18951213 - Le Messager de l'Ouest - Lettre de Madagascar... (suite 1)

 

Lettre de Madagascar... (suite 1)

 

Notre artillerie, retardée par les mauvais passages, arrive et se met en mesure de riposter avec efficacité. C'est merveilleux de voir des obus éclater au-dessus des positions ennemies.

L'infanterie recommence à marcher, et dès maintenant l'ennemi est en déroute Il est 2 heures. Quelle journée fatigante, les hommes n'en pouvaient plus, rien que des hauteurs et des ravins, les Hovas ont eu des pertes sérieuses, les malgaches ont 1 tué et quelques blessés, un de nos blessés est mort le lendemain ; nous couchons sur les positions conquises.

Le 16, marche et poursuite, quelques coups de canon et de fusil, sur des traînards. Arrivée à l'étape à 4 heures.

Le 17, même opération, l'avant-garde engage le combat vers 11 heures du matin. Au bout d'une demi-heure, tout est fini et les Hovas continuent leur fuite, on fait une dizaine de prisonniers.

Aujourd'hui nous faisons séjour, le2°groupe (marine) passe devant nous, pour exécuter un mouvement tournant ; le soir à 5 heures nous (le bataillon) prenons les avants-postes à environ 6 kilomètres d'ici.

Maharitza, le 20 septembre 1895.

Le 18, nous arrivons aux avant-postes à 7 heures du soir. Une altitude de 900 mètres.

De là on découvre les plus fortes défenses, qui aient été vues jusqu'à ce jour.

Partout des montagnes hautes, hérissées de retranchements.formidables.

Toutes les crêtes sont blanches de Hovas.

Le Général en chef donne ses ordres pour le lendemain.

Le 19, dès 4 heures du-matin, les colonnes, s'ébranlent. La brigade Voyron fait un mouvement tournant. Les Tirailleurs Algériens au centre, en réserve ; la Légion, sans sac, fait un mouvement tournant par la gauche.

En approchant nous sommes accueillis par des obus qui tombent, devant nous ; le tir est trop court.

En nous dérobant, nous grimpons toujours et nous arrivons en face, ou plutôt au-dessous de la plus formidable position, 1463 mètres d'altitude, on distingue une multitude de défenseurs, des canons, un drapeau.

Il est 0 heures, on entend la fusillade de la 2e brigade, on avance !

Un feu nourri ne nous empêche pas de marcher. Les Hovas tirent de trop loin.

Quelques balles (de fusils à tir rapide sans doute) passent au-dessus de nos têtes.

L'artillerie de chez nous tire quelques coups par dessus nous ; nous nous attendons à une résistance sérieuse, à une journée terrible. Tout à coup on voit de toutes les crêtes, l'ennemi battre en retraite.

Ce n'est pas étonnant : la brigade Voyron s'approchait insensiblement et allait les envelopper. Ce voyant, les Hovas avec leur lâcheté habituelle on cru devoir battre en retraite (pas par échelon ni en bon ordre).

Résistant, je ne sais pas combien nous aurions perdu de monde.

C’étaient les plus hautes, les meilleures et les plus formidables positions de Madagascar.

Les Hovas étaient plus de 8000 et avaient 30 canons, on en a capturé 2, il y â eu 1 blessé chez nous. A 10 heures du matin, tout était fini.


(A Suivre)

Les Malgaches.

 

Demain-samedi, le Conseil Municipal se réunira dans le local ordinaire de ses séances pour élaborer un programme de réceptions et de fêtes en l'honneur de nos pauvres Malgaches.

Combien va-t-il en revenir ? cent peut-être ?

Pauvres diables ! braves cœurs partis si joyeux se battre là-bas au nom de la France ! Comment allez vous nous être rendus !

Enfin ! nous savons que le Conseil fera tout ce qui dépendra de lui pour recevoir d'une façon digne de la ville qu'il représente les épaves de ce beau demi-bataillon parti il y a 8 mois.

 

L'interpellation de Madagascar

 

Cette interpellation attendue si anxieusement a eu lieu la semaine dernière.

Nous avons été un des premiers à penser qu'il s'en dégagerait quelque chose sur la façon dont cette expédition avait été entreprise, et par qui les responsabilités étaient encourues.

Nous sommes sorti — et bien d'autres comme nous — non pas Grosjean comme ci-devant, mais écœuré, nous pourrions ajouter dégoûté du spectacle auquel nous avions assisté.

Vous n'êtes pas sans avoir vu sur nos champs de foire, des théâtres de marionnettes. Il suffit; de tirer une ficelle et ces marionnettes sont mises en mouvement ; gesticulent et font comprendre leur mimé aux badauds qui ont donné deux sous.

