18701011 - 01 - Combat d'Orléans

1871 - Combat d'Orléans, 11 octobre 1870 - Boucher, Auguste (1837-1910)

 

J'ai pour garants de ce récit le rapport du lieutenant-colonel de Jouffroy, qui eut sous ses ordres, le 11 octobre, la 1re brigade de la 2e division du XVe corps ; les renseignements du chef de bataillon P. de Morancy, qui prit le commandement du 5e bataillon de la Légion étrangère, après la mort du CBA Arago, et avec qui j'ai revisité le champ de bataille pas à pas ; les notes dictées, le lendemain du combat, parle commandant Antonini, du 8e bataillon de marche des chasseurs à pied ; une note laissée à M. Frot, ingénieur de la marine, par le commandant d'artillerie Tricoche ; les souvenirs de beaucoup d'officiers soignés dans les ambulances d'Orléans, et notamment ceux de M. Gaillard, capitaine au 3e bataillon du 39e de ligne, et de M. Hahn, lieutenant au 27e de marche ; les aveux des Bavarois, leurs dépêches officielles et en particulier la narration de la Gazette allemande, faite par l'aumônier de la 2e division bavaroise, l'abbé Gross ; enfin tous les témoignages qu'on pouvait obtenir soit à Orléans, soit sur le lieu du combat, quand on n'a rien négligé pour y trouver la vérité, cherchée patiemment avec un contrôle sévère et minutieux.

 

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La bataille était dès lors dans Orléans. Les canons bavarois bombardèrent bientôt les Aydes et le faubourg Bannier. De l'endroit où se rencontrent les routes de Chartres et de Paris, près de l'église nommée la Chapelle-Vieille, on voyait les fantassins ennemis qui se glissaient le long des arbres et dans les fossés. Un feu terrible éclata sur eux : la légion étrangère était là.

Étrange histoire que celle de toutes les vies que, devant les murs d'Orléans, la légion étrangère venait donner à la France, comme à une patrie préférée !

Ces hommes intrépides, qui nous défendaient alors, ils étaient nés sur toutes les terres du monde : beaucoup parlaient à peine la langue du pays pour lequel ils répandaient leur sang. Gens de cœur et gens d'aventure, exilés, déserteurs ou désœuvrés, tous étaient soldats avec passion ou par métier. Quelques-uns, c'était la haine de nos ennemis qui les avait attirés ; d'autres, c'était l'honneur de nos armes, l'orgueil d'entrer dans les rangs d'un peuple fameux à la guerre.

Autrichiens, Suisses, Belges, Valaques, Espagnols, Italiens, enfants de toutes les nations, se battaient comme des Français pour la glorieuse et pauvre France.

Les Polonais étaient nombreux dans le 5e bataillon : sur les huit compagnies, ils avaient cinq officiers. Un Hollandais, le jeune comte de Limburg-Stirum, était revenu d'Amérique pour se battre dans la légion contre les Prussiens. Un prince serbe, Karageorgewitch, y était sous-lieutenant. Un Chinois y servait : il avait gagné les galons de sergent sur les champs de bataille. Quels qu'ils fussent, tous suivaient avec amour le drapeau de la France ; et j'ai hâte de le dire, pour rendre hommage à leurs morts, ils ont été dignes de lutter et de tomber, dans une si noble défaite, sous les plis d'un drapeau si longtemps victorieux !..

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Le matin, le 5e bataillon de la légion étrangère était arrivé de Bourges. On aurait dû l'envoyer sans retard au bout du faubourg : il eût pu ainsi prendre mieux ses positions, étudier le terrain et s'y fortifier.

Loin qu'on y songeât, le commandant Arago ne reçut ni avis ni ordre. De la gare d'Orléans le bataillon vint camper sur le boulevard Rocheplatte. Les soldats faisaient la soupe et le café à côté du 39e de ligne, quand, à onze heures et demie, survint un officier d'état-major : « Partez, dit-il au lieutenant-colonel de Jouffroy, allez sur la route de Paris jusqu'à la rencontre de l'ennemi. » C'est avec cette précision qu'on enseignait à ces braves le chemin du combat et ce qu'il fallait y faire ! Le 39e partit. Quelques instants après, la légion étrangère quitte elle-même le campement, renversant ses marmites et abandonnant ses bagages : elle court à la bataille, et quand elle voit passer son commandant le long de ses lignes, elle le salue de ses acclamations affectueuses. Elle le salue : lui, il allait mourir tout à l'heure.

