18950423 - 01 - La Campagne du SLT Langlois de la 3e Compagnie du Bataillon étranger - De Majunga à Marolambo

Souvenirs de Madagascar (1895) - Langlois, Lieutenant - 1900

18960110 - Expédition de Madagascar 1895 - De Marseille à Suberbieville

 

De Majunga à Miananarive.

 

 

L'ordre de départ vient d'arriver: nous devons coopérer à la prise de Maroway.

 

 

 

De Majunga à Miananarive, où nous bivouaquons ce soir, il y a cinq kilomètres à peine ; aussi le départ n'est-il fixé qu'à 5 heures du soir, après la forte chaleur. Malgré la fraîcheur relative de cette fin de journée, la traversée du village est pénible, surtout la montée du rowa.

 

 

Le soleil a disparu et la nuit arrive avec une rapidité vraiment curieuse. Une poussière rougeâtre, soulevée par la colonne, s'élève aveuglante, et nous sommes tout étonnés d'arriver sur un plateau solide où se dressent les manguiers géants de Miananarive, qui semblent une tache noire sur le ciel déjà sombre.

Nous nousinstallonsen pleineobscurité, presque à tâtons, au milieu du plus complet désordre qu'il soit possible de rêver. Les patrouilles envoyées à l'eau et au bois s'égarent, s'interpellent, les mulets s'échappent, les conducteurs crient, et la grande forêt, avec ses profondeurs immenses, rendues fantastiques parles flammes des feux de bivouac qui font danser les ombres des arbres géants, semble s'être tout à coup éveillée dans le tumulte d'un infernal sabbat.

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De Miananarive à Marohogo.

 

Ce matin, à 4 h. 30, départ pour Marohogo.

A deux ou trois kilomètres d'Amparahigindro, nous atteignons un ruisseau bordé de paléluviers et de lataniers.

La colonne s'y arrête pour la grand'halte. Le palétuvier est un arbre très curieux dont les racines sortent de terre et dont le tronc ne commence qu'à quatre-vingts centimètres ou un mètre du sol. Partout où l'on voit le palétuvier, on peut dire que la fièvre est maîtresse : c'est le fils du marais.
Il est 10 heures : et nous devons repartir à 4 heures, le temps de réparer nos forces par un peu de nourriture et une bonne sieste. J'ai entendu dire, par de vieux officiers, qu'en campagne on doit manger et dormir toutes les fois qu'on le peut, de crainte de ne pouvoir le faire aux heures à ce destinées. L'appétit ne manque pas d'ailleurs ; mais le sommeil est rendu impossible parles mouches, la chaleur et le manque d'ombre.

Le plateau calcaire se termine brusquement par une falaise à pic, au bas de laquelle on entre sous bois ; on arrive ainsi à la rivière de Marohogo, qui roule une eau limpide. Nous la traversons à gué avec de l'eau jusqu'aux genoux et nous rentrons ensuite sous bois jusqu'au village où le bivouac est établi. De Marohogo il ne reste plus rien qu'un tas de poutres brûlées et quelques silos vides.


Le village est entouré par une brousse géante au milieu de laquelle on disparaît absolument. L'établissement des petits postes est rendu de ce chef très difficile.

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De Maronogo à Amboïtrombikely.

 

Aujourd'hui l'étape est assez courte : dix kilomètres à peine nous séparent d'Amboïtrombikely ; le pays que nous traversons est pierreux et légèrement mamelonné ; il est complètement désert ; d'ailleurs, depuis notre départ de Majunga nous n'avons rencontré aucun naturel ; les Hovas semblent vouloir faire le vide devant nous.

Au 7° kilomètre, nous traversons un fossé suivi d'un mur en pierres sèches ; c'est le premier élément du camp retranché d'Amboïtrombikely, qui ne tarde pas à apparaître perché sur une colline dont nous sommes séparés par un profond ravin.

Le rowa est entouré de cactus, très serrés, qui rendraient la prise de vive force assez difficile ; c'est d'ailleurs la seule défense sérieuse de ce camp, dont les principaux ouvrages sont tournés contre le fleuve. Au milieu des calebasses et des bouteilles vides, quelques vieux canons sans affûts montrent leurs gueules inoffensives; ils portent les fleurs de lis et la devise du Grand Roi.

