18950126 - Le général Metzinger

Le Monde illustré du 26/01/1895 

 

Le général Metzinger, qui exercera le commandement de la première brigade de la division expéditionnaire de Madagascar est dans la force de l'âge. Il porte allègrement ses cinquante-deux ans: il est aussi alerte que robuste.

 

 

Avant d'avoir été promu général, — il avait alors quarante-huit ans — il commandait le 16e régiment d'infanterie, en garnison à Saint-Étienne. Le colonel Metzinger était alors un des chefs de corps les plus estimés, tant au point de vue des manœuvres et de la direction de l'instruction des troupes, qu'au point de vue de son prestige militaire, qui le mettait hors de pair. C'est, en effet, après des services prolongés et distingués, au Tonkin et en Afrique, que le chef de bataillon Metzinger avait été promu en juillet 1885 lieutenant-colonel; puis officier de la Légion d'honneur, à quelque jours à peine d'intervalle, deux ans juste avant sa promotion au grade de colonel.

Les débuts du général, qui commandait naguère la subdivision d'Oran, et qui s'embarquera demain pour Madagascar ont été par l’École de Saint-Cyr, où il est entré à l'âge de dix-huit ans, et d'où il sortit, avec un des premiers numéros de la promotion, comme sous-lieutenant d'infanterie.

Lors de la déclaration de guerre de 1870, il était lieutenant dans un des régiments qui contribuèrent à former l'armée du Rhin; il fut promu capitaine le 12 octobre 1870, ayant moins de deux années de grade, en récompense de la part brillante qu'il avait prise aux combats sous Metz. Il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur, après la reprise de Paris contre la Commune et obtint, en 1878, le grade de chef de bataillon d'où il devait s'élever rapidement aux grades plus élevés. Le général Metzinger a encore treize années devant lui, avant d'avoir atteint la limite d'âge; il sera général de division avant peu, l'un des plus jeunes et des plus vigoureux sur lesquels puissent compter notre infanterie.


C. M.

18950216 - 00 - Régiment d'Algérie - Campagne de Madagascar - 1895

18950216 - Journal officiel de la République française - Désignation des Officiers d'Infanterie appelés à faire partie du corps expéditionnaire de Madagascar

1897 - Rapport sur l'expédition de Madagascar, adressé le 25 avril 1896 au ministre de la Guerre : suivi de tous les documents militaires - Duchesne, Jacques (1837-1918)

 

 

18950216 - 01 - Encadrement du Bataillon de la Légion étrangère à la date du 16 février 1895

18950216 - Journal officiel de la République française - Désignation des Officiers d'Infanterie appelés à faire partie du corps expéditionnaire de Madagascar

 

 

Bataillon de Légion étrangère - 1er Bataillon du Régiment d'Algérie

 

 

Commandant le Bataillon CBA BARRE - 1er RE
Capitaine Adjudant-Major CNE Devaux - 1er RE
Officier payeur
LTN Beynet - 1er RE 
Officier d'approvisionnement LTN Ecochard - 1er RE 
Médecin - chef Médecin-Major de 2e classe Debrie 
Médecin adjoint Médecin aide-major de 1re classe Moingeard

 

1re Compagnie
2e Compagnie
3e Compagnie 4e Compagnie
 CNE Perrot - 1er RE CNE Courtois - 1er RE CNE Bulot - 2e RE CNE Sardi - 2e RE
LTN Ayné - 1er RE LTN Gueihers - 1er RE LTN Farail - 2e RE LTN Simon - 2e RE
LTN Rouanet - 1er RE LTN Grégory - 1er RE LTN Burchard - 2e RE LTN Motte - 2e RE
LTN Mure - 1er RE SLT Dufoulon - 1er RE SLT Langlois - 2e RE LTN Jolivet - 2e RE
       

18950223 - La route de Majunga à l'Émyrne

Le Monde illustré du 23/02/1895

A MADAGASCAR - LA ROUTE DE MAJUNGA A L'ÉMYRNE

 

 

 

Mesuré sur la carte, c'est-à-dire sans tenir compte des ondulations du sol, la route de Tamatave à Tananarive, que nous avons décrite dans un numéro précédent, a vol d'oiseau, accuse 270 kilomètres; le fil télégraphique, qui chevauche par monts et par vaux, les détours et coupe au plus court se développe entre le port principal de la côte Est et la capitale des Hovas, sur 300 kilomètres.

Plus longue est la route opposée, celle de Majunga à Tananarive : à vol d'oiseau elle atteint 380 kilomètres; elle est, en réalité, de 442 kilomètres.

Si la route de Tamatave à Tananarive peut emprunter la voie de mer, ou plutôt la voie des lacs côtiers, de Tamatave à Andevorante, et même jusqu'à Maromby, — ce qui réduit le trajet par terre à 200 kilomètres environ, — la route de Majunga à Tananarive utilise les voies fluviales sur 159 kilomètres; la distance à franchir, par terre, est ainsi, de ce côté, de 283 kilomètres.

La route de Tamatave et celle de Majunga convergent vers un même point situé à une altitude de 1,450 mètres; il est assez logique que la plus longue des deux voies ait des pentes plus douces. La route de Majunga, quoique moins dure que celle de la côte Est, n'en est pas moins hérissée de mille difficultés et de mille obstacles.

 

 

Allons d'ailleurs la reconnaître pour la juger.

Majunga. — Majunga — dont nous avons déjà publié diverses vues dans notre numéro du 12 janvier — est le second port d'exportation de Madagascar; en 1890, Tamatave exportait pour 2,350,000 francs, Majunga pour 500,000, Mananjary (côte est) 460,000 francs.

Mais, au point de vue des importations, Majunga n'arrive qu'au troisième rang. En1890, Tamatave importe pour 4,120,000 francs, Mananjary pour 760,000 francs, Majunga pour 400,000 francs, seulement un dixième du chiffre atteint par Tamatave : Vatomandry et Vohémar ont moins d'importance encore.

Le commerce de Majunga, tant à l'entrée qu'à la sortie, atteignait ainsi 900,000 francs en 1890, dont 800,000 francs par pavillon français.

L'Annuaire officiel de Madagascar mentionne, comme résidant à Majunga, douze Français et trois Françaises.

La population indigène atteint probablement le chiffre de 5,000 tètes : des Sakalaves en nombre, et avec eux, quelques Hovas, fonctionnaires, soldats, ou commerçants, des Indiens, protégés anglais, tous commerçants, des Comoriens, protégés français, et des Antalaotra, métis d'indigènes avec des Comoriens, ou des Arabes; tous les Antalaotra sont mahométans.

Sur ses 500.000 francs d'exportation, Majunga expédie 275.000 francs de cuirs et 185.000 francs de caoutchouc, avec 40.000 francs de produits divers, dont 20.000 francs de rabannes.

