur car « l’œuvre va pouvoir reprendre dans d’où tout légionnaire repart » 9. Toutes les tentatives antérieures et cette étrange nomination n’ont-elles pas été entreprises à l’instigation de cette organisation ?

  • 10 SHD/DAT, 7N²2320 (4), compte rendu n°965 de la surêté générale du secteur de Höchst, août 1928.
  • 11 SHD/DAT, 7N²2320 (4), expression employée dans la brochure Pour nos légionnaires protestants, paste (...)
  • 12 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 216/SCR.2/11.
  • 13 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement n°56/SIL du 20 mars 1931.
  • 14 SHD/DAT , 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.
  • 15 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Pour nos légionnaires protestants, pasteur Rambaud et ex-légionnaire Pfanschi (...)
  • 16 SHD/DAT, 7N²2128 (2), papier 369, note remise par le directeur du centre d’entr’aide de Marseille a (...)
  • 17 SHD/DAT, 7N²2122 (3), 135Z/SDO du 16 octobre 1928.
  • 18 SHD/DAT, vocabulaire employé par l’UPC pour désigner le secrétaire général de l’association.
  • 19 SHD/DAT, 7N²2320 (4), correspondance du consul de France en Bade à l’ambassadeur de la République f (...)
  • 20 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.

5 Créée dès 1920 en France et en Allemagne, le but de l’Union protestante chrétienne est de rapprocher les protestants français et allemands par des relations personnelles engagées sur une base uniquement religieuse 10. Cependant, les mentalités de l’immédiat après-guerre ne sont pas prêtes à fraterniser. Face aux difficultés, des résultats tangibles sont indispensables pour permettre à l’association de survivre. L’Union a donc besoin d’un exutoire où Français et Allemands auraient « un effort pratique à tenter » 11. À partir de 1926, une affiliation, l’œuvre des légionnaires est cet instrument (photo 3). L’action auprès des légionnaires repose sur une correspondance « très active qui doit pourvoir les légionnaires allemands d’écrits de toutes sortes » 12. Ainsi le pasteur Jules Rambaud et son organisation se constituent progressivement un important registre de noms de légionnaires et d’adresses qui sont actualisées en fonction des mutations. En 1928, l’œuvre serait en relation avec 400 légionnaires, 550 en 1929, en 1930 « une liaison avec 800 légionnaires de nationalité allemande a été établie » 13. En 1932, Jules Rambaud se dit être « en rapport avec plus de 900 légionnaires » 14. En 1933, « nous sommes en possession de plus de mille adresses de légionnaires d’origine allemande » 15. Cette correspondance n’est efficace que si elle est continue dans le temps car le but est bien de « garder contact avec eux et, à leur libération, je les ramène à nos temples et à leur famille » 16. Aussi devant une telle tâche, malgré l’aide de sa femme qui rédige sa correspondance en langue allemande 17, l’Agent directeur 18 ne peut pas être le seul à correspondre. Un parrainage est alors organisé avec des associations protestantes. Il s’agit « d’adopter un légionnaire en restant en correspondance continue avec lui » 19 ou tout du moins de se sentir engagé comme un parrain vis-à-vis d’un filleul. Ainsi, de nombreux laïcs et pasteurs dont le théologien Friedrich von Bodelschwing entretiennent une correspondance suivie avec des légionnaires allemands. L’œuvre mène également des actions charitables. Elle envoie des colis de Noël « à ces soldats dont nous connaissons les noms et qui étaient en relation avec nous » 20.

  • 21 SHD/DAT, 7N²2320 (4), article intitulé « Nos légionnaires », pasteur Rambaud, dans La solidarité so (...)
  • 22 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Pour nos légionnaires protestants, pasteur Rambaud et ex-légionnaire Pfanschi (...)
  • 23 SHD/DAT, 7N²2320 (4), renseignement 1997/SCR-2/1, 24 mars 1933.
  • 24 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Pour nos légionnaires protestants, pasteur Rambaud et ex-légionnaire Pfanschi (...)

6 L’action de l’Union protestante chrétienne trouve son aboutissement dans la proximité avec les légionnaires. Ainsi, l’UPC est en relation avec un nombre important de pasteurs en mission dans les colonies. Certains déploient un zèle remarquable qui est le prolongement de l’action entreprise en Europe. « Je vois encore cet après-midi passé à Essen chez un socialiste religieux, tout bouleversé à l’idée que son frère légionnaire, victime d’un accident de service, avait été visité et soigné comme un fils par le pasteur français de Sousse. Je vois cette pauvre mère de Francfort à qui j’apportais la photographie de la tombe de son fils mort au Maroc et visité par le pasteur Roche de Fez. » 21 À Sidi-bel-Abbès, le pasteur Balfet qui est le successeur de Monnin, fait construire, à côté du temple, un foyer pour les légionnaires protestants. L’action des pasteurs sur place est donc un complément indispensable à celle de la métropole mais elle est encore insuffisante car « les notes que les pasteurs font mettre au rapport ne sont certainement pas remarquées par le plus grand nombre des légionnaires » 22. Pour être efficace, l’Union protestante chrétienne doit avoir des collaborateurs à l’intérieur même de l’institution. Chrétien très fervent, le correspondant privilégié de Jules Rambaud est le sergent von Schroeter 23. Détaché comme interprète au tribunal de Meknès de 1928 à 1932, sa stabilité géographique lui permet de mener une action continue auprès de ses camarades allemands. Le légionnaire Pfanschilling est le correspondant personnel du pasteur Rambaud grâce à qui il est retourné à la religion protestante et « passe ce temps de Légion non pas comme une torture (…) mais comme une école de foi » 24. Outre le renseignement direct qui est fourni aux correspondants de métropole (présence d’individus, adresses, rengagements, renseignements personnels), les protagonistes tentent de se reconnaître et de créer des liens particuliers entre eux. Lorsqu’un membre de cette « petite Église de lansquenets disséminés » apprend qu’un ami a été muté, les noms et les adresses des légionnaires protestants identifiés dans le nouveau poste lui sont communiqués. Ainsi, ce légionnaire se trouve dès son arrivée dans un milieu où le centre reste en définitive l’Union protestante chrétienne.