 

Le village d'Amboïtrombikely est assez joli ; il est abrité par des manguiers et des bananiers de toute beauté. Les cases sont construites sur pilotis en prévision de la saison des pluies. Elles sont recouvertes avec des feuilles de bananier.

Seule la maison du gouverneur paraît assez confortable  ; elle se compose de trois chambres où le soleil et la pluie ne doivent pas trop pénétrer. Si l'on en juge par le grand nombre de bouteilles vides qui traînent dans tous les coins, les Hovas doivent être de grands ivrognes. Il n'est pas de case où l'on ne trouve, au moins, une douzaine de bouteilles avec la marque Pernod ou Cusenier.

Le premier soin des légionnaires est de faire une chasse acharnée à quelques poules et cochons oubliés par les habitants dans la précipitation du départ.

C'est en participant à cette battue que j'aperçois, pour la première fois, des aigrettes.

 

 

Amboïtrombikely est entouré par quelques champs de manioc et de patates, dont la récolte est faite séance tenante.

Lorsque ces fruits sont tendres, ils ressemblent beaucoup à la pomme de terre et se préparent de la même façon.

Néanmoins il faut se méfier de la patate, dont certaines espèces contiennent un poison violent.

Pour déguster toutes ces bonnes choses, les 3e et 4e compagnies ont fait table commune, et la soirée se termine gaiement après avoir débouché, en l'honneur de la légion, une bouteille d'un affreux vin mousseux acheté à Majunga.

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De Ambohitrombikely à Méverano (4 mai).


Aujourd'hui, nous sommes d'arrière-garde, — une rude corvée, étant donné la longueur de l'étape et le mauvais état de la route. Nous partons environ trois quarts d'heure après les autres compagnies, tant la traversée du ravin d'Ambohitrombikely est pénible. Les mulets roulent avec leurs charges; il faut les rebâter et les pousser au derrière pour franchir ce passage difficile ; le convoi a déjà un allongement de plusieurs kilomètres. Nous ne serons pourtant au bout de nos peines qu'après la descente d'Ambohitrombikley, longue d'environ six cents mètres et dont la pente est souvent supérieure à 45 degrés.

De la côte d'Ambohitrombikely nous avons une vue magnifique sur la vallée de la Betsiboka. A nos pieds, le grand fleuve malgache roule ses eaux sales, boueuses, rougeâtres, au milieu d'immenses forêts de manguiers et de palétuviers, qui vues, de si haut, paraissent de minuscules taillis ; au sud, le pays va en s'étageant, et, en regardant bien attentivement à la jumelle, nous croyons apercevoirle rowa de Maroway au milieu de mille collines qui se heurtent comme les vagues d'une mer moutonneuse.

 

 

Le petit village d'Ambodinabatékély se compose d'une quinzaine de cases ; il est assez propret et possède une jolie place ombragée par de beaux manguiers. Les habitants, obéissant au mot d'ordre de Tananarive, ont abandonné leurs maisons, dans lesquelles s'est installé un détachement du génie chargé d'améliorer la descente.

Nous ne tardons pas, d'ailleurs, à rejoindre les autres compagnies du bataillon installées en grand'halte sur les bords d'un ruisseau.


Pendant la grand'halte, un homme de ma compagnie m'apporte le plus beau spécimen de caméléon que j'aie jamais vu. L'animal mesure certainement de vingt-huit à trente centimètres de long et sa tête grimaçante impressionne.

A 2 heures, nous repartons pour Meverano ; le pays se découvre, et va toujours en s'élevant jusqu'au gîte d'étape, où nous arrivons à 4 heures.


Meverano est un village d'une quarantaine de cases, situé au bord de la Betsiboka. Comme à Ambohitrombikely, les Hovas ont tourné leur système de fortifications contre le fleuve. « Les Français sont des poissons, disait Rainylaiarivony, ils ne viendront que par la voie d'eau, inutile de leur barrer la voie de terre. »


Malheureusement pour lui, les canonnières arrivèrent trop tard ; la voie de terre nous fut imposée parles événements, et tous ces ouvrages, tournés par ce seul fait, tombèrent entre nos mains sans qu'il fût nécessaire de tirer un seul coup de canon.