Voila ce qu'ont, été nos parlementaires — à quelque parti qu'ils appartiennent— dans celle séance qui fait remonter nos souvenirs à un quart de siècle.

Le 15 juillet 1870, le ministre Olivier déclarait au corps législatif : « Depuis hier nous avons rappelé nos réserves. Nous continuerons à prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder nos intérêts, la sécurité et l'honneur de la France.»

Les « mesures nécessaires ». nous savons ce qu'elles étaient et, mieux encore, ce qu'elles ont coûté à la France. L'expérience, qui comportait cependant une grosse leçon n'a pas porté son fruit. Nous avons vu M. Hanotaux dans l'affaire de Madagascar, alors ministre des affaires étrangères, parodier la déclaration Olivier et affirmer à la tribune, dans les termes suivants, que nous étions prêts ; « L'expédition, disait-il, est étudiée depuis de nombreuses années, les sondages ont été faits autour de l'île, ou tout au moins à l'abord des ports utiles à l'expédition ; toutes les études sont faites, nous avons à l'heure actuelle préparé l'expédition, et pour ne pas engager la guerre sans l'assentiment du Parlement, nous venons dire : Tout est prêt, vous pouvez faire ou ne pas faire l'expédition. »

Tout est prêt ? Quelle ironie.

Vous faites écrire en face de votre nom : Olivier — Hanotaux ; 1870-1895.

Tout est prêt ? Quel mensonge ; comme vous avez trompé le pays et diminué à celle heure la confiance qu'il avait en son armée, en ses forces militaires ; comme vous nous avez montré que les sacrifices que nous nous imposons chaque année servent à peu de chose, — j'allais écrire comme ils servent à compromettre notre sécurité.

Nous ne savons pas jusqu'où nous irions, si nous laissions libre cours a notre indignation, partagée, nous en sommes certain, par tous qui, comme nous, espéraient en un retour de la vigilance et de la prévoyance.

M. le président du Conseil a refusé tous les ordres du jour tendant à là nomination d'une commission,parce qu'il pouvait a à l'occasion de cette enquête naître des inconvénients graves pour la défense nationale elle-même ». Vous n'auriez pas mal fait, M. le président, de l'aire ordonner, si c'était, possible, que les débats de cette interpellation I soient tenus secrets 1

Sait-on comment on organise en France une expédition comme celle de Madagascar ?

Écoutez l'aveu que va faire à la tribune M. le ministre de la guerre : « En réalité, dit M. Gavaignae, l’expédition a été préparée par une commission qui a siégé au mois d'août J894- et qui comprenait un chef de bataillon représentant le ministère des colonies; un chef d'escadron représentant le ministre de la guerre, un lieutenant-colonel de l'infanterie de marine et un agent du ministère des affaires étrangères.

«. En-raison des circonstances que je vais dire, en raison de la brièveté des délais qui ont été impartis ultérieurement, c'est réellement par cette commission de quatre membres, dont aucun n'avait de responsabilité dans la direction de l'expédition, que les bases pour ainsi dire définitives de l'expédition ont été jetées. Et on a plus eu ensuite qu'à ratifier en quelque sorte, sauf des modifications peu importâmes, les décisions que cette commission avait prises. '
cette commission a fonctionné au mois d'août 1894. C'est le 12 novembre, par une décision presque imprévue, qu'on a, du jour au lendemain, chargé le ministère de la guerre d'une mission à laquelle rien ne l'avait préparé, »

En ce qui concerne les sondages affirmés par M. Hanotaux, l'aveu du ministre de la guerre est intéressant à retenir : « Elle a été faite — la reconnaissance -  par trois officiers qui opéraient en pays ennemi et qui n'avaient à leur disposition que des moyens matériels EXTRÊMEMENT SOMMAIRES. »

Et l'histoire de l'embarquement du matériel ?

On se rappelle qu'il fallut pour  embarquer nos canonnières recourir à trois navires anglais, notre marine, prétendit-on n'ayant, pas de transports pouvant les embarquer. L'un de ces trois navires, le Brikburn, fut abordé par un navire anglais dans le golfe de Messine, subit des avaries qui le retinrent trois semaines dans le port de Messine, et le firent arriver à Madagascar après les affrétés transportant le gros du corps expéditionnaire.

Nous ne voulons rien commenter sur ce fait; nous bornerons à reproduire la déclaration suivante de M. Louis Brunet, lancée du haut de la tribune de la Chambre : Je ne puis établir aux yeux du gouvernement — et déjà j'ai communiqué une pièce à l'un de messieurs les ministres — de laquelle il résulte que, dans la question d'affrètement, c'est un étranger, un allemand, qui a profilé de ses relations avec le ministère de la Guerre et avec le ministère de la marine pour faire des propositions.