Sur le point d'entrer dans le faubourg Bannier, les soldats de la légion rencontrèrent un général, au coin du boulevard. L'un d'entre eux s'avance d'un pas vers lui : « Mon général, s'écrie-t-il en agitant son képi : nous allons mourir pour la patrie ! Vive la France ! » Et le bataillon crie d'une seule et même voix : « Vive la France. » Ah ! ce noble cri fait tressaillir nos entrailles, à nous Français, qui tenons de nos mères elles-mêmes l'honneur de pouvoir le pousser devant le monde et la Prusse. Mais combien il est plus touchant encore sur les lèvres de ces étrangers qui s'en vont périr pour la France, afin qu'elle vive avec toute sa gloire et toute sa force !

A la grille de l'octroi on aperçut le général de Lamotterouge à cheval, et sa calèche à côté. On ne le revit pas.

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En remontant vers l'extrémité des Aydes, plusieurs compagnies se détachent du bataillon : la première, commandée par le capitaine Latapie, se dirige vers les Aubrais ; une partie de la troisième franchit un fossé sur la droite de la route : le lieutenant Brasseur (1) s'embusque avec elle derrière les haies et le moulin Porteau. De là les soldats tirent sur les Bavarois qui commencent à paraître. Déjà les obus pleuvaient de toutes parts dans la rue. Près de la Chapelle-Neuve, les trois officiers de la deuxième compagnie avaient été tués presque en même temps (2). Le bataillon n'en avait pas moins couru en avant. Arrivé à la place de la Bascule, endroit où se bifurquent aux Aydes les routes de Paris et de Chartres, il s'était divisé pour occuper ces deux routes. Ce fut là que de toute la journée la lutte fut la plus meurtrière.

 

Nous l'avons dit, il était alors deux heures. Les Bavarois sans doute croyaient à un triomphe facile et prochain ; mais le combat allait devenir terrible et durer jusqu'à la nuit.

Le commandant Arago n'avait point d'ordres. Pour lui et ses officiers, il ne s'agissait que de tenir là, d'arrêter l'ennemi et de se faire tuer. Il était homme à comprendre son devoir. A pied, debout au milieu de la chaussée, une canne à la main, fumant sa cigarette, il paraissait tranquille sous les balles et les boulets qui convergeaient et s'engouffraient, pour ainsi dire, dans la rue. Mais sur son pâle visage, ceux de ses officiers qui le connaissaient bien devinaient l'amère tristesse qu'il éprouvait à voir, abandonnés devant l'ennemi, tous ces hommes dont beaucoup déjà couvraient autour de lui la rue de leurs cadavres. Il se tordait les moustaches : il était inquiet. Cependant les soldats l'entendaient crier : « Courage, mes amis ! En avant ! » Ils l'apercevaient fier et bravant la mort ; souvent ils allaient lui dire : « Mon commandant, prenez garde à vous ! » On l'engageait à se rapprocher des murs.

Arago écoutait, remerciait d'un geste et restait à sa place, suivant du regard et l'ennemi et ses troupes.

Le feu était épouvantable. Les soldats de la légion se tenaient la plupart le long des maisons : ils armaient leur fusil, s'avançaient sur la voie et tiraient.