En arrivant à Meverano, nous apprenons la prise de Maroway, qui a succombé, le 2 mai, à une attaque combinée d'une partie de la brigade Metzinger et des canonnières commandées parle commandant Bienaimé.

 

 


La résistance n'a pas été sérieuse, et, bien que la position soit formidable, les Hovas ont lâché pied presque au début de l'action. Notre artillerie a, paraît-il, fait un gros massacre avec ses feux de poursuite.

Notre mouvement en avant va donc être ralenti ; nous apprenons, en effet, le soir de notre arrivée, que le bataillon est maintenu à Meverano jusqu'à nouvel ordre.

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Séjour à Meverano (5, 6 et 7 mai).


Quand je suis sorti de ma tente, ce matin, après une nuit d'insomnie due aux moustiques, le soleil brillait déjà très haut, les nuées d'oiseaux multicolores, perruches vertes, cardinaux rouges, perroquets gris, chantaient et s'envolaient à grand bruit d'ailes au milieu des manguiers touffus, et là-bas, dans la direction des dunes de sable qui bordent le fleuve, deux grands Somalis drapés de couvertures rouges portaient le cadavre blanc et rigide d'un soldat mort cette nuit.

Le surlendemain de notre arrivée à Meverano, le général Metzinger traverse ce poste; il vient de Maroway et va à Majunga au-devant du général Duchesne. Il nous donne, en passant, les ordres suivants: la 1re compagnie ira par les voies rapides (canonnières) renforcer la garnison de Maroway, les 2e et 3e se porteront sur cette localité par voie de terre, la 4E restera provisoirement à Meverano. Nous sommes enchantés de nous porter en avant; en campagne, et surtout dans une campagne coloniale, l'inaction est le plus terrible des dangers.

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De Meverano à Miadana (8 mai).


Nous partons de Meverano de bon matin. La colonne, sous les ordres du colonel Barre, se compose de deux compagnies de légion, d'une compagnie de tirailleurs sakalaves et d'un détachementdu génie.

Le pays traversé est coupé de très larges rivières qui roulent actuellement très peu d'eau, mais qui sont absolument infranchissables pendant la saison des pluies. C'est dans cette région que la colonne Metzinger s'est perdue, il ya environ un mois, lors de la première marche sur Maroway ; le pays n'était alors qu'un vaste marécage.

 

 

Miadana est un joli village d'une cinquantaine de cases ; il est entouré de quelques rizières et de quelques champs de manioc. Ma compagnie est campée dans la cour du temple protestant. Ce temple est une vaste case dans laquelle nous découvrons, au milieu de vieux parapluies et d'oripeaux de toutes sortes, une multitude de bibles anglo-malgaches estampilléesau timbre delaLondon missionary society. En cherchant un peu mieux, nous trouvons, article plus substantiel que la prose anglaise, un adorable petit chevreau qui, malgré ses protestations, est livré au boucher de la compagnie.

D'après l'ordre de marche, la colonne doit passer la nuit à Miadana ; cependant, le colonel Barre, voyant les hommes gais et alertes, décide qu'on ira, après la forte chaleur, camper à quelqueskilomètres de là, sur le bord de l'Andranolave.

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De Miadana au point X (8 mai).

 

 

La colonne se met en route après la sieste (3 heures) ; la chaleur est encore très forte ; quelques hommes tombent au départ. Le pays traversé est d'un aspect très monotone, il se compose d'une série derides parallèles qui s'étendent perpendiculairement à la route, très tristes avec leur uniforme teinte jaune, que les brûlures du soleil tachent parfois de noir.

Il est 6 heures, nous n'avons pas encore rencontré l'Andranolave. Les uns accusent la carte, d'autres disent que la boussole est folle, quelques-uns prétendent que nous sommes égarés ; ces derniers ont raison.

 

 

Les tentes sont dressées sans bruit, et les avant-postes, envoyés un peu au hasard en avant des quatre faces du carré, se perdent dans l'obscurité profonde.