M. le Ministre de la Guerre n'a pas c0 dénié ce fait, pas plus que celui-ci relevé par M. Pierre Alype : les canonnières sont arrivées à Majunga ; on va donc les monter et s'en servir pour le transport, des troupes ; mais là, nouvelle déception, nouvelle faute encore
imputable, je crois à la marine : on s’aperçoit qu'une partie des pièces essentielles est restée à Toulon ; on ne peut pas les monter.

L'incurie a été poussée encore plus loin :

Ou sait qu'elle précieuse ressource est la quinine pour combattre les fièvres paludéennes. La 7e direction; (service de santé) le comprit si bien que. plusieurs milliers de kilogrammes furent  adressés au corps expéditionnaire. Lisons encore ici ce que dit l'Officiel à ce propos :

«... Ce qu'elle oublie de dire, c'est que les caisses qui la contenaient ont été jetées à fond de cale pêle-mêle, sans ordre, sans classification, avec les milliers de colis du corps expéditionnaire et que dans la précipitation du débarquement la plupart de ces caisses ont été oubliées et qu'elles ont été rapportées en France par les paquebots qui les avaient amenées. »

La question des transports à l'intérieur est des plus intéressantes à examiner, comme l'a bien voulu faire M. le Ministre de la Guerre, à qui nous cédons encore la parole.

« Ceux qui l'ont résolue disent, pour expliquer leur décision, que les transports par voiture présentent certains avantages incontestables. Dans les expéditions de ce genre, un mulet porte 100 kilogrammes et absorbe lui-même pour sa nourriture et celle de son conducteur 10 kilogrammes par jour. De sorte que le mulet porte lui-même dix jours de ses vivres et de son conducteur ; s'il fait dix jours d'étapes, il n'a fait aucun transport utile.

« Au contraire, le même mulet avec son conducteur, mangeant toujours 10 kilogrammes par jour, transporte dans une voiture légère du type qui a été adopté 200 kilogrammes ; s'il fait la même étape de dix jours, il a mangé 100 kilogrammes. Voilà l'argument considérable que l'on pouvait invoquer en faveur des voilures. C'est celui qui a déterminé leur adoption.

« J'estime, quant à moi, que cela a été une erreur, parce qu'il faut mettre en regard de ces avantages les inconvénients qu'on a payés si cher, la construction d'une route qu'implique nécessairement l'usage.des voitures, et j'estime que ces inconvénients pèsent d'un tel poids ('ans la balance qu'ils eussent dû porter à écarter celte solution. »

S'il fallait citer de ce débat tous les points malheureux, nous n'aurions pas de trop de ce journal. Il nous faut arriver a une conclusion. Avant cette conclusion nous demanderons encore à nos lecteurs la permission d'éclairer un autre point ; les erreurs de la période d'études : se perpétuant au cours et même après l'expédition.

Voici ce que nous apprend M. Marcel Hubert, et que nous devons croire exact, puis qu'aucuns rectification n'a été faite au cours des débats.

A un moment donné, le chef d'une partie du corps expéditionnaire, ayant besoin pour des troupes qu'il commandait de médicaments, chargea l'officier de marine commandant une canonnière de lui en rapporter. L'envoi ne fut pas fait. Au lieu de médicaments, la canonnière remonta le ballon du corps expéditionnaire. Je demande si cet officier de marine n'a pas exigé pour accomplir cet ordre qu'il fût écrit, ne voulant pas en prendre seul la responsabilité ?

«. Je demande par suite de quelle incurie, pour accompagner une expédition que l'on savait devoir se faire au moment des lièvres, on a envoyé un nombre d'infirmiers et de médecins notoirement insuffisant.

« Est-il vrai, que dans les hôpitaux, tous les médecins ont dû faire eux-mêmes le service d'infirmiers, et qu'on n'ait pas même pensé que les infirmiers pouvaient eux mêmes tomber malades. (Très bien !)

« Est-il vrai, comme on le disait tout à l'heure qu'un navire a dû revenir en France avec 700 malades soignés -par un médecin et deux vétérinaires, tous trois alités ? Est-ce que cela ne prouve pas qu'il y a eu des fautes graves commises, et dont la responsabilité doit être établie ?»

Voilà où nous en sommes après 25 ans de sacrifices.

Si le pays se contente des paroles des ministres, l'armée ne peut, le faire. Elle a le droit de connaître à quels sentiments ont obéi lés organisateurs de l'expédition de Madagascar et pourquoi les incuries signalées ont été commises.

C'est en sont nom que nous réclamons plus que jamais une commission d'enquête.

Commandant VICTOR.

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