Beaucoup étaient couchés ; d'autres à genoux. Pas un qui tremblât. Dans cette guerre de rue il y eut des prodiges de dextérité et d'audace. Un sergent de la Légion étrangère, homme d'un sang-froid extraordinaire et le plus habile tireur du régiment, s'était posté derrière une lucarne qui regardait l'ennemi : de là il visait comme à la cible, il choisissait celui qu'il voulait tuer, et tandis qu'on les comptait à côté de lui, il en abattait quatre-vingts sur la route et devant les Aydes ; effroyable puissance de son arme et de son coup d’œil (3) ! Un soldat (4) qui se tient derrière un tas de planches et de poutres, dans la cour d'un charron, ne tire pendant une heure que sur ceux qui s'avancent isolément : il n'en laisse pas un seul faire un pas de plus ; et quand les Bavarois, jugeant impossible en ce moment de pénétrer à travers tant de balles si sûrement lancées, essaient d'entrer par la rue de Fleury, notre soldat les a suivis : il veut rester face à face avec eux. Appuyé sur des roues, derrière une haie, il continua longtemps la fusillade avec la même adresse, jusqu'à ce que, blessé au pied, il tomba et fut jeté par une fenêtre chez un habitant qui le soigna et le guérit. Des chasseurs du 5e s'étaient mêlés à la légion dans le désordre de la bataille. L'un était monté dans les branches d'un large noyer, à quelques pas de la Chapelle-Vieille, au bord de la route de Chartres. Caché dans l'arbre, il envoyait la mort de ce vert feuillage où le matin sans doute les oiseaux chantaient. Il tournait à droite et à gauche son adroit fusil, tuant ou blessant douze ennemis en moins d'une heure. Un autre chasseur a remarqué, sur un des côtés du même chemin, une excavation qui ressemble à une fosse : il va s'y embusquer. Une balle l'abat.

Un second accourt, car la place est bonne. Il relève un peu son camarade; à la hâte il le met en travers devant lui, et ce corps encore chaud devient son rempart. Il tire de là comme à coup sûr. Furieux de leurs pertes, cinquante ennemis le visent à la fois. A son tour le voilà renversé. Mais, admirable obstination de l'héroïsme ! ce trou rempli de sang, qui porte un cadavre au rebord, un cadavre dans sa profondeur, on dirait qu'il attire ces soldats avides de se battre : ils n'y aperçoivent point la mort ; ils n'y voient qu'un avant-poste d'où l'on peut tuer des ennemis. Un troisième vient donc s'y établir, mieux protégé par les deux hommes qui le couvrent qu'ils ne l'avaient été eux-mêmes : plus longtemps qu'eux il tire sur les Bavarois ; mais à la fin, lui aussi tombe et expire. Ce ne fut pas le dernier. Un quatrième s'y précipite, s'abrite derrière cette barrière de cadavres, se bat avec la même ardeur, appuyant son fusil sur les morts, et se fait tuer à la même place. On les trouva tous quatre l'un sur l'autre, étendus dans le même repos, victimes du même sacrifice. Comment se nommaient-ils, ces braves ? Dieu seul le sait. Nous n'avons gardé d'eux que le souvenir de cette sublime énergie.

Le combat était donc acharné en cet endroit. Sur la rue et dans les environs, ce n'étaient que soldats gisant sur la terre. Dans les champs et auprès de leurs maisons, des paysans avaient le sort des combattants.

Mais, au milieu de ce feu effroyable, les habitants dés Aydes montraient une charité hardie : l'instituteur, des jeunes gens et même des femmes allaient ramasser les blessés, en rampant au bord du chemin ou à travers les ceps de vignes. Noble dévouement dont la fortune ne devait pas les récompenser, car, avec le soir, commença pour beaucoup d'entre eux un irréparable désastre.

 

(1) Officier autrichien et fils d'un général, le lieutenant Brasseur avait profité d'un congé pour s'engager au service de la France, dès le commencement de la guerre.

(2) CNE CHARNAUX - SLT PACKOWSKI - SLT YUNG

(3) Si peu croyable qu'on le trouve, ce fait est vrai pourtant. Le lendemain du combat, on en parlait dans l'armée du général de Lamotterouge, comme d'une histoire merveilleuse sans doute, mais réelle et tout à fait digne de foi. Quand le lieutenant-colonel de Jouffroy vint-à Tours, il raconta cet épisode à M. Thiers, pour lui donner une idée du chassepot manié par un tel homme: il en attestait la vérité après informations. Un ami de M. Thiers, notre concitoyen, M. de Lacombe, assistait à cet entretien; c'est lui qui m'a rapporté ce trait.

(4) Ce soldat, belge de naissance, s'appelait Joseph Feront : il était de la légion étrangère. A l'heure où l'on imprimait ces pages, nous avons appris que, le lendemain de la bataille de Coulmiers, il était allé à Chevilly, et qu'à lui seul et d'un coup il y avait fait treize prisonniers qu'il ramena ici. Au 4 décembre, on le retrouve à Artenay, blessé. Il fut alors conduit à Bourges. La guerre l'a épargné: il travaille aujourd'hui à Lille.

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