  • 25 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.
  • 26 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 1683/BLA, 5 décembre 1932.
  • 27 SHD/DAT, 7N²2320 (4), note du BLA faisant référence au message 168/Z du 5 décembre 1932.
  • 28 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Pour nos légionnaires protestants, pasteur Jules Rambaud et ex-légionnaire Pf (...)
  • 29 SHD/DAT, 7N²2128 (2), papier 369, note remise par le directeur d’un centre d’entr’aide de Marseille (...)
  • 30 SHD/DAT, 7N²2128 (2), Trente-septième lettre aux amis, 1er trimestre 1931.
  • 31 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.
  • 32 SHD/DAT ; 7N²2320 (4), lettre du coporal-chef Collenburg à monsieur Wolf, 11 avril 1931.
  • 33 SHD/DAT, 7N²2320 (4), expression employée par le légionnaire Ernst Pfanschilling, Pour nos légionna (...)

7 Répandus dans chaque garnison « ces petits groupes de légionnaires protestants convertis pourraient devenir pour leurs vingt mille camarades protestants (…) de vrais missionnaires » 25. Cependant, l’impact de l’UPC ne semble pas proportionné à l’investissement consenti puisque « la surveillance a permis de constater que malgré la propagande, les légionnaires ne s’intéressent qu’assez faiblement à l’œuvre des pasteurs » 26. De fait, les mesures prises par le commandement ne sont pas de nature à favoriser l’expansion puisque « tout légionnaire signalé comme fréquentant assidûment cette œuvre (le foyer) est l’objet d’une mutation dans une garnison intérieure » 27. Ainsi, Pfanschilling témoigne : « brusquement, comme par un coup de tonnerre dans un ciel serein, il m’arriva la mésaventure d’être envoyé à Colomb Béchar, qui est à peu près le coin le plus désolé où les légionnaires puissent aller. J’étais navré (…). Tout quitter, laisser les amis, nos réunions (…) laisser notre œuvre en plan, ai-je donc travaillé en vain ? » 28 D’ailleurs, en coulisse, l’Agent directeur reconnaît que les résultats obtenus sont insuffisants 29. Mais cette dernière remarque n’est-elle pas normale pour un pasteur qui se sent investi d’une mission et écrasé par la tâche et les responsabilités ? Toutefois, dans la logique missionnaire de L’œuvre, son impact n’est pas quantifiable seulement par la quantité de légionnaires touchés mais par la ferveur de ces derniers. L’Agent directeur trouve donc sa motivation, dans les quinze cents lettres de légionnaires allemands qu’il dit posséder 30 : « des lettres (…) débordantes toutes de joies reconnaissantes » 31. Le pasteur Rambaud semble effectivement « le père spirituel des légionnaires allemands » 32. Au milieu des années 1930, ce dont l’œuvre des légionnaires a désormais besoin pour changer « ce milieu incrédule » 33, c’est de temps !

Évolutions difficiles de la branche allemande

  • 34 Hitler (A), Mon combat, Paris, Nouvelles éditions latines, 1934, p. 560.
  • 35 Hitler (A), Ma doctrine, Paris, Arthème Fayard, 1938, p. 224.
  • 36 SHD/DAT, idem, page 226.
  • 37 SHD/DAT, Documents diplomatiques français, 1932-1935, tome VII, 27 juillet au 31 octobre 1934, docu (...)
  • 38 SHD/DAT, MAE, correspondance politique et commerciale, 1914-1940, dossier Z 701, message n° 1017 de (...)

8 Le 30 janvier 1933, Hitler devient chancelier. En matière religieuse, il souhaite la « paix » en rassemblant, au sein du parti nazi, les catholiques et les protestants 34. À l’épreuve du pouvoir, le chancelier conclut rapidement un concordat avec le Vatican mais réalise que « l’homme politique doit apprécier la valeur d’une religion, non point d’après les quelques déficiences qu’elle peut présenter, mais d’après les bienfaits que des compensations nettement supérieures pourraient présenter » 35. Ainsi, malgré les difficultés, il estime le protestantisme comme un appui solide pour la conservation de l’identité germanique car il « agit donc toujours au mieux des intérêts allemands tant qu’il est question de la moralité de la nation, de son développement intellectuel ou de la défense de l’esprit allemand, de la langue allemande et aussi de la liberté allemande » 36. Néanmoins, divisés en vingt-huit Églises, les protestants sont difficiles à rassembler. Parmi eux, les nazis les plus véhéments organisent, le « Mouvement des Allemands de Foi chrétienne » dont le chef est un aumônier militaire, le pasteur Ludwig Müller. Ce groupe qui souhaite établir une Église du Reich, s’oppose à « l’Église confessionnelle » dirigée par le pasteur Niemoeller. En juillet 1933, une « Église du Reich » est officiellement reconnue. Ludwig Müller, fortement recommandé par Hitler, est élu évêque. Cependant, la lutte continue et, en mai 1934, lors du synode de Barmen, les partisans de Niemoller se déclarent Église officielle. Redoublant de brutalité, Müller n’intimide pas les pasteurs protestataires qui refusent de capituler 37. À l’été 1934, ne parvenant pas à intégrer les Églises protestantes, Hitler interdit « jusqu’à nouvel ordre, sans exception toute discussion sur les conflits religieux » 38. L’année suivante, il place un nazi modéré, le docteur Kerll, comme ministre des Affaires de l’Église. Ce dernier parvient à constituer un conseil de l’Église auquel le groupe de Niemoeller accepte de collaborer avant d’avoir une grande partie de ses membres persécutés.

