Editos du Comle

KB865 - Le faiseur de Bonaventure

 

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

 

Avez-vous déjà rencontré un inventeur de trésor ?

Cela m’est arrivé le 17 mai dernier. Nous recevions à la Maison-mère, Maître Luc Hafner, avocat et colonel de réserve de l’armée suisse, vice-président de la fondation Nordonia et légionnaire d’honneur. L’objet de sa visite n’était pas pour cette fois, le financement généreux et précieux d’un nouvel équipement à Puyloubier au profit de nos anciens et de nos légionnaires blessés. Notre légionnaire de 1re classe d’honneur avait “quelques archives” à remettre au Musée de la Légion étrangère, documents sauvés une première fois de la destruction, une seconde fois d’une vente aux enchères. Le patrimoine est sacré mais ma mission du moment l’était aussi par définition, et c’est l’esprit distrait que j’ai rejoint la salle d’honneur où m’attendaient une délégation d’officiers et Maître Hafner. Sans notre inventeur, en cela l’expression est éloquente, je serais passé à côté d’un trésor. 

Devant les portraits des chefs de corps morts au combat, dont le colonel Raphaël Vienot, chef de corps du 1er Régiment étranger de la seconde Légion, devant le tableau des combats de Camerone d’Adolphe Beaucé, 145 pièces d’archives authentiques, remarquablement conservées couvraient la grande table de cette salle, préambule à la crypte, reconstruite à l’identique de celle de Sidi Bel Abbes. Toute la vie militaire de Bonaventure Meyer, citoyen suisse était là, autopsiée. 145 documents de 1825 à 1895 dissèquent la vie d’un des premiers officiers à titre étranger de la Légion étrangère. Né en 1804, il rejoint à seize ans le 2e Régiment d’infanterie suisse de ligne où il gravira les échelons jusqu’au grade de lieutenant, obtenu en 1828. Licencié en 1830, il est intégré le 20 juillet 1831 dans son grade de lieutenant, à cette troupe nouvellement créée, la Légion étrangère. L’acte d’engagement est émouvant. Sous en-tête du Ministère de la guerre, bureau de l’infanterie, il nous transporte au commencement de l’aventure des hommes sans nom : “Le Ministre secrétaire d’État de la Guerre prévient Monsieur Mayer, Bonaventure, Lieutenant suisse, qu’il est désigné pour un emploi de lieutenant dans la Légion étrangère. Il se rendra sur le champ à Bar-le-Duc … ”. L’imagination s’affole, la table des traditions est prête à ouvrir la bonne aventure de ce jeune lieutenant de 27 ans. 1835, le lieutenant major Meyer est promu capitaine au corps et a déjà eu “un cheval tué sous lui par l’ennemi”. La pièce d’archive suivante nous projette dans la douloureuse campagne contre les Carlistes : “Le 27 juillet 1835, passé avec la Légion étrangère au service d’Espagne”.

Notre capitaine s’illustrera dans cette campagne de triste mémoire pour la Légion. Blessé puis décoré à deux reprises, une archive signée de la reine Isabelle en atteste, promu chef de bataillon, il cumulera les actions d’éclats jusqu’à sa démission du service de la Légion d’Espagne en février 1838. Il est réintégré par ordonnance royale comme capitaine au 2e Régiment de la Légion étrangère le 8 juillet de la même année. Ainsi va l’aventure du capitaine Meyer, redevenu chef de bataillon en 1844, admis à la retraite en 1851, réintégré avec le grade de colonel au 1er régiment de la 2e Légion étrangère. Il prendra le commandement du 1er Étranger en 1856, se mariant la même année, pour définitivement prendre sa retraite en 1858 en recevant la croix de commandeur de la Légion d’honneur. Les documents sont tour à tour émouvants, drôles, touchants même : certificats de blessures attestées par plusieurs témoins, ordres de promotions, notation des officiers sous ses ordres dont un certain sous-lieutenant Burchard, noté de conduite mauvaise du fait de son incorrigible habitude de contracter des dettes mais qui reste néanmoins très capable. Une correspondance avec l’Élysée mérite d’être citée. Le colonel Meyer plaide sa cause auprès du maréchal Ministre de la Guerre pour se soustraire au remboursement de la somme de mille francs, disparue au camp de Sathonay, dont il est tenu pour responsable. Le vol de la solde du régiment “ne pouvait lui être imputée par l’intendance compte tenu des précautions prises”. De plus, “Votre Excellence n’ignore pas non plus, les sacrifices pécuniaires qui ont été faits par le lieutenant-colonel et par moi pour la formation (création) de la musique… Je sais bien que cela était une chose facultative… Je le fis à ce double point de vue : qu’une musique organisée pouvait être un attrait pour de jeunes soldats, relever leur moral et empêcher les désertions qui m’affligeaient profondément et qui devenaient une véritable épidémie. Je ne reculai, dès lors, devant aucuns sacrifices pour assurer la formation du régiment que j’avais plus à cœur que tout autre.”