 

 

Les cuirs sont de deux qualités : les cuirs de boucherie qui valent de 20 à 23 francs les 50 kilos, et les cuirs de l'intérieur, qui sont généralement traités au sel et dont la préparation laisse beaucoup à désirer. Elle est à un tel point défectueuse que les transactions deviennent impossibles. Les Américains qui vendent des quantités considérables de « toiles de coton », qui en entrent à Tamatave pour près de deux millions de francs par an (soit moitié des importations totales), avaient songé à acheter les peaux de bœufs pour donner du fret de retour à leurs navires; des cargaisons entières de peaux se sont moisies et cette perte a été trop sensible aux deux maisons américaines de Madagascar, pour qu'elles consentent de longtemps à tenter une nouvelle opération sur les peaux salées.

Quant au caoutchouc il est de trois qualités : le caoutchouc des Sakalaves, coagulé par l'action du citron ou du tamarin, mal recueilli, contenant de la terre, du sable, des cailloux, par suite déprécié et ne se vendant, en moyenne, que 11 piastres les 36 livres anglaises : le caoutchouc du Ménabé, venant du sud, plus propre que le précèdent, mais toujours humide et perdant parfois moitié de son poids pendant le transport en Europe; se vend 25 à 30 piastres les 100 livres anglaises; — enfin, le caoutchouc de Majunga qui est préparé par les Hovas avec l'acide sulfurique et qui atteint les prix de 36 et 40 piastres les 100 livres anglaises.

Le commerce de Majunga, loin de se développer, diminuait chaque année : les importations, qui se chiffraient, en 1890, à 400.000 francs, avaient été de 548.000 en 1888. L’exportation des peaux, qui avait atteint certaines années 188.000 peaux, était tombée en 1887 à 98.000, en1888 et 1889 à 66.000. en 1892 et 1893 à 53.000 peaux.

Les causes de cette crise économique résident certainement dans l'état d'insécurité où se trouvait la contrée sakalave, dont Majunga est le débouché : le brigandage, le fahavalisme arrêtait complètement la vie de ces contrées.

Notre intervention aura un salutaire effet et permettra l’exploitation du pays.

Embarquons-nous, — par la pensée — à Majunga soit dans une pirogue (il y a quelque danger, c'est couleur locale et ce n'est pas banal), soit en boutre, pour les apeurés, soit pour ceux qui recherchent, le confortable et la vitesse, en chaloupe en vapeur. Une chaloupe est à ce jour en service : la Boina, qui a été construite, non pas en France ou en Angleterre, mais à Madagascar même, à Suberbieville. dans les ateliers de M. L. Suberbie; ce fut une façon très heureuse et économique de résoudre la question du transport entre l'Europe et l'Océan Indien que de la supprimer, en montant sur l'Ikopa des ateliers suffisants pour la construction métallique. (Nous représentons cette chaloupe parmi nos gravures.) La Borna, qui a depuis longtemps fait ses preuves, mesure 24 mètres de longueur, 3m50 de largeur, 40 centimètres de tirant d'eau: sa force est de 90 chevaux.

42 kilomètres sont à franchir, à travers la baie de Bombétoke, pour atteindre Marovay.

Marovay. — Marovay, dont le nom signifie « beaucoup de caïmans », est situé au fond de la Baie de Bombétoke, en face Nosy-Ambatobé, et un peu dans l'intérieur, sur une petite rivière de 2 mètres de large, c'est le chef-lieu de l'un des vingt-trois gouvernements qui composent le Boeni ou Pays des Sakalaves du Nord.

Village de Marovay - Départ du courrier - Les rues pricipales - Vue d'ensemble.

 

Avec le gouverneur hova, Raini-Voanjo, un 12e honneur, nous compterons à Marovay, centre relativement important, cinq Français, un Autrichien, cinq Comoriens commerçants et quatre planteurs, un peu plus d'une cinquantaine d'Indiens. Près de la ville est un fort hova, modeste comme tous les forts hovas, un simple rova (se prononce rouve); tel celui que notre gravure représente : une palissade en pieux et c'est tout. Ni fortifications à la Vauban, ni batteries, ni canon; les Hovas n'ont aucune arme à nous opposer; dans leur aveugle orgueil, ils ont pris jusqu'ici notre patience pour de 1 impuissance; ils ne croient pas encore que nous nous déciderons a une action plus énergique qu'en 1883-85. Mais si nous avançons, ils se soumettront à la force. Depuis des années ils disent et répètent : « Nous ne céderons qu'à la force; mais devant la force, nous céderons. »

Il nous suffira de paraitre pour obtenir une soumission complète, absolue.

 

 

Maëvatanana. - La rivière de Marovay dépassée, on entre dans le Betsiboka (se prononce Betsibouke); on le remonte jusqu'en face Trabonjy, autre chef lieu de gouvernement, peuplé de quelques centaines d'indigènes et où se sont fixés six commerçants indiens. On quitte alors le Betsiboka pour entrer dans son grand affluent l'Ikopa (se prononce lkoupe).

A 117 kilomètres de Marovay, à 159 kilomètres de Majunga, où se trouve en face de Maëvetanana.

Pour franchir la distance totale, les pirogues mettent 36 heures.

Maëvetanana, comme Marovay, comme Mahabo, Trabonjy, Ankoala, Amparihibé, Antongodrahoja, Ambodiamontana est chef-lieu d'un des vingt-trois gouvernements du Boéni. Ce village est situé à 4 kilomètres de la rivière, sur une éminence; l'une de nos gravures représente le rova du gouverneur; Romambazafy est entouré de ses aides de camp, près de lui sont ses soldats réguliers et ses musiciens.

 

 

Suberbieville. — En décembre 1886, le premier ministre hova accordait à notre compatriote M. L. Suberbie le droit d'exploiter tous les gisements aurifères du bassin de l'Ikopa et du Betsiboka.

 

Préparation de la tranchée des sluices.

La sluice boxe.

Laveurs à la battée.

 

Un traité intervint entre Rainilaiarivony et son concessionnaire : les termes en furent à différentes reprises modifiés.

M. Suberbie avait pu s'engager, tellement l'exploitation se présentait sous un jour favorable, à payer, lui-même, et lui seul, l'emprunt des 13 millions en 10 semestrialités, versées de 1891 à 1895, et allant de 111.596 piastres pour la première (557.982 fr.) à 464.391 piastres pour la dernière (2.321.957 fr.).

Dès sa concession obtenue, M. L. Suberbie se met a l’œuvre.

Il travaille tout à la fois l'alluvion et le quartz; il lave les terres alluvionnaires à la battée, où il les traite par des procédés moins primitifs; il attaque la roche à Ampasiry par une méthode hydraulique ( qu'une de nos gravures figure ); il recherche les filons par puits et galeries.

Suberbieville est créé en 1889 : à certains moments 1.400 hommes travaillent sur les chantiers : ils donnent 27 kilogrammes d'or par mois : on eut pu en obtenir quatre fois plus si le; bras n'eussent manqué.

 

Marokolohy. — A Suberbieville, on abandonne la voie de l'Ikopa pour prendre la voie de terre. Pendant 25 kilomètres on longera le fleuve: 5 heures de marche conduiront au petit village de Tsarasaotro; la montée sera de 200 mètres.

Un plan incliné, avec de légères ondulations, montera à 400 mètres, puis une dépression dans laquelle est le village d'Ampasiry, aux granits aurifères.