  • 39 SHD/DAT, idem, message n° 870 de l’ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires étrangèr (...)
  • 40 SHD/DAT, idem, message n° 291 de l’ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires étrangèr (...)
  • 41 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 1050/SIL, 19 octobre 1936.

9 Quelques indices permettent de dire que l’Union protestante chrétienne choisit vraisemblablement de suivre « l’Église confessionnelle ». En effet, le pasteur et théologien Friedrich von Bodelschwing, impliqué dans l’œuvre des légionnaires, est une des personnalités qui siége au synode de Barmen 39. De plus, le soutien de l’institut de Béthel, dont il est le directeur, à l’UPC n’ayant pas failli, bien au contraire, il peut ainsi être conclu une communion de pensée et d’action. De ce fait, les activités de l’Union protestante chrétienne sont suspectes et étroitement surveillées. Plus encore, l’attention de l’État sur cette association paraît évidente car il est créé un office ecclésiastique pour les Affaires étrangères. « Le nouvel organisme aura pour tâche de resserrer les liens entre l’Église évangélique du Reich et les protestants allemands qui séjournent à l’étranger ; il devra veiller à développer les relations entre l’Église allemande et les Églises protestantes établies dans les autres pays ; il sera chargé de contrôler et de coordonner l’activité des nombreuses associations privées qui s’étaient déjà consacrées à une mission de ce genre. » 40 Ainsi, la visite d’un haut fonctionnaire de la police hitlérienne au pasteur Rambaud n’est pas étonnante ! 41 Enfin, si l’UPC n’est pas dissoute, la crise religieuse et les changements politiques entraînent, en revanche, une évolution de l’œuvre des légionnaires.

  • 42 SHD/DAT, 7N²2128, renseignement n° 21/BLA, 20 février 1934.
  • 43 SHD/DAT, 7N²2128 (2), lettre de l’ex-légionnaire Pfanschilling au légionnaire Laberenz, 11 octobre  (...)
  • 44 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 1050/SIL, 19 octobre 1936.
  • 45 SHD/DAT, 7N²2320 (4), La quinzaine protestante du 1er décembre 1937.
  • 46 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 1050/SIL, 19 octobre 1936.

10 Un mois à peine après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, l’Agent directeur a perdu ses deux principaux collaborateurs au sein de la Légion. Le 2 mars 1932, le légionnaire Pfanschilling est réformé et le 20 février 1933, le sergent von Schroeter part pour l’Indochine. Privé d’indicateurs précieux, les courriers du pasteur Rambaud diminuent considérablement 42. De plus, la correspondance entre les parrains allemands et les légionnaires est rendue plus difficile 43 car les associations protestantes ont été regroupées au sein d’un mouvement de jeunesse unique : les « Hitlerjüngen ». À partir de 1935, la situation de la branche allemande se dégrade encore. La politique du Reich interdit désormais d’évoquer la Légion. Par conséquent, le pasteur Rambaud ne doit « plus s’intéresser à la Légion étrangère et ne plus la mentionner sous aucun prétexte dans ses publications » 44. Dans le même temps, l’activité de l’UPC est rendue impossible « par suite de prescriptions allemandes relatives au régime de passeports et à l’exportation des fonds » 45. Ainsi, le congrès annuel prévu à Marseille en août 1936 est annulé 46. Le pasteur Rambaud doit donc faire face à une situation délicate. D’une part, l’œuvre est affaiblie aussi bien par le manque de collaborateurs légionnaires que par la défection de la branche allemande. D’autre part, il est lui-même neutralisé et ne peut plus intervenir directement.

  • 47 SHD/DAT, 7N²2730 (10), renseignement 11 978e du gouverneur général d’Algérie au ministre de l’Intér (...)
  • 48 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre du pasteur Finotto au ministre de la Guerre, 15 décembre 1936.
  • 49 SHD/DAT, 7N²2541 (dossier 8), le SR allemand en France, aux colonies françaises, à la Légion étrang (...)
  • 50 SHD/DAT, 7N²2127 (3), note 206/BLA du 13 juillet 1936.
  • 51 SHD/DAT, 7N²2320 (4), La quinzaine protestante, 1er décembre 1937.

11 L’œuvre des légionnaires repose alors davantage sur les pasteurs coloniaux. Arrivé à Saïda le 4 juillet 1933, l’action du pasteur Finotto qui avait précédemment vécu durant dix ans en Tunisie 47 est particulièrement marquante. En effet, il est troublant de constater la parfaite substitution de ce pasteur à l’Agent directeur et au légionnaire Pfanschilling. Finotto utilise les mêmes procédés techniques, formule des demandes identiques et développe les mêmes thèmes, notamment le lien à maintenir avec la famille. N’ayant plus de correspondant au sein de la Légion, ce pasteur tente de pénétrer l’institution. Il demande, sans succès, « l’autorisation de visiter une à deux fois par an les légionnaires de confession protestante dans les salles de lecture ou foyers du légionnaire des garnisons du sud-oranais » 48. Ainsi, comme à Bel-Abbès, l’action du missionnaire de Saïda se fait donc à l’extérieur du quartier. De plus, entreprenant « des séries de conférences en Afrique du Nord et en particulier aux légionnaires » 49, il obtient des adresses et des renseignements qu’il transmet au centre protestant de Béthel où il se rend même 50. Les vicaires du théologien poursuivent l’œuvre du pasteur Rambaud qui connaît grâce à eux un renouveau puisque « les nouvelles apportées d’Allemagne sont favorables à l’avenir de l’œuvre ; la branche allemande manifeste un renouveau d’activité, et un zèle remarquable pour soutenir pécuniairement l’œuvre » 51. Ce changement de coordinateur fait-il évoluer le message délivré aux légionnaires ?