Notre pauvre colonel reçut en retour une fin de non-recevoir. Sa bonne aventure prit fin et il mourut quelques semaines avant le combat de Camerone dans sa ville natale de Suisse délesté de ces mille francs. Presque deux siècles plus tard, la Musique de la Légion étrangère se produira le 18 juin prochain à l’Olympia en hommage aussi à Bonaventure Meyer. Nous vous attendons nombreux pour ce concert caritatif, afin de pouvoir rendre au
1er Étranger les mille francs qui lui font défaut ! 

En attendant, il me tient à cœur de remercier notre inventeur de trésor. Merci cher Maître, cher légionnaire honoraire, merci de nous faire voyager au commencement de la Légion. Vous êtes le faiseur de Bonaventure !

                                                                                                                                                             

                         

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - JUIN 2023

KB861 - Matricules 185270 et 185271

“À ces gens qui n’avaient plus rien et souvent se croyaient finis, elle (la Légion) offre un héritage de gloire fabuleux”, Jean des Vallières.

Début mai 1994, deux jeunes candidats se présentent à la porte du fort de Nogent. Ils ne se connaissent pas, ils ne se parlent d’ailleurs pas devant la porte en bois du fort, célèbre et majestueuse. Ils ont le même âge, 25 ans. Les deux ont grandi de l’autre côté du rideau de fer, l’un en Pologne, l’autre en Ukraine. À vingt ans, profitant de l’effondrement du mur, ils ont migré plus à l’Ouest, afin d’étancher leur soif de liberté. Par des chemins détournés, comme souvent, l’idée de la Légion étrangère mûrit cinq années puis les fit converger vers Fontenay-sous-Bois, point zéro pour beaucoup, de l’aventure Légion.

Deux “volontaires involontaires” (1) se demandent, ce matin de mai 94, quel sera cet autre monde, derrière la porte. La porte s’ouvre. Legio Patria Nostra se dévoile derrière, comme sur un poste-frontière. Le grand candidat en taille et le petit candidat débutent le processus de sélection. Contrairement au souvenir précis de leurs présentations simultanées, la mémoire leur fait défaut quant à savoir s’ils se tenaient l’un derrière l’autre lors des étapes de sélection. L’administration Légion atteste en revanche, la même date du 16 mai 1994 pour la signature de leurs premiers contrats d’engagement : matricule 185270 pour le petit et 185271 pour le grand. Ces deux jeunes engagés volontaires de la Légion étrangère (EVLE) partiront ensuite pour l’instruction.

Affectés à la 3e section de la 2e compagnie du 4e Régiment étranger, ils s’instruisirent “à la dure”, tenant bon lors des longues semaines de transformation dans le creuset de la Légion étrangère. Leurs souvenirs de cette période sont intacts et fondateurs mais parfois décoiffants pour un COMLE de 2023. De fait, ils coiffèrent ensemble, pour la première fois le képi blanc. À la fin de l’instruction, l’un rejoignit le 2e REI et l’autre le 2e REP, pour une carrière à venir d’un mimétisme troublant.

