18701011 - 03 - Combat d'Orléans

1871 - Combat d'Orléans, 11 octobre 1870 - Boucher, Auguste (1837-1910)

 

Déjà la nuit tombait : il était six heures et demie.

 

Depuis longtemps le bruit du canon avait cessé sur la gauche : armées et nature, tout semblait s'envelopper dans l'ombre et le calme du soir. Aux Aubrais, le commandant Antonini, voyant que l'ennemi se retirait, avait réuni tous les soldats qui lui restaient : il battait tranquillement en retraite, quand on vint lui annoncer que les Bavarois étaient dans la rue du Faubourg-Bannier. Il arrive à la grille, demande cinquante hommes à la légion étrangère, et se porte au pas de course vers la rue Caban : il avait cru remarquer qu'une longue file de fantassins ennemis défilait sous le pont des Murlins, et c'est là qu'il voulait aller livrer un dernier combat. Mais à quelques pas du couvent de la Visitation, des fuyards, qui venaient du côté de la ville, lui apprennent par leurs cris que les Prussiens barrent le passage et qu'ils occupent la rue du faubourg. Les Prussiens se montrent en effet ; la fusillade commence. Écrasés par le nombre, les soldats qui entourent le commandant Antonini vont succomber jusqu'au dernier. L'un d'eux remarque que des blessés sont reçus au couvent : la porte est ouverte ; il y entre avec ses camarades, et les balles les accompagnent jusqu'auprès des blessés amassés derrière la porte. Le commandant Antonini y cherche un refuge à son tour ; les Prussiens l'y poursuivent, mais déjà les religieuses avaient caché les malheureux qui leur avaient demandé asile. Un peu plus tard, une centaine de chasseurs qui s'étaient ralliés près de la gare d'Orléans passaient par le Mail pour regagner la Loire : on les vit s'en aller d'un pas paisible et sans désordre ; on en releva quelques-uns qui tombaient de fatigue et qui s'appuyaient aux murs comme des hommes ivres, en criant : « Je suis saoul de poudre ! » Tous étaient fiers de la journée et disaient qu'ils avaient fait reculer l'ennemi aux Aubrais.

C'était la vérité.

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A la grille du faubourg Bannier, les soldats de la légion faisaient face encore aux Bavarois. Tout à coup leurs officiers s'aperçoivent que des balles leur sont lancées en arrière, du côté de la ville. Laissés sans avertissement comme sans ordres, ils ne savaient rien de ce qui s'y passait. M. de Morancy se retournant aperçoit dans l'obscurité une masse noire et remuante au milieu de la chaussée. Sont-ce des Français qui tireraient par méprise ? M. de Villeneuve le suppose comme lui. On ordonne de cesser le feu. Les soldats se rassemblent autour des deux capitaines et commencent à se replier vers la troupe qu'ils ont derrière eux. Un homme se tient seul, dans l'ombre, à dix pas de ceux que la légion va rejoindre. C'est un officier, sans doute, et il s'avance. Une voix s'elève, celle d'un Allemand : « Rendez-vous ! crie-t-il.

Nous rendre ! jamais, jamais ! » répond M. de Villeneuve, l'épée levée, au milieu des soldats silencieux et frémissants. « Arrivez tous ici ! » dit-il aux siens, et pendant que l'officier prussien se retire vers ses hommes, les Français se serrent autour de leurs chefs, les uns regardant l'ennemi au nord du faubourg, les autres au sud. Une décharge formidable porte la mort aux Allemands. C'est le dernier feu des derniers soldats.

Les Allemands répondent. D'un côté tirent les Bavarois, de l'autre les Prussiens. Frappés de toutes parts, les Français tombent vaillamment. Cernés, ils se jettent dans les maisons : ils se battent aux portes, dans les chambres et dans les jardins. Tout était fini : Bavarois et Prussiens s'étaient rejoints et se donnaient la main au-dessus de ces cadavres. Nos soldats se dispersent alors dans mille petits combats, à droite et à gauche : le plus grand nombre tombèrent ; il y en eut que dix ennemis à la fois entouraient pour les prendre ; les habitants en cachèrent quelques-uns ; de tous ceux qui furent présents à ce dernier épisode de la bataille, fort peu réussirent soit à se frayer un chemin à travers les assaillants, soit à s'échapper par la campagne.