Danger et subversion de l’apostolat

  • 52 SHD/DAT, il s’agit du pasteur Cook-Jalabert et du missionnaire Siebler.
  • 53 SHD/DAT, les mesures prises à l’encontre des légionnaires fréquentant le foyer protestant de Sidi-B (...)
  • 54 SHD/DAT, 7N²2320 (4), message n° 762 de l’ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires é (...)
  • 55 SHD/DAT, 7N²2128 (2), communication pour information du bordereau n° 8366/SCR.2/11 du 22 décembre 1 (...)
  • 56 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 231/SIL, 25 avril 1933.

12 Depuis le début du XXe siècle, les expulsions de plusieurs missionnaires évangéliques 52 ont engendré une méfiance des chefs militaires 53. En outre, dès que les autorités civiles ont connaissance de l’œuvre des légionnaires, les activités de cette association leur paraissent de nature à constituer une menace potentielle qui nécessite « que le Ministre de la Guerre eût connaissance de cette œuvre allemande » 54. Aussi, est-elle suivie du point de vue national par les postes dépendant du 2e bureau (SCR) 55. En effet, les actions de recensement et de collecte d’informations de L’œuvre représente effectivement une menace pour les légionnaires. « En admettant donc que le pasteur Rambaud ne soit pas de connivence avec la police, ce qui est encore à démontrer, il est à craindre que sa correspondance soit censurée et que les renseignements précieux qu’elle contient soient connus des autorités allemandes. » 56

  • 57 SHD/DAT, 7N²2320 (4), message n° 762 de l’ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires é (...)
  • 58 SHD/DAT, 7N²2127 (3), n° 140/SDO du 31 juillet 1930.
  • 59 SHD/DAT, 7N²2320 (4), papier 121, traduction d’une lettre adressée par monsieur Von Lotze à un légi (...)

13 La menace qui pèse individuellement sur les légionnaires constitue un risque évident pour l’institution, mais le véritable péril pour la Légion, c’est la « démoralisation collective ». Elle est facilitée par la création d’un réseau confessionnel qui peut être utilisé à d’autres fins. En effet, si la correspondance des protestants français et du pasteur Rambaud n’est pas douteuse, en revanche « les Allemands qui lui prêtent leur concours ne partagent pas la plupart du temps, ses bonnes intentions et sont animés d’un tout autre esprit » 57. Aussi, le légionnaire Jescheniak de la compagnie hors rang du 1er étranger écrit à ses parents un article sur le jubilé de la Légion. Le pasteur Sallet, demeurant en Prusse orientale, transmet au journal de Johannisbourg cette correspondance et propose que la rétribution soit donnée à l’auteur par l’intermédiaire du pasteur Rambaud 58 ! De même, certaines lettres de parrains allemands laissent transparaître un message équivoque comme celui de monsieur von Lotze qui déclare que son parrainage lui donne « un aperçu éloquent de ce qui se passe à la Légion, et ceci est pour nous le meilleur moyen d’avertissement contre toute velléité d’entrer à la Légion, beaucoup mieux que ne le feraient toutes les conférences ou tous les écrits dirigés contre la Légion » 59.

  • 60 SHD/DAT, par la suite, pour éviter les tentatives d’identification de légionnaires, la note n° 2 55 (...)
  • 61 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre de W. Gebauer à cinq légionnaires de Saïda, renseignement n° 796/BSLE (...)
  • 62 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre du vicaire Milk au légionnaire Tamm, renseignement n° 2474/BSLE, 6 no (...)
  • 63 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre de W. Gebauer au légionnaire Markgraf, 27 octobre 1937.
  • 64 SHD/DAT, 7N²2730 (10), bulletin de renseignements sur l’état d’esprit des troupes du Maroc, n° 1 02 (...)
  • 65 SHD/DAT, 7N22127 (3), n° 467/BSLE du 25 février 1939.
  • 66 SHIRER (W.), La montée du nazisme, de la naissance d’Hitler au pacte germano-soviétique de 1939, Pa (...)

