18950405 - Le Messager de l'Ouest - Le départ du Bataillon

 

Le bataillon formé de deux compagnies de chaque régiment de la Légion et destiné à l'expédition de Madagascar est parti pour Oran avant-hier 3 avril, en deux trains : celui des voyageurs, à midi 10, et un train supplémentaire à midi 20.

L'embarquement s'est accompli avec une parfaite régularité. Les armes et les sacs passaient comme des jouets du quai dans les wagons.

On aurait eu le 1emps de faire cinq ou six fois le même exercice tant les mesures avaient été correctement prises. Les -tabacs étaient ensachés et étiquetés par sections et compagnies ; les Dames de France ont. Fait leur distribution à chaque wagon et les adieux ont commencé sur toute la ligne.

Il y a eu bien des étreintes, bien des émotions partagées entre officiers et entre sous-officiers. Le commandant

Barre a reçu les adieux des deux colonels et un splendide bouquet, des Darnes de France : tous les camarades lui ont prodigue leurs souhaits. C'est à lui qu'incombera là-bas l'honneur de la Légion, les frères d'armes lui font sentir, en lui serrant les mains, l'importance de cette honorable responsabilité et la légitime confiance que chacun lui accorde.

Au coup de sifflet, le premier train s'est ébranlé et casques et chapeaux se sont agités du wagon au quai, du quai aux wagons ; la musique jouait et la foule applaudissait bruyamment par des hourras l

Le second train, composé hélas ! de wagons à parcs avec étiquette ou l'on pouvait lire : «32 hommes ou 8 chevaux, » emportait les deux compagnies du 2e Régiment Etranger venues de Saïda. Ce contingent inconnu à notre population causa moins d'émotion dans le personnel militaire et civil. On lui fit cependant les mêmes honneurs et les sacoches de tabac furent également distribuées aux sections. j

Les dix minutes exigées pour l'intervalle des départs furent, bien vite passées, puis on agita encore' mouchoirs et chapeaux pendant que la musique jouait, la Marseillaise- et j que nos merveilleux troupiers roulaient vers l'inconnu.

Les quais de la gare étaient envahis par une foule de deux mille personnes environ ; mais une quantité bien plus considérable de curieux encombrait les abords extérieurs, la place du marché aux bestiaux, l'avenue d'Oran et la place de la gare, ou le ler Etranger avait formé les faisceaux.

Depuis longtemps on n'avait vu pareille affluence sur tout le parcours des casernes au chemin de fer ; au départ., il était impossible de circuler dans une partie delà rue de Tlemcen ni sur les trottoirs de la ; rue Prudon, Il en fut de même au ' défilé qui eut lieu à 1 heure. M. le Sous-Préfet, la Municipalité, la Magistrature, et les membres des Administrations qui avaient pu se procurer ce loisir étaient venus au quai de la gare ; les dames s'y trouvaient en nombre ainsi que des familles de la campagne. Toute cette foule s'est dissipée avec empressement aussitôt après le départ des militaires, car l'heure du déjeuner était passée depuis longtemps. L'avenue de la gare, la rue et le carrefour Prudon sont resté ? pavoises de centaines de drapeaux jusqu'à la nuit.

Celle soirée là, les cœurs étaient un peu serrés ; dans les cafés on causait des camarades partis ; on pressentait qu'à plusieurs d'entr'eux on avait serré la main pour la dernière fois. Hélas ! malgré les théories tant vantées d'humanité et de civilisation ; la guerre étreint le pays de tous les côtés à la fois. En quatre ou cinq endroits le drapeau se trouve engagé sous des prétextes assez discutables, tandis qu'autour de nous commencent, des agaceries comminatoires des allemands et des revendications incessantes des anglais, toujours gênés dans les entournures.

On tient à nous désarmer le plus possible et l'on profile de la pusillanimité du gouvernement aussi bien que de. sa négligence absolue, pour tenir la nation dans un qui-vive perpétuel. Les gens du Panama et leurs nombreux satellites ont moralement perdu notre influence en Europe ; à la confiance du peuple s'est substitué son mépris de la clique dorée qui se partage l'autorité et la fortune de l'état.

On voit chaque jour des impairs scandaleux éclater à l'imprévu dans les armements si faussement étalés devant les commissions budgétaires, on voit le mensonge et la dilapidation surgir de partout, témoignant, aux yeux la faiblesse et le désordre de notre organisation ; pourtant nulle responsabilité n'est établie, nulle malversation n'est poursuivie, nulle justice ne s'impose, il a fallu qu'un ministre s'avouât lui-même coupable pour qu'on le mit en prison !

Combien manquent à la République une Convention nationale et un Comité de salut public !

L'expédition de Madagascar peut devenir pour la patrie française un cinquième minotaure, comme elle peut se résumer en une courte campagne.

C'est encore ce qui peut arriver de mieux, et nous avons souvent, manifesté l'espoir qu'un traité in extrémis rendait la guerre inutile.

A l'exception de nos amis les ennemis, qui poussent le gouvernement aux aventures scabreuses, tout, le monde gagnerait ‘à un arrangement ante bellum : le peuple Hovas surtout, dont le grand territoire est des plus favorables à une exploitation coloniale sagement pratiquée, où l'existence est facile ; où la terre et la mer sont riches.

Espérons que le général Duchésne, dont on fait publiquement l'éloge agira avec résolution, et que la campagne promptement menée se terminera par une soumission déjà prévue, qui nous permet Ira de revoir, avant l'hiver, le bataillon de marche auquel nous venons de faire de fraternels adieux.

J. D.

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