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A sept heures et demie, les Prussiens avaient déjà un poste au pont de la Loire ; une compagnie bavaroise stationnait devant l'Hôtel-de-Ville. Mais pour y arriver, il avait encore fallu se battre : ils avaient rencontré, au coin de la rue d'Illiers et à l'entrée de la place du Martroi, des soldats isolés, fermes et tenaces, qui jetèrent sur nos pavés les cadavres de quelques Allemands.

Tel fut le combat d'Orléans. Y en a-t-il beaucoup qui soient plus glorieux ? Pendant près de huit heures, moins de six mille soldats, laissés sans ordres, avaient résisté à plus de quarante-cinq mille hommes. Et dans un temps où le drapeau de la France semblait abattu presque partout, on les avait vus, sans indiscipline, sans découragement, sans murmure, faire le sacrifice de leur vie à l'honneur de la patrie, de leurs officiers et de leur régiment. Ils avaient eu contre eux les puissants canons d'une grande artillerie ; ils avaient eu contre eux le nombre qui accable, l'ignorance des lieux qui trompe, la fatigue qui énerve, l'incendie qui épouvante ; ils s'étaient battus pourtant avec une énergie indomptable, à la lueur des flammes comme dans l'obscurité, et dans la nuit comme au soleil. Ils n'avaient pas retourné la tête pour mesurer l'espace et les moyens de la fuite ; ils étaient tombés où on les avait conduits. Ils avaient toujours été dociles à leurs chefs et à la mort ; et surpris à la fin dans un cercle d'ennemis et de murailles, ils ne s'étaient dispersés que pour lutter où ils le pouvaient encore.

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« Pas un soldat n'eut de défaillance, » disait le lendemain, dans son rapport, le lieutenant-colonel de Jouffroy.

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« Pas un ne recula. Dormez, morts héroïques (1) ! » Dormez, vous dont la France a reçu l'hommage d'un sang si généreux! Dormez, vous, ses enfants ; et vous aussi, étrangers, qui tombiez pour la défense d'une terre qui n'avait porté ni votre berceau ni celui de vos mères. Dormez dans la confiance de son admiration et de sa pitié, vous tous à qui Orléans doit le souvenir de l'immortel combat auquel vous avez associé son nom !

Oui, s'il faut ne songer qu'à l'honneur, cette résistance fut un triomphe. M. de Tann a dit, le lendemain : « Si les Français s'étaient battus à Sedan comme ici, nous ne serions pas à Orléans. » Il y en a un témoignage éloquent dans les pertes faites de part et d'autre. Les Français eurent plus de deux mille hommes hors de combat : parmi eux, beaucoup d'officiers des bataillons de la Nièvre ; quinze zouaves furent tués ; les chasseurs du 5e (2) perdirent l'intrépide chef qui les commandait, M. de Boissieux ; comme eux, le 39e de ligne et les compagnies du 8e chasseurs furent très-éprouvés ; quant à la légion étrangère, elle eut près de 600 tués ou blessés, et environ 250 prisonniers. Le vainqueur captura près d'un millier d'hommes, le lendemain surtout, dans les jardins et les habitations où ils s'étaient abrités.

Quant à l'ennemi, ceux qui ont visité les hôpitaux, ou le champ de bataille, ou creusé les fosses, ceux qui ont aussi recueilli ses aveux et ses plaintes, estiment qu'il eut près de 5,000 hommes hors de combat.

Aux Aydes, on a vu jusqu'à 25 ou 30 Bavarois autour de telle ou telle maison ; c'est par centaines qu'ils gisaient devant les Bordes ; sur certains points de la route de Chartres et de la rue du faubourg, il fallait passer par-dessus les cadavres; quelques jardins en furent couverts. Enlevés rapidement, les morts de l'armée allemande comblèrent d'immenses tranchées ; et malgré cette précaution, les paysans en trouvèrent partout, deux jours encore après, au milieu des vignes (3).