 

La zone difficile débute : le plateau d'Ampasiry est extrêmement raviné; puis des collines succédant aux collines, des masses rocheuses de tous côtés; il reste 223 kilomètres pénibles à vaincre.

Huit heures et demie de marche ont mené à Marokolohy, l'un des chefs-lieux des gouvernements hovas échelonnés sur la route: là nous retrouvons un gouverneur, 9e honneur (Andriantseheno), avec son rova, sa garde et ses musiciens, et de nombreux moustiques dont les traces se retrouvent dans l'étvmologie du nom de ce poste.

Malatsy. — Quatre heures de marche à travers les collines d'Ambohimenakely, par une montée de 500 à 690 mètres pour redescendre à 580, permettent d'atteindre Malatsy, autre chef-lieu de gouvernement hova.

Ampotaka. — La rivière Kamolandy franchie, l'ascension des mille mètres de l'Andriba évitée par un détour, un regard donné sur les curieux monuments des antiques Yazimba qui se dressent sur la droite, on longe le cours du Mamokomita dans une région extrêmement tourmentée: la piste est de tous côtés dominée de sommets rocheux très escarpés.

On monte toujours: au delà de la cascade de Tafofo, une belle chute de 100 mètres, on est à 995 mètres d'altitude: on franchit un étang couvert de roseaux et une pente légère mène à Ampotakil, autre chef-lieu de gouvernement: c'est un village d'importance moyenne, comptant environ 100 cases.

Kinajy. — Entre Ampotaka et Kinajy, on longe un ruisseau, le Firingalava, que l'on passe plusieurs fois à gué. La pente est peu sensible; mais la piste est enserrée à droite par les rochers d'Ambohitohana. d'Ambohibé, d'Ankotrokotrana, de Kiangara, à gauche par les rochers de Tsinainondry, de Fandriandratsy.

Kinajy est le dernier chef-lieu de gouvernement du Boëni.

Au delà est la plus grosse difficulté de la route : il faut franchir les lianes du plateau de l'Emyrne; un gradin, une marche de 500 mètres d'élévation abrupte.

De Kinajy à Amboripotsy, la distance n'est que de 8 kilomètres, pendant lesquels on s'élève de 950 à 1.450 mètres.

Sakalaves. — 'Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les Sakalaves de la côte-ouest formèrent un puissant empire : le fondateur de la monarchie sakalave avait été, selon la tradition, le « brûleur de forêts », un blanc débarqué, peut-être au XVIe siècle, dans la Baie de Saint-Augustin. Des querelles intestines ruinèrent la puissance des Sakalaves. Lorsque les Hovas les attaquèrent sous Andrinampoinimerina (1787 à 1810) et sous Radama Ier (1810 à 1828), ils ne purent résister. Ils furent vaincus, ils ne furent pas soumis. C'est contre les Hovas que les Sakalaves contractèrent traités avec nous en 1840 et 1841 : ils avaient confiance en nous : et comptaient user de notre appui; nous les avons trahis en 1885 en les abandonnant aux Hovas.

Les Hovas n'ont pu se rendre maîtres du Sakalava : leur autorité ne s'étend pas au delà de quelques kilomètres à l'entour de leurs rovas, et les Sakalaves témoignent contre nous un ressentiment profond.

 

 

N'a-t-on pas assez répété depuis quelques année; que les Sakalaves seraient pour nous de précieux auxiliaires pour la campagne ? Pure illusion. Ces peuplades, guerrières par excellence, nous traiteront en ennemis. L'escorte du résident général descendant en novembre dernier de Tananarive à Majunga a failli échanger des coups de fusil avec eux. L'expédition aura à les réduire. Ils ne croient plus à notre parole : nous ne pourrons les désarmer par des promesses, faudra avoir recours à la force, cruelle conséquence des fautes du passé. Nous avons décrit les deux routes, qui conduisent au Plateau de l'Imerina ou Emyrne, celle de l'est et celle de l'ouest. Il nous reste à parler du plateau central.

HENRI MAGER.

18950301 - 00 - Marches et opérations du Corps Expéditionnaire - 02 - Opérations de l'avant-garde du Corps expéditionnaire

Annuaire de Madagascar et dépendances - Année 1898

 

 

18950301 - 01 - Marches et opérations du Corps Expéditionnaire - 02 - Opérations de l'avant-garde du Corps expéditionnaire

1897 - Rapport sur l'expédition de Madagascar, adressé le 25 avril 1896 au ministre de la Guerre : suivi de tous les documents militaires - Duchesne, Jacques (1837-1918)

 

 

 

18950323 - A Madagascar - Le plateau de l'Imérina - Pays des Hovas.

Le Monde illustré du 23/03/1895

A MADAGASCAR - LE PLATEAU DE L'IMÉRINA - PAYS DES HOVAS.

 

Notes et Souvenirs de voyage.

Deux routes mènent à Tananarive; nous les avons précédemment décrites.

 

 

Celle de l'est, qui longe la côte de Tamatave jusqu'au port d'Andevoranto n'a d'Andevoranto à la capitale hova que 200 kilomètres environ.

Celle de l'ouest, qui touche la côte à Majunga, peut utiliser, en saison favorable, 159 kilomètres de voies fluviales : elle compte, en totalité et en réalité, 442 kilomètres.

De ces deux routes, laquelle peut être le plus facilement franchie ? laquelle offre le moins de difficultés ? par laquelle fallait-il lancer notre corps expéditionnaire ?

 

 

J'ai signalé (numéros des 19 janvier et 23 février ) les obstacles qu'il faudra vaincre, de l'un ou l'autre côté.

Sur la route de l'est, ces difficultés sont : les lagunes des bouches de l'Ivondrono, soit trois quarts d'heure en dangereuses pirogues : le déversoir, après Tampolo, du lac Sarobahina, qu'il faut franchir le plus souvent en pirogues; puis le trajet par eau d'Andevoranto à Marombi par l'Iaroka et un affluents (trois heures en pirogues); les premiers escarpements du massif madécasse, entre Bedaro et Marozevo ( voir notre coupe de Madagascar); le second gradin, en forêts, de Beforona à Analamazaota; et, au delà du fleuve Mangoro, l'ascension du Mont Ifody, puis du sommet d'Angavo et des hauteurs d'Ankaramadinika, lisières du plateau central.

Un simple regard jeté sur la coupe que nous publions, permettra de constater que la route de l'ouest offre, au point de vue des difficultés topographiques, des difficultés presque aussi grandes. Si la baie de Bombétoke, puis le cours du Betsiboka et de l'Ikopa permettent de remonter, par voie d'eau, jusqu'à Suberbieville, la navigation en ces rivières est parfois fort difficile; il faut des chaloupes construites spécialement pour cette navigation et très souvent elles ne peuvent atteindre la région des chutes : on a déjà dit que la majeure partie de nos troupes ne prendrait pas la voie fluviale et gagnerait Suberbieville par la rive droite : nos soldats auraient à franchir plusieurs cours d'eau, entre autres le Betsiboka. Au delà de Suberbieville, la montée commence; au delà d'Ampasiry, la zone difficile débute : plateaux ravinés à parcourir, rochers à escalader, quelques rivières et quelques étangs à traverser; montées et descentes pour atteindre Marokolohy, montées et descentes pour atteindre Malatsy, montées et descentes pour atteindre Ampotaka, montées et descentes pour atteindre Kinajy, dernier poste hova du Boina (ou Boëni); au delà, ascension des rochers d'Ambohimena, derrière lesquels sera atteint, vers Ankazolée, la lisière septentrionale de plateau central.