Notre dîner frugal et silencieux estvite achevé et bientôt, à l'exception des sentinelles, tout le camp s'endort sous l'immense ciel noir qu'illuminent maintenant des milliers d'étoiles.

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Du point X à l'Andranolave (9 mai).

 

Aujourd'hui, réveil à 6 heures. Trois boeufs sont abattus à coups de fusil, la viande est immédiatement découpée et distribuée. Le départ n'a lieu qu'à 7 heures, le colonel veut s'orienter et marcher sur Ambohipiha à coup sûr. La nuit a été calme, les patrouilles envoyées au réveil ne signalent rien de nouveau.

A 500 mètres du bivouac nous entrons dans une forêt dont nous avons ignoré l'existence toute la nuit.

Heureusement elle est évacuée par les Hovas. Néanmoins, les arbres fraichement coupés, qui forment abatis en avant de tranchées abandonnées, et les cendres encore fumantes des feux de bivouac, prouvent que l'ennemi ne doit pas être bien loin.

Il est 11 heures, nous avons quitté la forêt, et nous arrivons sur le grand plateau d'Ambohipiha, où la colonne s'arrête pour la grand'halte.

Ambohipiha est un important village militaire, brûlé il y a environ un mois par la colonne du lieutenant-colonel Pardes. Comme tous les villages hovas, il se compose de deux parties: le rowa et les dépendances. Le rowa, réduit de la défense en cas d'attaque, est entouré d'une haie de forts cactus, il servait de domicile au gouverneur et à la garnison.

 

 

La marche est reprise à 1 heure, nous suivons une vallée tributaire de l'Andranolave où se concentre la chaleur du soleil. La colonne n'avance que très péniblement. Autour de nous d'immenses troupeaux de boeufs conduits par de grands diables noirs galopent à travers les hautes herbes et se sauvent à notre approche, tandis qu'un peu partout la fumée des feux de brousse monte très droite dans l'air très calme;

Nous arrivons à 6 heures sur les bords de l'Andranolave.

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Passage de l'Andranolave (nuit du 9 au 10 mai).

 

 

 

L'Andranolave coule très encaissé entre deux berges sablonneuses. Pendant la saison des pluies, les eaux remplissent tout le lit de la rivière qui peut avoir de 7 à 8 mètres de profondeur. Maintenant les eaux sont relativement basses, surtout à marée descendante où la rivière est presque partout guéable.

Le bivouac est établi sur les bords de l'Andranolave, près d'un petit village dans lequel plusieurs habitants récemment rentrés reconstruisent leurs cases brûlées par les Hovas.

Les tentes sont à peine dressées que nous recevons l'ordre de les replier ; la colonne s'arrêtera juste le temps nécessaire pour faire et manger la soupe, de façon à pouvoir traverser la rivière entre 10 et 11 heures du soir, moment où, par suite de la marée descendante, les gués sont praticables.

A 10 heures l'eau a suffisamment baissé pour permettre le passage. Les bagages sont chargés sur des pirogues, les mulets, tout bâtés, et les chevaux, tout sellés, traversent la rivière, tenus en main. Les hommes se déshabillent, mettent vêtements, armes, sac sur la tête et passent à la file indienne au milieu du gué.

Rien n'est plus saisissant que ce spectacle, éclairé par les grands feux de brousse et les torches de résine. On croirait assister à une scène infernale. Les hommes tout nus, grandis, rendus pour ainsi dire fantastiques par les lueurs rougeâtres qui déchirent l'ombre du ciel, gesticulent et crient dans les langues les plus variées, et les feux qui s'allument maintenant sur la rive opposée donnent au camp une telle profondeur qu'il parait s'étendre à l'infini.

Et par-dessus tout cela c'est la mélodie triste du caïman et l'éternel bourdonnement des moustiques.

Le passage est achevé à 11 heures et demie.

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Marche de nuit sur Maroway (nuit du 9 au 10 mai).


Le colonel estime qu'il est trop tard pour camper, et décide qu'on va reprendre immédiatement la marche sur Maroway.