Presque 30 ans plus tard, deux adjudants-chefs sont côte à côte pour accueillir le CEMAT, venu à Aubagne présider le conseil de la Légion étrangère (CLE). L’un est petit, l’autre est grand, les deux portent le képi noir et le galon à liseré de président des sous-officiers (PSO). L’un est le PSO du 2e REP, l’autre est celui du 2e REI, les deux sont mariés et ont deux enfants. Les deux ont des états de service couvrant toutes les opérations de l’armée française des trois dernières décennies, d’Afrique aux Balkans et l’Afghanistan. Les deux, en devenant Français, ont accolé à la devise Legio Patria Nostra, celle de Liberté Égalité Fraternité.

Je vous proposais dans mon dernier éditorial de passer l’année 2023 avec Monsieur Légionnaire. J’ai passé plusieurs années avec ces deux grands messieurs. Grâce à eux en particulier, par leur histoire, leur engagement, leur sens du service, j’ai moi aussi d’une certaine manière poussé la porte en bois du fort de Nogent pour rejoindre cet autre monde, le monde de la Légion. La littérature a magnifié ces légionnaires qui, gravissant patiemment les échelons de commandement, quittant le képi blanc pour le képi noir, sont devenus des sous-officiers supérieurs. Elle les a nommés “les maréchaux de la Légion”(2). Cette expression rend hommage à ces adjudants ou adjudants-chefs, piliers de l’Institution, héros des conflits post Seconde Guerre mondiale. Comment ne pas citer, en illustration, les trois sous-officiers d’origine hongroise, entrés au Panthéon de la Légion étrangère : l’adjudant Laszlo Tasnady, l’adjudant Istvan Szuts et l’adjudant-chef Janos Valko. Ils se sont engagés tous les trois en septembre 46 et ont été tués en opération dans l’Ouarsenis en mai 59 à quelques jours d’intervalle. À eux trois, ils totalisent 34 citations et huit blessures au combat. La salle d’honneur du musée d’Aubagne garde leur souvenir. À eux trois, ils symbolisent ce levain qui lève sans cesse de nouvelles générations de képis noirs, et de nouveaux maréchaux.

À leur tour, de jeunes candidats se présentent et frappent à la porte de la Légion en ce début d’année 2023. Ils sont parfois inquiets, désemparés ou se croyant finis, mais ils espèrent tant du monde à venir. “Je n’ai plus rien à apporter et je suis fini, la Légion me prendra-t-elle ?”

Si vous avez cette envie pure et sincère de nous rejoindre, de franchir la porte, vous trouverez de l’autre côté un képi noir pour vous habiller d’or. “À ces gens qui n’avaient plus rien et souvent se croyaient finis, elle (la Légion) offre un héritage de gloire fabuleux”, Jean des Vallières.

Il y a surement en ce moment, devant la porte du fort de Nogent, un petit et un grand candidat ! More Majorum.

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc – Février 2023

KB860 - Bonne année “Monsieur Légionnaire” !

"Monsieur légionnaire" sera le thème de l’année 2023. Cette appellation, apparue dans l’entre-deux-guerres, est une véritable carte de visite, servant à annoncer un homme sans nom, mais pas sans titre de noblesse.

Sans surprise, l’association de la tournée de Noël et de la trêve des confiseurs me pousse à la brièveté.

Ma dernière tournée de Noël prend fin justement et j’en mesure la richesse. Ce périple traditionnel et annuel du COMLE autour des régiments Légion permet de mesurer l’apport exceptionnel de notre tradition de Noël sur l’esprit de corps. Quel privilège, pour ne citer que ce moment particulier, de dîner avec trois caporaux et deviser sur nos environnements respectifs. Il était à peu près 22 heures, au milieu de 800 légionnaires, dans une ambiance festive favorable, nous nous sommes laissés aller à parler de tout : “et toi caporal, tu ne rengages pas après tes huit années de service ? Non, j’ai ma copine qui ne peut pas me rejoindre – la Mongolie c’est loin – Dommage, j’ai besoin de tout le monde, mais c’est le principe du contrat, c’est ton choix ; oui mon général, mais vous savez ces huit ans c’est l’ouverture à la vie, il n’y a qu’ici pour vivre avec toutes les nations du monde et découvrir autant”. Ce caporal avec ses camarades était serein, fier de son parcours, reconnaissant, attachant, intéressant, digne de confiance…un Monsieur !