 

 

Les difficultés sont-elles moindres par l'ouest, par cette route de Majunga ? moindres que par l'est ?

Certains l'affirment. D'autres le contestent.

Je n'ai pas à me prononcer : le lecteur a sous les yeux une coupe en profil, qui a été dressée avec le plus grand soin, et qui est d'une rigoureuse exactitude mathématique : il appréciera.

Il verra combien la route de l'ouest est plus longue que la route de l'est; il jugera si l'effort ne sera pas par l'ouest aussi pénible que par l'est; et si cet effort ne devra pas, par l'ouest, être soutenu plus longtemps.

D'ailleurs, pour une grosse et longue expédition, la question pouvait se poser de savoir laquelle des deux routes devait être préférée; mais s'il se fût agi d'une opération rapide, de la montée à Tananarive de mille, deux mille ou trois mille hommes, je ne crois pas qu'il eût fallu hésiter: toute préférence eût du aller, sans hésitation, à la route de l'est, la route par Tamatave et Andevoranto.

Des voyageurs ont, comme à plaisir, grossi les difficultés de cette route de l'est.

 

 

N'oublions pas qu'elle était sillonnée chaque jour par des milliers de porteurs (les borizanos), portant chacun sur leurs épaules de 25 à 50 kilogrammes de bagages ou de marchandises que chargés de 25 kilogrammes, ces indigènes franchissent en quatre jours la distance entre Andevoranto et Tananarive, que ce ne sont pas
seulement les marchandises facilement divisables comme les cotonnades et les liquides, qui sont ainsi montées, que des marchandises lourdes et encombrantes étaient montées constamment de Tamatave et Andevoranto au plateau central; que parmi ces marchandises encombrantes, il s'est trouvé tout le mobilier de la résidence générale, il s'est trouve des pianos et même ce meuble encombrant encore par ses dimensions,
des grands jeux de petits cheveaux; qu'il s'est trouvé le matériel de l'observatoire, et sa lunette astronomique, dont le transport fut plus retardé par l'effroi des porteurs que par les difficultés de la route.

Que ceux qui prétendent que cette route de l'est est impraticable aux services auxiliaires d'une brigade expéditionnaire, reconnaissent que c'est par cette voie que sont montés à Tananarive, d'une part, tous les chevaux qu'on y rencontre, — et ils sont relativement nombreux, — d'autre part les lourds canons qui sont à Tananarive en ce moment.
Débarqués à Tamatave, à Andevoranto, ou à Vatomandry, tout le matériel
de guerre destiné aux Hovas, a été porté à Tananarive par la route de l'est, les canons,leurs affûts, leurs munitions, les caisses de fusils et les caisses de cartouches.

Si cette route est difficile, elle n'est pas impraticable.

Lorsqu'en 1867, la reine Rasaohérirna descendit à la côte pour faire une cure aux eaux chaudes de Ranomafana (entre Mahelakely et Vliromby), elle fut accompagnée de quarante mille hommes et de quinze cents palanquins : la caravane put franchir les passages les plus difficiles de la montagne, comme des forêts.

Qu'importent maintenant ces souvenirs et ces constatations ? l'expédition prendra la voie de l'ouest, que les autorités militaires ont choisie avec ses avantages et ses défaveurs. Le sort en est jeté.

Dans deux précédents articles, nous avons suivi, les deux routes qui convergent vers l'Imérina : il nous reste à parler du plateau central.

Lorsque venant de l'est, on a franchi les hauteurs d'Ankeramadinika, (1,425 mètres), et lorsqu'on est arrivé aux villages de Manjakandriana (1,418 mètres), et d'Ambohibehasina (1,523 mètres d'altitude), ou lorsque venant de l'ouest, les rochers d'Ambohimena (1,462 mètres) ont été dépassés, l'aspect du pays se transforme: le décor est changé instantanément.

 

 

Derrière soi, une région tourmentée, pauvre et triste; quelques villages rares et chétifs, de simples cases en bois et en feuilles, ni routes, ni chemin.

Devant soi, un horizon merveilleux, ondulé et verdoyant, d'innombrables villages, plus de cases, des maisons; des maisons souvent coquettes, serrées les unes contre les autres, la campagne coupée en tous sens de routes et de sentiers; des cultures sur toutes les collines, des rizières dans tous les vallons : le spectacle saisit d'étonnement et d'admiration.

Le plateau de l'Imérina, domaine des Hovas, a été diversement jugé par les écrivains qui ont parlé de Madagascar.

Certains le représentent comme une contrée désolée et stérile. Ils ne se souviennent que de ces mots de Père Jésuite de la Vaissière : « La zone contraste péniblement avec le reste du pays. Bien qu'on y trouve le chef-lieu de la puissance civile, on voit immédiatement que ce n'est pas à sa richesse territoriale qu'elle doit
cet honneur. A part quelques débris de forêts ayant échappé, pense-ton généralement, aux ravages de l'incendie, l’œil n'aperçoit de toute part que des monticules dénudés et des bandes arides, où pousse un petit jonc que les habitants appellent bozaka et dont ils se servent pour allumer leur feu.

 

 

N'était le fond des allées magnifiquement paré pendant quelques mois par la verdure des régions, on se croirait en un vaste désert, d'où s'est retirée toute vie humaine. Dans un passé déjà assez reculé, ces monticules et ces bandes ont peut-être été boisés comme dans les portions de la zone moyenne, mais l'habitude de brûler les forêts, soit pour la plantation du riz, soit pour se mettre à l'abri des surprises de l'ennemi, a réduit le pays en cet état.

Les pluies tombant par avalanche sur ces monticules dégarnis d'arbres en ont d'abord transporté la terre au fond des vallées; les vents et les rayons de soleil, que rien n'arrêtait plus ont achevé l’œuvre de mort, et il semble que ces bandes, sur lesquelles reste seulement une terre argileuse et de couleur rougeâtre, doivent se refuser à toute espèce de production. Les faits cependant montrent... »

Les mêmes détracteurs citent, en les tronquant parfois, certains passages des descriptions de M. Grandidier, et notamment ceux-ci : « L'Imerina est un pays montagneux, coupé de nombreux cours d'eau, complètement nu, sans arbres, sans arbustes, et souvent même sans culture, à peu près inhabité dans les parties accidentées. Les collines qui couvrent presque tout le pays, et qui sont formées d'une argile rouge, dure et compacte au milieu de laquelle affluent de nombreux blocs de granit à surface bombée, ne sont pas fertiles. » M. Grandidier ajoute : « Dans le sud s'élève un grand massif nu et rocheux. l'Ankaratra, du Tsiafajavona, qui est le sommet le plus élevé de l'île de Madagascar, la vue s'étend sur la province tout entière, qui apparaît comme une mer de montagnes, sans arbres, sans arbrisseaux, où des roches nombreuses émergent au milieu d'une herbe grossière qui n'est même pas très bonne pour le bétail, et qui ne sert guère que de combustible aux habitants de ce pays désolé : le bois manque en effet dans l'Imérina et les gens riches peuvent seuls envoyer chercher des fagots dans la bande de forêt qui se trouve à la limite orientale. »

Si l'Imérina a ses détracteurs, elle a aussi ses admirateurs. Ceux-là citent d'autres phrases des mêmes auteurs, du P. de la Vaissière, et de M. Grandidier.