14 Le contrôle postal permet de suivre l’évolution du message délivré aux légionnaires. À partir de 1933, un changement de ton est perceptible dans les lettres. Ces dernières comportent alors davantage d’avertissements, de recommandations ou des demandes troublantes comme des photos de camps et de colonnes 60. Cependant, la correspondance prend une orientation beaucoup plus subversive avec les pasteurs de Béthel. Certes, les ecclésiastiques cherchent toujours à identifier les individus et à obtenir des renseignements mais, la véritable nouveauté réside dans le fait qu’ils tentent de connaître le passé, les impressions actuelles et les projets des légionnaires. « Nous voudrions avoir plus de détails sur votre vie. Quand êtes vous entré à la Légion ? Combien de temps vous reste-t-il encore à faire ? Êtes-vous en relation avec vos parents et pouvez-vous, à l’expiration de votre contrat, retourner en Allemagne ? » 61 De plus, ils entretiennent les sentiments déprimants selon lesquels, coupé de ses racines, « le souvenir du pays natal est absolument indispensable » 62 ; et qu’ayant déjà fauté une première fois en s’engageant, le légionnaire est incapable de quitter l’institution où il est retenu prisonnier. « Je suis heureux d’apprendre que vous espérez rentrer bientôt chez vous. Je crois pouvoir déduire de votre lettre que vous êtes animé de meilleures intentions pour l’avenir. Mais combien de fois ai-je pu constater que ces intentions, dès qu’on a pu surmonter les premiers obstacles, arrivent à se modifier. Aussi, vous demanderai-je de prier Dieu pour qu’il vous donne la force d’une volonté inébranlable. » 63 Enfin, l’organisation évangélique de Béthel attise l’orgueil germanique par « son action anti-française, plus particulièrement auprès des légionnaires ex-autrichiens, en leur adressant un manifeste du Conseil supérieur des Églises évangéliques de Vienne aux fidèles de l’Église réformée d’Autriche. Ce conseil se félicite du résultat de l’Anschluss » 64. La correspondance des pasteurs de Béthel n’est donc pas neutre. D’ailleurs, ils joignent, à leurs colis et lettres, des journaux dont le Glaube uns Tat qui contient « nombre d’articles ayant pour but d’exalter le patriotisme et l’administration du régime nazi » 65. De fait, « si la résistance de l’aile Niemoeller de l’Eglise n’était pas brisée, elle avait sans doute été obligée de plier. Ainsi que la majorité des pasteurs protestants, ces hommes, comme à peu près tout le monde en Allemagne, se soumettaient devant la terreur nazie » 66.

  • 67 SHD/DAT, 7N²2730 (10), courrier du colonel Azan au général commandant la division d’Oran, n° 334/SD (...)
  • 68 SHD/DAT, 7N²2106 (3), renseignement n° 3 255/2 100, 18 juillet 1942.
  • 69 SHD/DAT, 7N²2730 (10), dans une lettre au légionnaire Fibiger, 4 mars 1937, il pose les mêmes quest (...)
  • 70 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre du pasteur Finotto au légionnaire Will, 21 juin 1938.
  • 71 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre de Mme Will au légionnaire Will, 10 juillet 1938.
  • 72 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre du pasteur Finotto au légionnaire Steenman, renseignement n° 430/BSLE (...)
  • 73 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre du vicaire Milk au légionnaire Tamm, renseignement n° 2474/BSLE, 6 no (...)
  • 74 SHD/DAT, 7N²2730 (10), renseignement n° 488/BSLE, 19 mars 1937.
  • 75 SHD/DAT, 7N²2730 (10), commentaire du BSLE à la lettre de M. et Mme Will.
  • 76 SHD/DAT, 7N²2730 (10), note n° 172/DGSN du ministre de l’Intérieur au ministre de la Défense nation (...)

15 Les quelques légionnaires qui fréquentent le foyer protestant de Sidi-Bel-Abbès manifestent de plus en plus nettement leurs sentiments anti-français et anti-légionnaires si bien que le chef de corps est amené à prendre des sanctions disciplinaires sévères 67. Éclairé par cet épisode, le pasteur Balfet perçoit les changements d’orientation de la branche allemande et, à partir de 1936, il « cesse ses relations avec ses collègues d’origine étrangère » 68. Il n’en est pas de même pour le pasteur Finotto dont les demandes de renseignements dépassent toujours le cadre confessionnel 69. Mais en plus, il presse clairement les légionnaires de rentrer en Allemagne. « Ne serait-il pas préférable de purger une peine de quelques mois de prison en Allemagne, puis de rester auprès de votre chère mère au lieu de vivre une existence triste et pénible dans un pays étranger ? » 70 Trois semaines plus tard, ce même légionnaire reçoit une lettre de sa mère qui vient « de recevoir ce matin une lettre de monsieur Finotto, ainsi que la tienne, qui y était jointe, et je m’empresse de te répondre sans retard. Ta lettre date de quinze jours (…). Ils ne te laisseront sûrement pas aller en France, donc reviens le plus vite possible en Allemagne. Ici personne ne te connaît et quand la peine que tu as bien méritée sera purgée, tu trouveras aussi du travail ici » 71. Le pasteur Finotto mène d’autres actions probablement encore plus dangereuses pour la Légion. Ainsi, il propose au légionnaire Steenman de venir à Saïda où « nous aurions à causer de choses qu’on ne peut pas écrire dans une lettre » 72. En effet, le pasteur Finotto invite les légionnaires germanophones à son domicile pour, sous couvert de détentes spirituelles, parler du pays natal 73. Or durant ces rassemblements, « les légionnaires (…) sont surpris de voir aux murs de la salle de réunion des cartes routières de l’Algérie, de Tunisie et du Maroc. Ils sont surpris d’entendre les habitués de ces réunions se répandre en récriminations sur leur vie à la Légion et ils affirment que le pasteur Finotto ne fait rien pour ramener ces découragés au sentiment du devoir » 74. L’activité confessionnelle telle que l’exerce le pasteur Finotto, c’est-à-dire de « repérage, regroupement et regermanisation des légionnaires allemands quand ce n’est pas l’organisation de désertion et la propagande anti-rengagement » 75 est incontestablement dangereuse pour les individus et préjudiciable à l’institution. Aussi, le 8 juillet 1938, le pasteur Finotto est expulsé d’Algérie 76 Ce départ porte atteinte à l’activité des pasteurs de Béthel qui, privés d’agent de terrain, collaborent alors davantage avec les agents consulaires.

16 Au terme de cette étude, il apparaît qu’à sa création, l’œuvre des légionnaires n’a pas pour objectif de nuire à la Légion mais l’essor de l’activité des pasteurs constitue finalement un risque potentiel pour les individus comme pour l’institution qui jugule la menace par une surveillance active.