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Le 13, le roi Guillaume envoyait à la reine Augusta le télégramme suivant :

« Une bataille victorieuse a été livrée hier par le général von der Tann, commandant la 22e division.

L'armée de la Loire a été complètement battue.

Nous avons fait plusieurs milliers de prisonniers.

Nous avons pris Orléans dans l'obscurité ; l'ennemi a été refoulé, avec de grandes pertes, au-delà de la Loire.

Nos pertes sont proportionnellement peu considérables. »

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Que l'ennemi tienne ce langage exagéré et se vante avec la vague déclamation des bulletins de victoire, soit ; mais que dire du récit du général vaincu ?

 

Le 12 octobre, le gouvernement de Tours reçut du général de Lamotterouge le rapport officiel suivant:

« La Ferté-Saint-Aubin, 12 octobre 1870,11 h. 45 matin.

Général commandant le quinzième corps d'armée à guerre, Tours.

« Hier l'ennemi a continué à marcher sur Orléans.

Nos troupes, qui étaient sur la route de Paris et qui avaient pris part la veille au combat d'Artenay, n'ont pas tenu. Une brigade de la 3e division, qui était à Saran-les-Ormes et Ingré, constamment débordée par un ennemi plus nombreux et plus fort en artillerie, s'est repliée sur Orléans en disputant
le terrain pied à pied.

« J'ai dû, pour arrêter la marche de l'ennemi sur la route de Paris, porter moi-même en avant trois bataillons de réserve arrivés de la 2e division. Pendant trois heures l'ennemi a été maintenu ; mais il nous a culbutés et débordés de ses obus. Après un combat très-vif et très-honorable pour notre armée, j'ai pris le parti d'évacuer Orléans et de nous replier sur la rive gauche de la Loire. Notre retraite n'a pas été inquiétée par l'ennemi et s'est faite avec calme et ordre. »

Ce rapport (4) annonce qu'on a livré un combat, et que, ne pouvant le soutenir, on a pris le parti d'évacuer Orléans. Rien n'est moins vrai. La retraite était décidée avant qu'aucun engagement eût lieu ; et le combat commença devant les Aydes, pour couvrir la retraite, quand cette retraite commençait sur la Loire. On déclare que nos troupes n'ont pas tenu.

Les seules qu'on ait envoyées au feu ont été aussi héroïques que malheureuses. C'est donc mentir à l'histoire de la France ; c'est nous déshonorer lâchement.

La bataille dont on semble peindre les mouvements et raconter les péripéties, elle n'a pas eu lieu. On confond tout à dessein. Le 11 octobre, le général de Lamotterouge ne s'est point porté en avant avec des bataillons de réserve ; c'est la veille, dans la journée du 10, vers la fin du combat d'Artenay, qu'il s'est ainsi avancé sur la route de Paris. Au combat d'Orléans, il n'y eut plus devant la ville, dès deux heures, que les soldats intrépides que nous avons nommés ; tandis qu'à ce même moment, tout le reste du 15e corps, artillerie, cavalerie et infanterie, passait au delà du fleuve. On a évacué Orléans (5), quand à Tours et à Bourges on avait assez d'hommes, en les concentrant, pour protéger et garder cette grande position.

C'était une première faute. Mais si on n'a pu l'éviter, ne fallait-il pas au moins présider à la retraite avec toute la vigilance et l'énergie qui pouvaient la rendre moins désastreuse aux troupes chargées de ce soin périlleux ? Eh bien ! une poignée de soldats a lutté plus de sept heures, appuyée pendant quatre heures par six canons seulement, quand l'ennemi en amenait vingt-cinq fois plus. Or, le général de Lamotterouge en avait, le matin, trente-six à la gare d'Orléans, sur le Mail et sur la route du combat (6) ; quelques-uns de plus auraient permis d'épargner nos défenseurs, et, placés à la gauche, ils eussent du moins retardé l'ennemi dans son mouvement tournant ; on est en droit de le dire, quand on sait l'admirable usage que le commandant Tricoche fit des six pièces mises en ligne de bataille, auprès d'Ormes. C'est une triste vérité à déclarer : la retraite a été couverte, non seulement au mépris de la vie de six mille hommes, mais au mépris des lois habituelles de la guerre, au mépris des chances que la fortune offre dans ses hasards.