Le P. de la Vaissière a écrit: « Les faits cependant montrent que les landes de l'Imérina ne sont pas entièrement stériles, et qu'avec du travail on en peut tirer parti. Le caféier y vient assez bien: on y récolte çà et là de beaux maïs, et dans plus d'une localité la canne à sucre y est plantée sur une assez grande échelle en vue du rhum ou toaka qu'on en extrait. Les pommes de tertre, les haricots y sont devenus si communs qu'on les vend à vil prix. La terre malgache n'attend que des bras. Même celle du plateau central, toute stérile qu'elle paraisse, peut acquérir une vraie valeur, si elle est convenablement travaillée, et nous l'avons vue nous-même, depuis quelques années, se transformer complètement sous l'empire du travail. »

M. Grandidier efface l'impression de sa première description, en ajoutant: « Au centre même de la province,
il y a une grande plaine, le Betsimitatatra, qui jadis était un lac ou un marais, et qui forme aujourd'hui un immense champ de riz d'un aspect fort riant à la saison pluvieuse, d'où émergent ça et là, comme autant d'îlots, de nombreux hameaux ou maisons bâties sur de petits coteaux. Ce gigantesque damier aux cases vertes, que circonscrivent de petits murs de terre noire et ces nombreux gradins suspendus aux lianes des collines, qu'irriguent des ruisseaux amenés habilement sur les lieux de culture, montrent avec quelle intelligence et quelle ardeur les Hovas travaillent la terre : le riz que produit l'Imérina nourrit une population considérable. »


Les maisons de l'Imérina et les murs de clôture sont construits en pisé.

 

 

La terre argileuse du centre, réduite en boue, a une grande force de cohésion, et, séchée, devient extrêmement dure. Pour faire des blocs de pisé, on jette dans des moules en bois, ou des caisses sans fond, de la terre légèrement humide: on la pile; la forme acquise, la pièce est retirée du moule et mise à sécher un jour ou deux- elle peut ensuite être maniée et transportée sans crainte d'être brisée; ces blocs sont cimentés l'un à l'autre au moyen d'une boue claire, et les murailles une fois construites sont recouvertes d'un enduit de boue habilement mélangée de bouse de vache. Les constructions en terre sont bien plus résistantes qu'on ne saurait croire; certains murs de clôture se tiennent encore debout malgré toutes les intempéries des saisons et les pluies de l'hivernage, après vingt ans.

La maison hova a une forme rectangulaire: sa longueur moyenne est de 6 mètres, sa largeur de 4 mètres : elle est invariablement orientée du nord au sud : les vents généraux soufflent du nord-est pendant l'été, du sud-est pendant l'hiver, les ouvertures de la maison, une porte et une fenêtre, sont percées sur le grand mur de l'ouest. L'habitation est presque toujours divisée en deux: la pièce du sud, par laquelle on entre, est celle où se tient habituellement la famille, avec les poules, les canards, les oies, et fort souvent les porcs, les moulons, les jeunes veaux : l'angle du nord-ouest est occupé par le foyer: trois pierres entourent le feu et supportent la marmite au riz. La pièce du fond est la chambre à coucher, la chambre des hôtes; on y accède par une petite porte de communication : le sol et les murs en sont tapissés de nattes : un cadre de bois formant lit occupe l'angle nord-est; aucun autre objet d’ameublement, si ce n'est une cruche à eau, une caisse à provisions ou à vêtements, quelques calebasses, quelques marmites et quelques cuillers en corne. La maison hova possède parfois un grenier, où l'on monte par un escalier intérieur.

Dans la vue de l'Imérina ( ou Emyrne ) que nous donnons, on remarquera, au pied de la route, un village Hova d'une vingtaine de maisons en pisé; toutes les maisons sont orientées dans la même direction; elles possèdent la porte et la fenêtre, que nous avons signalées, et ont en outre une lucarne de grenier.

 

 

Sur une autre vue de l'Imérina, on verra d'immenses blocs de granit à surface bombée si caractéristiques
de la région; on verra un sentier et une route réelle, ce qui cause un grand étonnement au voyageur qui venant, de la côte, a cessé depuis longtemps de rencontrer des routes et des sentiers; on verra les bœufs et les moutons de l'Imérina paissant, un enfant les gardent; les indigènes des deux sexes se reposent au bord du chemin.

Une autre gravure montre la maison hova de Tananarive, plus grande, plus complexe que la maison des premiers villages du plateau; sa forme est celle d'un - : elle a plusieurs étages et une véranda.

Plus jolie encore est cette maison du Zoma de Tananarive, avec le jardin qui l'entoure, avec son étage, sa véranda circulaire, et ses gracieuses entrées, la porte extérieure, comme l'intérieure.

 

 

Une ancienne loi locale prescrivait de ne construire àTananarive que des maisons d'habitation en bois; dans la ville haute, près des palais royaux, on voit bien encore plusieurs habitations en bois; près de la maison en pisé en forme de que nous représentons, on verra une maison en planches de bois.

Mais la loi locale sur les constructions a eu le sort de toutes les autres lois malgaches: elle n'est ni suivie,
ni appliquée.

Si le bois est délaissé, la brique commence à être en faveur pour les belles constructions. On se sert de la brique séchée au soleil, ou de la brique cuite au four. Le palais du premier ministre a été bâti en briques
cuites. Nous figurons une maison en brique cuite bâtie récemment sur la place d'Andohalo, de Tananarive, par une princesse de la cour : cette construction, on en conviendra est des plus gracieuses et fait honneur au travail malgache.

 

 

Pour permettre à nos lecteurs de juger par eux mêmes de l'aspect de la valeur du plateau central, nous donnons le panorama d'un paysage voisin de Tananarive.

Mieux que toute description, celle photographie, témoin impartial et fidèle des choses, fixera le sentiment
de chacun.

Une description, qu'elle vante ou qu'elle dénigre, quelque habile qu'elle soit, laisse en l'esprit du
lecteur quelque doute ou quelque hésitation. Il voudrait voir, pour décider, pour rendre son propre jugement.

Nous le mettons à même de voir. Qu'il considère ces magnifiques rizières, qui tapissent le fond de la vallée, et ces autres rizières en gradins, qui s'avancent haut sur les collines, qu'il compte tous ces villages, toutes ces habitations jetées sur le sommet des collines et sur leurs lianes, pressées souvent les unes contre les autres, qu'il voie ces cultures, ces vergers, ces bois de toutes parts.

Qu'il regarde et qu'il juge. Est-ce une contrée stérile et désolée,sans arbres et sans culture, inhabitée ?


Henri MAGER.