La colonne se reforme donc, et s'enfonce de nouveau en pleine brousse sur un étroit sentier qui ne livre passage qu'à un seul homme à la fois. Il faut même s'arrêter à plusieurs reprises et tailler un chemin à travers le fouillis des branches qui obstruent la route. Heureusement nous arrivons bientôt sur un plateau découvert où nous avançons plus librement. Néanmoins la fatigue est extrême ; nous marchons comme de véritables brutes, la tête vide, le dos plié, et toujours poursuivis par le bourdonnement agaçant de milliers de moustiques, qui s'acharnent sur cette peau européenne à la saveur nouvelle.

6 heures du matin ! le jour commence à poindre, la marche devient plus facile, nous traversons plusieurs villages qui semblent abandonnés.

9 heures ; nous sommes tout près de Maroway. Nous franchissons une série de retranchements hovas littéralement labourés par nos obus. Le terrain que nous parcourons est crayeux et dénudé, l'air que nous respirons exhale un vague parfum de pourriture et de cadavre. De loin en loin, d'ailleurs, les charognards et les corbeaux s'abattent par vols dans la plaine, en poussant de grands cris. -

10 heures du matin. Nous entrons dans le village sakalave de Maroway ; il se compose d'une seule rue, longue d'environ 2 kilomètres, bordée de maisons à l'aspect misérable, mais ombragées par de superbes manguiers. Quelques habitants sont rentrés ; ils ont pavoisé leurs maisons de drapeaux français. Les troupes ennemies ne doivent pas être bien loin, car on entend distinctement des feux de salve à moins de douze kilomètres dans les grands marais qui s'étendent à notre gauche.

 

 

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Séjour à Maroway (du 10 au 17 mai).


J.'ai la fièvre ! Pendant le jour, lorsque le service me laisse quelques loisirs, je me couche sur mon lit de camp, au milieu de grandes herbes, à l'ombre d'un haut manguier, dans le feuillage duquel le soleil jette une multitude de perles d'or scintillantes.

Le service que nous avons à faire à Maroway est pénible, monotone, ingrat. Presque toute la journée sous le grand soleil, à la réverbération aveuglante de la rivière, les hommes déchargent des lourds chalands mille caisses de toutes sortes. Dussé-je vivre très longtemps, je le verrai toujours ce vieux port de Maroway, cet enfer terrestre d'où montait comme un cri de souffrance, un râle d'agonie; je les verrai toujours ces braves légionnaires, ces forçats du devoir, déjà très éprouvés par la fièvre, mais toujours debout, vaillants, forts.

Aujourd'hui,.13 mai, bonne nouvelle ! Nous quittons Maroway ce soir à 4 heures pour aller camper de l'autre côté de la rivière. Notre bataillon est chargé d'exécuter un mouvement tournant pour couper la retraite à des groupes ennemis (environ 2.000 hommes) qui sont établis devant la colonne Pardes à Amboudimonti.

Le service que nous avons à faire à Maroway est pénible, monotone, ingrat. Presque toute la journée sous le grand soleil, à la réverbération aveuglante de la rivière, les hommes déchargent des lourds chalands mille caisses de toutes sortes. Dussé-je vivre très longtemps, je le verrai toujours ce vieux port de Maroway, cet enfer terrestre d'où montait comme un cri de souffrance, un râle d'agonie ; je les verrai toujoursces braves légionnaires, ces forçats du devoir, déjà très éprouvés par la fièvre, mais toujours debout, vaillants, forts.

Aujourd'hui,.13 mai, bonne nouvelle! Nous quittons Maroway ce soir à 4 heures pour aller camper de l'autre côté de la rivière. Notre bataillon est chargé d'exécuter un mouvement tournant pour couper la retraite à des groupes ennemis (environ 2.000 hommes) qui sont établis devant la colonne Pardes à Amboudimonti.

Je suis encore à Maroway. Le colonel Oudri, en voyant ma démarche chancelante et ma mine de papier mâché, n'a pas voulu me laisser partir. « Reposez-vouscette nuit dans un bon lit, m'a-t-il dit; demain matin vous partirez avec moi à cheval et vous rejoindrez la colonne sans fatigue. »

J'ai pris un gramme de chlorhydrate de quinine, et là-dessus j'ai dormi à poings fermés douze heures de suite. Lorsque je me suis réveillé, le colonel était parti et avait donné l'ordre de me laisser reposer pendant quelquesjours, jusqu'au départ du bataillon de tirailleurs algériens. Le tour était bien joué.