Monsieur Légionnaire, comme le présente le livre de référence éponyme du général Jean Hallo en 1994, sera le thème de l’année 2023. Cette appellation, apparue dans l’entre-deux-guerres, est une véritable carte de visite, servant à annoncer un homme sans nom, mais pas sans titre de noblesse. Générique, elle est également le rappel de l’amalgame réalisé parmi les cent cinquante nationalités. Placer la nouvelle année sous ce thème est une façon de rendre hommage à ces étrangers du monde, venus servir la France en coiffant le képi blanc.

C’est donc avec ce “grand monsieur”, que je vous propose de passer 2023, autour de trois rendez-vous principaux : Camerone, la journée du légionnaire à Paris le 18 juin où notre célèbre musique se produira pour deux représentations caritatives à l’Olympia et les 13 et 14 juillet qui mettront à l’honneur la fabrique du légionnaire. Avec Lui, en reprenant les mots d’Étienne de Montety, vous franchirez 2023 avec tous les rêves possibles : “j’imagine des actes de courage, des hésitations, des déchirements. Des colères, des pleurs des victoires. J’imagine…tout est possible par la seule force d’un mot, un sortilège : la Légion.”

Cher Monsieur Légionnaire, je te souhaite une excellente année 2023, pleine d’honneur et de fidélité.

Chers amis de la Légion, je vous présente mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année ; que vous puissiez patiemment réaliser vos rêves. J’y ajoute le vœu de vous rencontrer lors de nos fêtes de tradition.

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc – Janvier 2023

KB859 - Quand la Légion s’arrête, alors c’est Noël !

" Il m’a toujours semblé qu’ils acceptaient confusément de mourir pour un certain goût des fêtes de Noël. Le sauvetage de cette saveur-là dans le monde leur semblait justifier le sacrifice de leur vie.” - Saint Exupéry

En cette fin novembre, entre les transits par l’île de La Réunion, encadrant ma visite du Détachement de Légion étrangère de Mayotte, l’aéroport Rolland Garros de Saint-Denis s’est illuminé de guirlandes scintillantes. L’atmosphère entre l’aller et le retour, en cinq jours d’intervalle, en fut complètement transformée. Aussi évocatrices qu’une madeleine de Proust, ces illuminations annonçaient Noël. Chez les képis blancs, un autre signe est encore plus caractéristique de Noël : la Légion s’arrête.

Il n’y a pas d’autres circonstances pour stopper le pas légendaire du légionnaire. Les fêtes de Camerone, ou les fêtes régimentaires ne suspendent pas les activités, mais s’y ajoutent. En revanche, la trêve de Noël, progressive ou réduite à la seule veillée de Noël, est de tradition. Vous verrez immuablement le 24 au soir, les légionnaires poser leurs armes et leurs sacs, se regrouper autour des stades, des bars de Noël, des crèches ou des veillées et ne faire que cela… Les cahiers d’ordres des compagnies se détendent en premier : 7h30 rassemblement et petit déjeuner par section ; 9h00 challenge de volley ; après-midi préparation des bars section. Les légionnaires ont adopté ce temps suspendu de Noël comme un élément vital, et ce, quelles que soient les circonstances, y compris au combat, dans les tranchées, les nomadisations, ou les postes de garde. La fête de Noël semble avoir été faite pour Monsieur Légionnaire, à la fois berger et Roi mage, déraciné et en quête d’espérance. Mieux que quiconque, il éprouve le besoin d’un arrêt de la course du temps. Une fois par an, les vapeurs d’un passé lointain, parfois enfoui, sortiront du sac et se réchaufferont au contact de la joyeuse fête de l’Espérance. La nostalgie d’une enfance, le poids d’une vie laissée derrière ont besoin d’être partagés en famille. Pour se livrer, pour oser parler de soi, pour écouter avec bienveillance les autres, pour recueillir quelques confidences, il faut pour cela du temps, répété, entre soi, une ambiance festive, une hiérarchie estompée.  “N’ayez plus peur, un Sauveur nous est né”, nous dit Noël. La puissance de Noël ne doit pas être oubliée et la Légion faite d’hommes aux cœurs éprouvés ne s’est pas trompée en lui donnant son caractère sacré. La première fête légionnaire, c’est Noël.