18950402 - Les opérations militaires de la côte-Est

Le Monde illustré du 18/05/1895

 

A MADAGASCAR - LES OPÉRATIONS MILITAIRES DE LA COTE-EST

(Photographies de MM. PERROT frères.)

 

Grâce au câble, qui, depuis le 1er avril, joint Majunga à Mozambique, nous recevons chaque jour des nouvelles du corps expéditionnaire opérant sur la côte ouest de Madagascar.

Nous pouvons connaître l'arrivée de chaque affrété : savoir à tout instant le nombre d'hommes, de convoyeurs, de chevaux, de mulets, de voitures, dont dispose le général en chef ; nous pouvons obtenir des renseignements sur la santé de nos soldats ; apprendre leurs premiers succès, y applaudir.

Ce qui se passe du côté de Tamatave nous ne le savons pas aussi promptement. Nous ne pouvons recevoir, venus de cette côte, que deux télégrammes par mois, l'un vers le 10 lancé de Maurice par le paquebot passé à Diégo le 4 et à Tamatave le 6, l'autre vers le 30 lancé de Majunga même par le paquebot postal passé le 26 à Tamatave, et le 29 à Diégo-Suarez.

Ainsi, pour les événements, qui se passent à Tamatave du 26 d'un mois au 6 du mois suivant, nous les connaissons dans un délai maximum de quinze jours ; pour ceux qui se passent du 6 au 26, nous sommes exposés à ne les connaître, dans certains cas, qu'au bout de 25 jours.

Nos soldats de Tamatave, malgré l'absence de nouvelles et le silence, n'ont pas une tâche moins ardue que ceux de Majunga. Tant que la concentration n'est pas complète à Majunga, et elle ne sera vraisemblablement terminée que vers la fin de ce mois ; tant que la marche en avant ne peut réellement commencer, tant que nous ne dépassons pas sur l'ouest, Suberbieville, la partie du corps expéditionnaire opérant, à l'Est, devant Tamatave, ne petit s'avancer vers l'intérieur ; mais elle a en face d'elle à Faharafate le meilleur des forces dont les Hovas puissent disposer pour la défense des flancs de leurs plateaux ; nos soldats doivent se tenir à tout instant sur le qui-vive et les combats sont fréquents.

Par le dernier courrier postal, qui est parti de Tamatave le 5 ou le 6 avril, mes amis me parlaient encore d'un combat livré le 2, l'un des plus importants de la quinzaine.

Le capitaine d'artillerie Barrera avait reçu l'ordre d'aller détruire les travaux de défense nouvellement faits par les Hovas entre Faharafate et Sahamafy. Le 2 avril, à six heures du matin, les canons du Fort de Tamatave, ainsi que l'artillerie du Papin, ouvraient leurs feux sur les positions hovas afin de protéger la reconnaissance du capitaine Barrera : les Hovas ripostèrent ; plusieurs de leurs obus tombèrent près de nos artilleurs ; aucun ne fut blessé, les obus n'éclatèrent pas ; mais du côté des Hovas les pertes ont dû être sérieuses, car notre tir était d'une précision remarquable ; une pièce de 14 cent tirant du fort était admirable entre toutes. Les habitants de Tamatave suivaient le combat du haut d'une butte à l'aide de lorgnettes ; vers 9 heures, les travaux hovas étant complètement détruits, la reconnaissance rentra à Tamatave.

Par le Plan des défenses de Tamatave, que nous publions, le lecteur jugera des mesures qui ont été prises pour mettre Tamatave à l'abri d'une surprise.

 

 

Deux enceintes ont été tracées. L'enceinte intérieure circonscrit la ville : elle se détache de la rade au delà du Fort et se dirige vers les dunes de la baie d'Ivondrono, en laissant à l'intérieur le Fort vers le nord-est, le Consulat anglais vers le sud-ouest.

L'enceinte extérieure est peu distante de la première : elle est protégée vers la rade par le blockhaus des Manguiers, à l'ouest par le blockhaus de l'hôpital et en avant du consulat par deux blockhaus plus petits ; entre les deux enceintes, outre ces blockhaus, 4 postes et 5 ouvrages en tranchée.

Nos gravures représentent, outre le plan des défenses de Tamatave, qui est signé du lieutenant Lauratet, la forge de l'artillerie, les charrettes à foin de l'artillerie, des prisonniers malgaches.

 

 

La forge de l'artillerie a été installée à côté du Fort sur l'emplacement qu'occupait l'ancien chef de la police hova Saloni lambo.

Les charrettes de l'artillerie qui reviennent de faire du foin, sont, sur l'instantané de YM. Perrot frères, arrêtées devant la case de leurs sous-officiers ; cette case mérite une mention : elle a été habitée par le prince Ramaharatra, actuellement ministre de la guerre des Hovas et général en chef de leurs troupes.

 

 

Les prisonniers que représente notre autre gravure sont des Malgaches qui ne se sentent aucune vocation guerrière, et qui, pour se mettre à l'abri de nos balles et de nos obus, tentent de se faire admettre à l'intérieur de nos lignes. Dès qu'ils se présentent, ils sont conduits sous escorte au bureau militaire des renseignements, qui les interroge et statue sur le cas de chacun. Un assez grand nombre de Betsimisaraka sont venus nous demander protection ; presque tous, hommes, femmes, enfants, sont embarqués sur de petits coutres et envoyés à Sainte-Marie de Madagascar ; le défaut de vivres à Tamatave oblige impérieusement leur éloignement, qui semble étrange au premier abord.

 

 

Tamatave se trouve en effet dans la situation d'une ville investie : rien n'y peut entrer de l'extérieur, ni viande, ni légumes; la vie y est devenue difficile, et l'on est obligé de réduire le plus possible le nombre des bouches inutiles.

Bien que le climat de Tamatave soit reconnu comme le moins bon, ou le plus mauvais, de Madagascar, il n'en est pas moins vrai que la santé de nos soldats n'a pas été très éprouvée à Tamatave durant la dernière saison d'hivernage ; il est juste d'ailleurs que nos soldats s'y trouvaient dans d'assez bonnes conditions hygiéniques, ce qui n'a pas été à Majunga.

Malgré tous les contre temps qui sont venus re-tarder l'ouverture des opérations offensives, la campagne s'annonce sous de favorables auspices. Que nos canonnières arrivent ou n'arrivent pas dans les délais escomptés, qu'elles soient ou ne puissent être montées, qu'il y ait ou qu'il n'y ait plus, en juin et juillet assez d'eau dans l'Ikopa pour permettre la navigabilité de la rivière, rien ne pourra nous arrêter. Le général Duchesne a, paraît-il, demandé crédit de trois mois pour triompher des Hovas ; dans trois mois il sera à Tananarive quoi qu'il advienne.

Une communication que nous avons accueillie joie dans avec le dernier courrier a été le texte de la proclamation lancée par le général Metzinger aux habitants de Madagascar.

Jusqu'ici on nous parlait, même à la Chambre des députés, de l'organisation d'un simple protectorat plus ou moins contemplatif ; on nous proposait d'organiser Madagascar à l'exemple de l'Annam, où à l'exemple de la Tunisie ; je crois même que cette proposition a été insinuée par M. Hanotaux, ministre des affaires étrangères, qui cependant n'a pas voulu, et ne pouvait, se prononcer formellement sur le régime qui serait adopté par la suite.