17 Néanmoins, avec l’avènement du national-socialisme, la branche allemande révèle ses véritables intentions et utilise le message religieux pour rechercher des renseignements, et œuvrer au retour des ressortissants du Reich en anéantissant l’esprit légionnaire tout en développant l’orgueil germanique.

18 Enfin, il est intéressant d’observer que les agissements des pasteurs allemands contre la Légion n’ont pas pris les mêmes proportions sur les théâtres d’opérations où les aumôniers militaires avaient l’autorisation d’exercer leur ministère.

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Notes

1 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Pour nos légionnaires protestants, pasteur Rambaud et ex-légionnaire Pfanschilling, Paris, 1933.

2 Mémento du soldat de la Légion étrangère, imprimé sur les presses du 1er régiment étranger, Sidi-Bel-Abbès, mars 1937, p. 102 et 103.

3 SHD/DAT, 7N²2054, renseignement F/Q-SEA n° 259/K du 3 février 1937.

4 En ce qui concerne l’organisation de l’aumônerie militaire, il convient de se référer à la thèse de doctorat de Xavier Boniface, L’aumônerie militaire française 1914-1962, 1997, tome I, pages 192 à 200.

5 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement n° 1830, mars 1931.

6 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement n° 56/SIL, 20 mars 1931.

7 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.

8 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement n° 56/SIL, 20 mars 1931.

9 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.

10 SHD/DAT, 7N²2320 (4), compte rendu n°965 de la surêté générale du secteur de Höchst, août 1928.

11 SHD/DAT, 7N²2320 (4), expression employée dans la brochure Pour nos légionnaires protestants, pasteur Rambaud et ex-légionnaire Pfanschilling, 1933, Paris.

12 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 216/SCR.2/11.

13 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement n°56/SIL du 20 mars 1931.

14 SHD/DAT , 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.

15 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Pour nos légionnaires protestants, pasteur Rambaud et ex-légionnaire Pfanschilling, Paris, 1933.

16 SHD/DAT, 7N²2128 (2), papier 369, note remise par le directeur du centre d’entr’aide de Marseille après la visite du pasteur Rambaud le lundi 3 avril 1933.

17 SHD/DAT, 7N²2122 (3), 135Z/SDO du 16 octobre 1928.

18 SHD/DAT, vocabulaire employé par l’UPC pour désigner le secrétaire général de l’association.

19 SHD/DAT, 7N²2320 (4), correspondance du consul de France en Bade à l’ambassadeur de la République française à Berlin, 7 février 1929.

20 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.

21 SHD/DAT, 7N²2320 (4), article intitulé « Nos légionnaires », pasteur Rambaud, dans La solidarité sociale, n° 394, 9 février 1929.

22 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Pour nos légionnaires protestants, pasteur Rambaud et ex-légionnaire Pfanschilling, Paris, 1933.

23 SHD/DAT, 7N²2320 (4), renseignement 1997/SCR-2/1, 24 mars 1933.

24 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Pour nos légionnaires protestants, pasteur Rambaud et ex-légionnaire Pfanschilling, Paris, 1933.

25 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.

26 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 1683/BLA, 5 décembre 1932.

27 SHD/DAT, 7N²2320 (4), note du BLA faisant référence au message 168/Z du 5 décembre 1932.

28 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Pour nos légionnaires protestants, pasteur Jules Rambaud et ex-légionnaire Pfanschilling, Paris, 1933.

29 SHD/DAT, 7N²2128 (2), papier 369, note remise par le directeur d’un centre d’entr’aide de Marseille après la visite du pasteur Rambaud le lundi 3 avril 1933.

30 SHD/DAT, 7N²2128 (2), Trente-septième lettre aux amis, 1er trimestre 1931.

31 SHD/DAT, 7N²2320 (4), Quarantième lettre aux amis, 1er trimestre 1932.

32 SHD/DAT ; 7N²2320 (4), lettre du coporal-chef Collenburg à monsieur Wolf, 11 avril 1931.

33 SHD/DAT, 7N²2320 (4), expression employée par le légionnaire Ernst Pfanschilling, Pour nos légionnaires protestants, Paris, 1933.

34 Hitler (A), Mon combat, Paris, Nouvelles éditions latines, 1934, p. 560.

35 Hitler (A), Ma doctrine, Paris, Arthème Fayard, 1938, p. 224.

36 SHD/DAT, idem, page 226.

37 SHD/DAT, Documents diplomatiques français, 1932-1935, tome VII, 27 juillet au 31 octobre 1934, document 487, télégramme de l’ambassadeur de France à Berlin à monsieur le ministre des Affaires étrangères, 17 octobre 1934.

38 SHD/DAT, MAE, correspondance politique et commerciale, 1914-1940, dossier Z 701, message n° 1017 de l’ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires étrangères, 11 juillet 1934.

39 SHD/DAT, idem, message n° 870 de l’ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires étrangères, 7 juin 1934.

40 SHD/DAT, idem, message n° 291 de l’ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires étrangères, 1er mars 1934.

41 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 1050/SIL, 19 octobre 1936.

42 SHD/DAT, 7N²2128, renseignement n° 21/BLA, 20 février 1934.

43 SHD/DAT, 7N²2128 (2), lettre de l’ex-légionnaire Pfanschilling au légionnaire Laberenz, 11 octobre 1933.

44 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 1050/SIL, 19 octobre 1936.

45 SHD/DAT, 7N²2320 (4), La quinzaine protestante du 1er décembre 1937.

46 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 1050/SIL, 19 octobre 1936.