Cette seconde partie de mon séjour à Maroway est beaucoup plus agréable que la première. La fièvre a disparu, je n'ai pas encoreles jambes très fortes, mais j'ai la tête complètement libre. Je passe d'excellentes nuits à l'abri d'une bonne moustiquaire dans un lit d'hôpital bien moelleux. Je fais une promenade le matin et le soir avant et après la chaleur.

Aujourd'hui en rentrant de mon tour quotidien, j'ai aperçu dans la cour du rowa un groupe de prisonniers ennemis. Ils étaient là une quinzaine d'hommes, quelques femmes et plusieurs enfants. Rien ne peut donner idée de la décrépitude physique de ces pauvres bougres. Leurs grosses têtes roulaient sans force sur de longs cous maigres au boutde corps osseux etefflanqués. C'était une véritable procession de squelettes, effrayante et navrante.

15 mai. — Hier soir, en rôdant du côté du télégraphe optique, j'ai appris la nouvelle du combat d'Ambodimonti.

La colonne Pardes s'est, paraît-il, heurtée à des groupes ennemis importants d'une façon tout à fait inattendue. Les tirailleurs sakalaves gravissaient une colline en colonne de route ; sur le versant opposé les troupes hovas opéraient la même ascension. Les deux avant-gardes se sont heurtées sur
la crête. Le combat a été très vigoureusement mené par les tirailleurs sakalaves ; ils se sont jetés à la baïonnette sur les Hovas, qui ont laissé plus de deux cents des leurs sur le terrain. De notre côté, il y a eu quinze blessés dont un officier, le lieutenant Forestoul. Il est tout à fait regrettable que le choc ait eu lieu avant l'arrivée de la colonne Oudri ; sans ce contretemps aucun ennemi n'aurait échappé.

Dans la journée, les blessés d'Ambodimonti arrivent à Maroway ; quelques-uns, touchés très grièvement, sont portés sur des brancards ; les autres, plus légèrement atteints, marchent allègrement à pied, couverts de'bandages blancs qui tranchent très net sur leur peau si noire.

Aujourd'hui, en attendant l'heure d'audience du général Duchesne, je me suis promené dans le village malabar de Maroway.

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Départ de Maroway (17 mai).

 

Aujourd'hui, le bataillon de tirailleurs quitte Maroway ; nous traversons la rivière sur des chalands, et nous allons nous installer deux kilomètres plus loin, en attendant le passage des mulets et des bagages.

Le terrain sur lequel nous nous trouvons est extrêmement marécageux. Sous l'influence du soleil, une buée chaude s'élève et nous maintient dans une douce moiteur.

Est-ce cette température insupportable, est-ce la puanteur des marais ou les lenteurs de la marche, je ne saurais le dire, mais nous sommes tous d'une humeur massacrante.

A 2 heures, je pars avec le capitaine Pillot, qui va reconnaître l'emplacement du bivouac, situé à environ quatre kilomètres.

 

 

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D'Ampalamanga à Marolambo (18 mai).

 

L'étape d'aujourd'hui a environ une quinzaine de kilomètres.

Le sentier que nous suivons court à travers de grandes plaines couvertes de brousse, coupées cà et là par de petits ruisseaux, aux bords desquels des bouquets de lataniers et de bananiers offrent pendant quelques instants une ombre protectrice. Au cours de l'étape, nous rencontrons un petit village dont les maisons sont surmontées de drapeaux tricolores. Quelques indigènes travaillent à décortiquer le riz ; ils nous saluent du cri de : « Sakalava, Sakalava ! »

Nous atteignons Marolambo d'assez bonne heure ; nous passons à côté du bivouac des chasseurs à pied, et nous nous installons à côté de deux compagnies du 3e tirailleurs algériens.

Marolambo possède une quarantaine de cases ; c'est un joli village coquettement assis au bord de la Betsiboka. Des manguiers, des lataniers, des bananiers de toute beauté et un fouillis extraordinaire des plantes les plus variées entourent le village d'une ceinture superbe et malsaine.

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