Avec le général Metzinger il n'est plus question de protectorat : le général annonce que nous allons à Madagascar pour modifier les bases ee toutes choses.

« Il faut transformer ce qui est mauvais en bon », dit-il, et il indique le mauvais. Mais pour comprendre toute la valeur et la portée de ses paroles, il faut connaître certaines pratiques hovas. Actuellement, la reine des Hovas est « maîtresse des personnes et maitresse des choses » : toute la constitution malgache est dans ces deux mots.

Maîtresse des personnes, elle leur commande ; veut-elle des soldats, elle commande de servir à l'armée ; veut-elle des travailleurs, elle commande de servir aux palais.

Maîtresse des choses, lorsqu'une propriété, une maison, une récolte sont à sa convenance, elle les prend.

Dans l'un et l'autre cas, elle dit à ses sujets : « Ceci est pour moi » et ses sujets répondent : « Je suis ton esclave. »

Tout cela ne sera plus.

Le général Metzinger le déclare. « Dorénavant personne ne pourra plus vous dire : ceci est pour moi ; et personne n'aura plus à répondre : je suis ton esclave. »

Le général ajoute en insistant sur sa déclaration : « Il ne sera plus imposé aucune corvée », aucune corvée, c'est-à-dire que le peuple ne sera plus requis pour servir gratuitement aux armées, pour servir gratuitement la reine et ses honneurs avec leur aide-de camp.

Dans ce cas, il faudra payer et l'armée et les services civils de toute nature ; il faudra créer un budget d’État ; recettes et dépenses, il faudra prendre en mains l'administration du pays.

Si je ne craignais que cette proclamation ne rende la guerre plus difficile, en démasquant nos desseins, en montrant aux chefs hovas d'aujourd'hui que nous entendons les faire disparaître en créant un régime nouveau, si je n'avais à me placer qu'au point de vue de l'idée, en négligeant les conséquences, je déclarerais que cette proclamation fait le plus grand honneur à celui qui a su la formuler et qui a osé la lancer à la face des timorés.

Rien ne peut plus dorénavant effacer les paroles solennelles du général.

La France est liée. Le sort en est jeté : Madagascar sera une colonie pétrie à notre volonté. Si les grandes lignes de notre action sont ainsi esquissées, il reste à définir les détails du programme : il importe de les décider au plus tôt. Il faut que l'homme, qui recevra le périlleux honneur d'organiser la conquête, sache avant de quitter la France ce qu'il fera là-bas, comment il le fera, pourquoi il le fera.

HENRI MAGER.

18950418 - A Madagascar - Les Opérations Militaires de la Côte-Est

Le Monde illustré du 08/06/1895

 

A MADAGASCAR - LES OPÉRATIONS MILITAIRES DE LA COTE EST

(Photographies de MM. PERROT frères et GIMEL.)

 

Le courrier postal parti de Tamatave le 5 ou le 6 avril, et arrivé à Paris le 1er mai, nous portait le récit des événements survenus sur la côte Est de Madagascar du 26 mars au 5 avril ; il nous faisait notamment connaître quelques détails sur la reconnaissance dirigée le 2 avril dans la direction de Faharafate et de Sahamafy : nous en avons parlé dans notre numéro du 18 mai.

Le courrier suivant, arrivé en France le 20 mai, nous apprend les incidents de guerre qui se sont passés du 5 au 25 avril.

Le fait le plus important de cette période est la reconnaissance vers Ivondrono.

Ivondrono est situé au sud de Tamatave, près de la côte, et sur la rivière Ivondrono, à dix kilomètres environ du fort de Tamatave : c'était, il y a quelques mois, un assez gros village indigène, près duquel se trouvait la plantation maraîchère de M. Ch. de Sornay, l'une des premières victimes de la guerre : la reconnaissance devait voir si les Ilovas s'étaient fortifiés sur ce point, que traverse la piste de Tamatave à Tananarive.

De Tamatave à Ivondrono,il y a même plus qu'une piste ; une véritable route est tracée : elle était entretenue en très bon état, grâce à l'active circulation des tonneaux de rhum ; n'ayant ni charrettes, ni autres modes de transport, les Malgaches roulent les tonneaux ; la route était assez bonne pour se prêter à ce genre de circulation et la quantité relativement considérable de tonneaux quotidiennement roulés suffisait pour tasser la route et la maintenir en état de satisfaisante viabilité.

Le 18 avril, le colonel Colonna de Giovellina partait de nuit, avec tout un bataillon, dans la direction d'Ivondrono. Nos soldats, qui espéraient rencontrer des Hovas, étaient pleins d'entrain; les ennemis se gardèrent bien de se montrer ; la reconnaissance, en arrivant à Ivondrono, n'y rencontra que quelques poteaux carbonisés marquant l'emplacement du village, que les Hovas ont détruit pour faire le vide autour de nous ; le colonel fit rouler les échos du son du clairon qui retentit comme un inutile défi ; le café préparé, nos soldats reprirent le chemin de Tamatave.

Nous publions le portrait de M. le lieutenant-colonel d'infanterie de marine Colonna de Giovellina (Auguste-Napoléon-Emmanuel-Lucien), qui depuis le 12 décembre 1894, est investi des délicates fonctions de commandant de l'état de siège à Tamatave ; il apporte dans ses relations avec la population civile un tact parfait et une urbanité qui font honneur à son caractère et qui lui ont valu les sympathies de tous ; il est estimé des civils et aimé des soldats.

 

 

Une de nos gravures représente le Blockhaus des dunes (voir le plan des défenses de Tamatave publié dans notre numéro du 18 mai) ; ce blockhaus commande toute la partie sud des lignes ; l'aspect n'en est pas terrible ; mais c'est plus que suffisant contre un ennemi tel que les Hovas ou leurs recrues.

 

 

Tamatave étant en réalité bloqué par les Hovas, qui entourent nos positions en se tenant au nord derrière l'Ivolina, à l'ouest sur les hauteurs d'Ampassimandrona, Farafatrana, Soanirana, Ampagalana, Sahamafy, au sud derrière l'Ivondrono, l'approvisionnement de la ville en vivres frais présente de réelles difficultés: les denrées sont hors de prix ; les œufs, les poules et poulets se payent vingt ou trente fois plus cher qu'au début des opérations. Nos compatriotes se consolent en rimant des couplets. Jadis en 1885, MM. Miot et Patrimonio faisaient tous les frais des chansons d'alors, toutes fort médisantes ; les rimeurs sont moins acerbes aujourd'hui : ils consolent leurs compatriotes dans le ris de toutes choses : les poètes sont philosophes, ces vers en témoignent :

Les pauvres bœufs qu'on voit passer,
Ne trouvant plus rien à manger
Ni choux, ni rave,
Se promènent bien tristement
Et maigrissent publiquement
A Tamatave.

Ils vont paître près du rova,
Demeure antique du Hova,
Humide cave,
D'où des officiers biscornus
S'élançaient sur les revenus
De Tamatave.