47 SHD/DAT, 7N²2730 (10), renseignement 11 978e du gouverneur général d’Algérie au ministre de l’Intérieur, 2 juillet 1937.

48 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre du pasteur Finotto au ministre de la Guerre, 15 décembre 1936.

49 SHD/DAT, 7N²2541 (dossier 8), le SR allemand en France, aux colonies françaises, à la Légion étrangère, à l’étranger, tome III, 1938, chapitre VI, annexe V.

50 SHD/DAT, 7N²2127 (3), note 206/BLA du 13 juillet 1936.

51 SHD/DAT, 7N²2320 (4), La quinzaine protestante, 1er décembre 1937.

52 SHD/DAT, il s’agit du pasteur Cook-Jalabert et du missionnaire Siebler.

53 SHD/DAT, les mesures prises à l’encontre des légionnaires fréquentant le foyer protestant de Sidi-Bel-Abbès en sont des manifestations.

54 SHD/DAT, 7N²2320 (4), message n° 762 de l’ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires étrangères, 19 juillet 1928.

55 SHD/DAT, 7N²2128 (2), communication pour information du bordereau n° 8366/SCR.2/11 du 22 décembre 1932 .

56 SHD/DAT, 7N²2128 (2), renseignement 231/SIL, 25 avril 1933.

57 SHD/DAT, 7N²2320 (4), message n° 762 de l’ambassadeur de France à Berlin au ministre des Affaires étrangères, 19 juillet 1928.

58 SHD/DAT, 7N²2127 (3), n° 140/SDO du 31 juillet 1930.

59 SHD/DAT, 7N²2320 (4), papier 121, traduction d’une lettre adressée par monsieur Von Lotze à un légionnaire, 8 mars 1930.

60 SHD/DAT, par la suite, pour éviter les tentatives d’identification de légionnaires, la note n° 2 555.9/EMA du 8 août 1936 interdit de prendre des photos de groupes ou d’unités constituées (SHD/DAT, 7N²2054).

61 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre de W. Gebauer à cinq légionnaires de Saïda, renseignement n° 796/BSLE, 3 mai 1937.

62 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre du vicaire Milk au légionnaire Tamm, renseignement n° 2474/BSLE, 6 novembre 1937.

63 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre de W. Gebauer au légionnaire Markgraf, 27 octobre 1937.

64 SHD/DAT, 7N²2730 (10), bulletin de renseignements sur l’état d’esprit des troupes du Maroc, n° 1 029/2.C, 26 août 1938.

65 SHD/DAT, 7N22127 (3), n° 467/BSLE du 25 février 1939.

66 SHIRER (W.), La montée du nazisme, de la naissance d’Hitler au pacte germano-soviétique de 1939, Paris, 1963, l’Encyclopédie contemporaine, p. 251.

67 SHD/DAT, 7N²2730 (10), courrier du colonel Azan au général commandant la division d’Oran, n° 334/SDR, 27 avril 1936.

68 SHD/DAT, 7N²2106 (3), renseignement n° 3 255/2 100, 18 juillet 1942.

69 SHD/DAT, 7N²2730 (10), dans une lettre au légionnaire Fibiger, 4 mars 1937, il pose les mêmes questions que les pasteurs de Béthel : « Depuis quand êtes-vous à Bel-Abbès ou plutôt à la Légion (…) ? »

70 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre du pasteur Finotto au légionnaire Will, 21 juin 1938.

71 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre de Mme Will au légionnaire Will, 10 juillet 1938.

72 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre du pasteur Finotto au légionnaire Steenman, renseignement n° 430/BSLE, 12 mars 1937.

73 SHD/DAT, 7N²2730 (10), lettre du vicaire Milk au légionnaire Tamm, renseignement n° 2474/BSLE, 6 novembre 1937.

74 SHD/DAT, 7N²2730 (10), renseignement n° 488/BSLE, 19 mars 1937.

75 SHD/DAT, 7N²2730 (10), commentaire du BSLE à la lettre de M. et Mme Will.

76 SHD/DAT, 7N²2730 (10), note n° 172/DGSN du ministre de l’Intérieur au ministre de la Défense nationale et de la Guerre, 8 juillet 1938.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alexis Neviaski, « L’action des pasteurs germanophones à la Légion étrangère (1926-1938) », Revue historique des armées, 245 | 2006, 95-103.

Référence électronique

Alexis Neviaski, « L’action des pasteurs germanophones à la Légion étrangère (1926-1938) », Revue historique des armées [En ligne], 245 | 2006, mis en ligne le 05 décembre 2008, consulté le 27 septembre 2016. URL : https://rha.revues.org/5602

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Auteur

Alexis Neviaski

Officier d’infanterie, il a servi durant neuf ans la Légion étrangère où il a commandé une compagnie. Il a rejoint la division études du Service historique de l’armée de Terre en 2003. Ayant effectué sous la direction du professeur Jacques Frémeaux, une maîtrise sur « les trains blindés du 2e étranger au Sud-Annam de 1948 à 1954 » (article RHA no 234-2004), puis un diplôme d’études approfondies, il a entrepris, toujours sous la direction du professeur Frémeaux, une thèse sur « la Légion étrangère face à l’Allemagne, d’une guerre à l’autre, 1919-1939 ».

20160919 - L’évolution du corps de la Légion étrangère depuis le début du conflit en cours

20160917 - Évolution du soutien santé de la Légion étrangère parachutiste de1948 à nos jours - François Morin

20160830 - Le Légionnaire FELIPE convoyeur d'or.

20160628 - D'un légionnaire, l'autre...