Le matin, on n'avait point éclairé les routes par où venait l'ennemi ; l'après-midi, on ne s'occupa que de faire défiler les troupes par-delà la Loire : quant à celles qui mouraient pour les autres au pied d'Orléans, on les abandonnait à leur courage : elles se battaient ! On ne s'inquiéta pas d'autre chose. A trois heures, le général de Lamotterouge, ayant vu passer les soldats qu'il envoyait « à la rencontre de l'ennemi, sur la route de Paris, » avait quitté la grille du faubourg Bannier ; à quatre heures, il avait quitté Orléans ; à cinq heures, les combattants n'étaient pas avertis qu'il faisait sa retraite sur La Ferté, et cet avis ne leur vint pas davantage dans la soirée ; à cinq heures et demie, on voyait sur le Mail un bataillon de ligne, qui campait sans savoir pourquoi, et qui s'en alla, sans direction aucune, à l'aventure, par le pont de Vierzon ; vers la même heure, M. de Jouffroy, alors au faubourg Bannier, entendit un jeune homme qui disait : « Comme ils sont en retard ! » Sommé de s'expliquer, celui qui avait prononcé ces mots raconta au colonel qu'à Orléans toutes les troupes avaient repassé la Loire. M. de Jouffroy, n'y croyant pas, accourut à l'hôtel du Loiret où devait se trouver l'état-major : il n'y avait plus personne. Qu'on lise ces mots de son rapport : « Ce n'est qu'en apprenant par hasard que l'armée passait sur la rive gauche de la Loire, que j'ai fait battre en retraite. » Il n'a tenu ces renseignements que d'un passant, que de l'aveugle fortune ! Enfin, à sept heures et demie, on rencontrait rue Saint-Euverte et sur le quai des chasseurs qui étaient revenus à leur campement, dans la ville, et qui ne savaient pas plus que les autres la route de la retraite. Ainsi ces malheureux se faisaient tuer encore, quand le reste du 15e corps était déjà en sûreté. Ils mouraient sans profit, même pour l'armée, sans profit que leur honneur. On les avait laissés s'attarder dans un massacre inutile. A quelles allégations ne réduit donc pas un général, si intrépide d'ailleurs, la nécessité de se disculper ! Quoi ! après tant de négligence et de désordre, après un tel abandon, une dépêche mensongère à l'histoire, calomnieuse aux soldats tombés ! La faute commise, n'était-il pas plus simple et plus noble de laisser au moins la gloire à ceux qui sont morts ?

 


(1) V. Hugo. Les Châtiments ; Expiation.

(2) Dans la 1re et la 2e compagnie du 5e bataillon de marche, compagnies formées du 4e bataillon de chasseurs, on compta 2 officiers blessés sur 3, et 200 hommes mis hors de combat.

(3) A en croire les aveux de l'ennemi lui-même, le corps d'armée de M. de Tann, qui avait perdu 30 officiers à Woerth et 144 à Bazeilles, en perdit 100 le 10 et le 11 octobre, surtout à l'assaut de nos faubourgs.

(4) Dans la lettre où il a voulu se justifier, le général de Lamotterouge aggrave le tort qu'il eut dans sa dépêche : « J'ai défendu, dit-il, le terrain pied à pied pendant plus de sept heures, conduisant moi-même mes réserves au combat; et ce n'est qu'après avoir reconnu qu'il m'était impossible de me maintenir à Orléans, que j'ai opéré ma retraite en bon ordre, restant à la tête du pont jusqu'à ce que les dernières colonnes fussent passées. » Ces colonnes, ce sont celles qui, dès onze heures et demie, quittèrent Orléans pour opérer la retraite. Qu'on ne les confonde point avec les troupes qui se battirent.

(5) S'il jugeait l'évacuation inévitable, le général de Lamotterouge eût au moins épargné ses troupes en battant en retraite pendant la nuit du 10 au 11, comme firent avant lui les généraux Peitavin et de Polhès.

(6) De plus, il y avait depuis le matin plusieurs batteries à La Ferté-Saint-Aubin.

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