Il ne suffit pas de manger même de la vache maigre, il faut se blanchir. C'est encore là l'une des grosses difficultés du moment. Il n'y a pas de ruisseau, ni d'eau à Tamatave ; il faut sortir de la ville et des lignes pour trouver une rivière, le Mananareza.

Un endroit a été assigné aux femmes indigènes de Tamatave pour aller laver le linge européen près de l'embouchure du Mananareza ; pour qu'elles ne soient pas enlevées par les Hovas, qui, quoique invisibles, épient tout ce qui se passe de notre côté, les laveuses sont protégées et gardées par des factionnaires : notre photographie montre la scène mieux qu'aucune description ne la pourrait rendre.

 

 

Pour qu'aucune intruse, aucune espionne ne puisse se glisser dans le corps des laveuses, il leur a été distribué des cartes d'identité : elles doivent les montrer à toute réquisition : une autre de nos photographies montre les laveuses sur le point de rentrer dans les lignes et un factionnaire vérifie leur carte.

 

 

On rit de toutes ces misères à Tamatave, comme les Parisiens riaient de tous les ennuis du siège de 1870. Il serait cependant temps que tout cela cessât, qu'une action rapide et énergique nous ouvrît l'intérieur.

Les conditions de la prise d'Ambohimarina dans le nord prouvent que nous ne rencontrerons aucun obstacle jusqu'à Tananarive.

 

HENRI MAGER.

18950420 - A Madagascar - Majunga - Préparation de la prise de Maroway

Le Monde illustré du 01/06/1895

 

A MADAGASCAR

 

Poursuivant la série de nos illustrations, d'après les croquis de notre envoyé spécial, M. Louis Tinayre nous publions aujourd'hui, en un très curieux groupement, certains des épisodes les plus saillants des débuts de la campagne. De ce nombre a été l'exécution de M. Grévé, le Français qui a été fusillé par ordre du gouverneur hova de Mahalo, dans le Ménabé.

 

 

Le peloton d'exécution comprenait dix Hovas, sous le commandement d'un officier.

Les Hovas sont vêtus d'une sorte de blouse blanche, serrée à la ceinture par une cartouchière de chasse.

Ils ont les jambes nues, sont coiffés d'un chapeau de paille, et armés du fusil Schneider.

Ils sont placés sur deux rangs, et le premier rang seul tire. L'officier est vêtu d'un habit rouge avec ceinturon, pantalon et casque blanc.

La messe de Pâques a motivé une composition très pittoresque.

 

 

Elle fut dite à Majunga, à huit heures du matin, par un des deux pères jésuites qui y sont fixés.

Les manœuvres de la 3e compagnie de tirailleurs malgaches, fournissent un intéressant sujet.

 

 

Ces manœuvres, sous le commandement du capitaine Jacquemin, ont été faites dans la brousse, et ont eu pour objet l'assaut d'un mamelon figurant la position ennemie. Marches, contremarches, éparpillement en tirailleurs, tir debout, tir à genoux, assaut à la baïonnette, rien n'a manqué à ces exercices dont le dessin de M.Tinayre nous donne une impression fort exacte et fort intéressante.

 

 

Bien curieux est encore le portrait du roi Sélim qu'il a photographié au moment où il se rendait au quartier général, monté sur son filanzane, et entouré de son escorte.

 

 

Le roi Sélim, chef de tribu sakalave, venait, en grande pompe, faire sa soumission au général Metzinger.

Voici le récit de cet incident, d'après notre confrère du Temps :

« Précédés d'une bande de types accomplis de fahavalos, soufflant éperdument dans des cornes de bœuf, cinquante Sakalaves à la mine patibulaire, le front orné du fébika (1), sortaient cérémonieusement de la place du Marché. Derrière eux venaient deux riches filanzanas portés par des esclaves ; dans le premier on voyait Mpanjaka Salima, qui ne s'était jamais trouvé à pareille fête ; il était chaussé de bas rouges et de pantoufles vertes, et, à son côté, s'appuyant d'une main sur le brancard du palanquin, marchait un grand diable de noir fort connu à Majunga, que l'on avait décoré, pour la circonstance, du titre pompeux de premier ministre du roi de Kandany ; dans le deuxième se prélassait l'auguste mère de Salima, la reine Angala, or de vieille qui eut fait la joie d'un Callot ou d'un Gustave Doré. Tout ce beau monde s'en allait rendre visite au général Metzinger. On dit qu'au cours de cette entrevue, Salima, qui ne perd pas la carte, aurait demandé à être mis en possession du domaine et des tombeaux des rois du Boeni, ses ancêtres, ce qui équivaudrait, pour les Sakalaves à l'investiture de cet immense royaume qui s'étend depuis le Ménabé jusqu'aux confins de Diego-Suarez. »

Fort heureusement qu'il n'a pu tirer du général que de vagues promesses.

« Après cette visite, Salima s'est rendu à bord du Primauguet pour saluer le commandant Bienaimé. »

Onze coups de canon — quel fut l'inventeur de ce protocole ? — furent tirés en son honneur au moment où la baleinière qui le ramenait à terre s'est détachée du bord.

« Le lendemain, à trois heures et demie, Salima est retourné à Kandany. »

« Salima est au reste un monarque sans autre importance. »

« Il suffit de savoir, pour en être convaincu, que le gouvernement malgache a distribué le titre de mpanjaka (roi) à tous les chefs de tribu, quelque infime qu'elle fût. »

D'après les correspondances anglaises, on prêterait à la reine, au sujet des événements qui se déroulent en ce moment dans l'île, le langage suivant :

« Nous avons scrupuleusement observé les traités avec les Français, bien qu'on ait dit le contraire. Nous avons essayé par tous les moyens de supporter les injures dont ils nous ont accablée ainsi que nos sujets pendant neuf ans, sans ombre de justification. Ils ont rompu leurs traités, ils demandent notre terre pour leur peuple et nous refusons naturellement avec indignation de céder à cette monstrueuse demande. Il est préférable de disparaître du nombre des nations libres ou d'être exterminés plutôt que de devenir les sujets asservis de la France ou de toute autre nation étrangère.»

La reine aurait dit ensuite :

« Moi et mon peuple avons fait tout ce qu'il était en notre pouvoir de faire pour éviter la guerre et on ne nous a pas laissé le choix. Nous aurons donc la guerre. Moi et mon peuple aurons à combattre contre une puissante nation, la France. Dieu nous aidera; nous lutterons pour la défense de nos droits et de nos foyers, non seulement jusqu'à la défaite ou l'infortune, mais, si besoin est, tant qu'un homme restera debout, jusqu'à ce que le sang malgache ait inondé la plaine et la montagne et que notre nom et notre peuple ne soient plus qu'un souvenir. »

De même source, proviennent des informations de fantaisie sur l'état sanitaire du corps expéditionnaire.

Or il ressort de toutes les correspondances parvenues officiellement en France, que la santé des troupes ne laisse rien à désirer. Du reste, l'arrivée prochaine de nos soldats sur les premiers échelons du plateau central, dont la salubrité est incontestable, dissipera les inquiétudes que ces dépêches volontairement alarmantes pourraient faire concevoir.

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