La Plume et le Képi

Dessin au point à l'encre de chine par Daniel Lordey

Dessin au point à l'encre de chine par Daniel Lordey

Nous regardions le début filmé de l’Assemblée Générale lors du 31e congrès de la Fsale sur “Facebook”. Le présentateur amorçait l’intervention du Président fédéral, le général Gausserès, en ces termes: “… Et voici le premier d’entre vous, ce légionnaire qui marche en tête, mesdames et messieurs c’est votre …”

Après le court-métrage viennent   les commentaires écrits et l’un d’eux, en particulier,  attira vivement notre attention: “Ce légionnaire qui marche en tête ! C’est quoi ça ? Il n’a jamais été légionnaire !”

Et cet autre: “Mais ce n’est pas un légionnaire, il n’a jamais été et ne le sera jamais…”

Ainsi donc, les officiers du “régime général” ayant servi à la Légion ne peuvent pretendre, dans l’esprit de certains “vrais légionnaires” être légionnaires !

Pour illustrer notre propos et être mieux compris  nous croyons utile  d’expliquer succinctement ce que Rollet pensait être  un légionnaire: “On sait le légionnaire, à l’origine,  être le produit  d’une incompatibilité d’humeur avec son milieu. Poussé par le sentiment plus que par la raison, il est désespérément en quête de quelque chose ou de quelqu’un qui suscite son admiration; c’est tout naturellement qu’il admire et respecte celui qui sait le commander; il vénère avec passion celui qui exalte la seule qualité qu’on ne lui ait jamais refusée: la bravoure physique et morale”.

Ainsi, l’imagerie populaire fait du légionnaire un réprouvé, asocial, rude, violent, sans cesse sur le fil du rasoir  entre le mal qui le tente et le bien où le pousse la Légion étrangère qui lui offre un cadre rigoureux, une famille structurée et agissante, j’ose dire une religion avec ses vertus – Honneur et Fidélité – ses rites hérités des traditions et qui possède, à l’image du général Rollet, ses “saints” sortis de ses rangs.

Comment serait-il possible d’isoler un chef aussi symbolique que Rollet et dire qu’il ne fut pas légionnaire ? Et Danjou? Vilain, Maudet? Et que dire du capitaine vicomte de Borelli qui composa le plus bel hommage jamais écrit à la gloire des légionnaires: “À mes hommes qui sont morts”?... Ou encore d’Amilakvari, de Gaucher, de Jeanpierre qui pourtant n’épargna pas ses hommes, et tant, tant d’autres. Les murs de la crypte du musée à Aubagne témoignent de leur bravoure, un millier de noms d’officiers morts pour la France à la tête de leurs légionnaires y sont inscrits! Que faut-il de plus? Pourrait-on leur dénier le droit d’être dits “légionnaires”? Qui l’oserait?  Et que les esprits étriqués se disent bien qu’il ne faut pas être un officier mort pour mériter l’appellation de légionnaire. L’officier est étroitement imbriqué dans la chose légionnaire. La vie de ses hommes peut dépendre de lui, qui en est comptable, comme sa vie peut dépendre d’eux.

Il en est de même pour tous ceux qui ont servi à la Légion dont nombreux comptent bien plus d’années de service   dans l’institution légionnaire que beaucoup de “vrais légionnaires”…

En réalité si l’officier dont on parle était bien aimé par les sous-officiers et la troupe, tout le monde s’accordera pour le considérer comme légionnaire; si d’aventure il était mal aimé,   on le traite alors des noms les plus pittoresques, voire exotiques!  Si les officiers du régime général n’encadraient pas les légionnaires, qui le ferait ?

Yves Galvez, adjudant-chef en retraite à Madagascar donne avec lucidité sa version: “Le képi blanc ou le béret vert ne font pas le légionnaire; c’est surtout un état d’esprit acquis parfois avec difficulté qui permet un jour d’être considéré comme légionnaire.”

Nous pourrions ne pas nous limiter à ces quelques considérations et entrer dans de vastes polémiques  absolutistes…  Être plus royaliste que le roi et laver plus blanc que blanc… après tout pourquoi s’arrêter en si bon chemin? On pourrait prétendre, après avoir affirmé que seuls sont légionnaires ceux qui ont porté ce glorieux couvre-chef, que ceux qui le quittent pour embrasser une carrière de sous-officier ou accéder à l’épaulette pour devenir officier ont cessé d’être des légionnaires, des purs, les gardiens du temple telles des vestales antiques! Et que dire de ceux, nombreux   qui, s’ils l’avaient souhaité et eu la volonté, compte tenu du niveau de leur intelligence, auraient été bien plus gradés qu’ils ne l’ont été au moment de quitter le service actif?

Comme chez les légionnaires “de souche”, les officiers qui ne s’adaptent pas au monde légionnaire sont naturellement écartés, souvent  par leur volonté propre. Alors le genre de querelle qui a suscité ce billet est stérile, donc inutile.  Le vrai légionnaire est celui qui a servi la Légion et la France du  “soldat au colon” comme le dit la chanson, et avec abnégation dans l’honneur et la fidélité.

Après ? Après, il y a ces civils qui ont servi à la Légion et dont certains peuvent  se croire plus légionnaires que d’autres. Nous comprenons alors qu’un certain nombre de nos camarades anciens légionnaires-officiers ne veuillent plus de contacts avec ces derniers…   c’est pour eux aussi et  surtout “un état d’esprit”.

Arrêtez donc messieurs les anciens, qui croyez détenir l'exclusivité légionnaire de conspuer nos camarades officiers ou sous-officiers venus d'autres Armes qui servent dans nos rangs.

Leur cœur, comme le nôtre, bat aussi à 88 pas à la minute !

Christian Morisot  Antoine Marquet

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