En évoquant ses camarades de combat,  Saint-Exupéry écrivait : “il m’a toujours semblé qu’ils acceptaient confusément de mourir pour un certain goût des fêtes de Noël. Le sauvetage de cette saveur-là dans le monde leur semblait justifier le sacrifice de leur vie.”

Chaque année, cet “hors temps”, ce temps non compté, nous est donné, sachons le préparer et le saisir. Quelles que soient nos situations du moment, il n’y a pas de “petit Noël”. Pour cette fête du “repos de corps”, je renouvelle mes directives de ne rien négliger dans la préparation de ce temps sacré, prenez le temps, arrêtez-le et il se démultipliera. 

Un officier témoignait de cette période : “En s’amusant lors de la veillée, en échangeant quelques verres, en plaisantant autour de la table dressée, en assistant aux sketches, en riant ensemble de nos mésaventures, en se moquant avec tact des travers des uns et des autres, en reprenant en chœur nos chants de traditions, c’est un climat de joie simple qui se crée. Cette décontraction, cette sérénité retrouvée, cette ambiance festive permettent de donner du liant à notre vie de communauté et d’oublier les tracasseries du service.”

Alors “en Avent” ! Et à tous, joyeux Noël.

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - Décembre 2022

KB858 - Notre flèche du temps

Avec deux sous-officiers nous avons été invités à la maison mère du rugby français...

À Sidi-Bel-Abbès, la salle d’honneur et le musée du souvenir étaient conçus comme un véritable temple de la gloire légionnaire. Ils étaient enrichis, campagnes après campagnes,  pour l’instruction des jeunes recrues.

Un fascicule de 1962, La vérité sur la Légion étrangère, décrit la place centrale du souvenir dans la formation du légionnaire. Ciment de l’esprit de corps, le souvenir rappelle qui l’on est. En l’acquérant, puisqu’à l’évidence il puise au-delà de la vie d’un seul, puis en l’exerçant, le jeune légionnaire s’approprie le temps passé pour qu’il ne soit plus révolu. N’est-ce pas le sens du cri de guerre, “faire Camerone”, qui se répète si souvent depuis 1863 ?

Avec le souvenir, le légionnaire apprend que le travail de bâtisseur compte autant que le combat, pour conquérir le monde. Il intègre ainsi que, le fusil posé, la pioche l’attend, c’est sa marque. Sidi-Bel-Abbès a été “l’ouvrage de toute sa vie et sa plus grande fierté” (1), le tunnel de Foum Zabel au Maroc est une réalisation, édifiante comme une bataille pour forger l’esprit Légion.

Les batailles, justement, sont autant de points d’appui pour celui qui va entrer dans sa première fournaise. Leur récit, l’engagement des hommes au cœur du combat, créent une ligne de vie puissante entre les générations de légionnaires. Rien d’étonnant que la salle d’honneur et le musée, tout comme le monument aux Morts furent reconstruits à l’identique à Aubagne – la fabrique du légionnaire passe par-là. Ainsi, un tableau des médailles a repris sa place au sein de la salle d’honneur du nouveau quartier Vienot. Il regroupe les décorations de trois sous-officiers d’origine hongroise. L’adjudant Szuts et l’adjudant-chef Valko du 3e REI, l’adjudant Tasnady du 1er REP, se sont engagés à quelques mois d’intervalle en 1945 et sont morts pour la France à 33 ans au cours de la même opération, dans les monts de l’Ouarsenis en mai 1959. À eux trois, ils totalisent 34 citations et 8 blessures pour la France. Ce tableau permet le souvenir. Le souvenir permet la transmission.

La transmission édifie le jeune légionnaire. Le 29 avril dernier, le capitaine (er) Estoup a voulu recevoir son grade de commandeur de la Légion d’honneur devant ce tableau en souvenir de son premier sous-officier adjoint au 1er REP, l’adjudant Tasnady. Poser son regard sur ce tableau vous donne, par un prodige mystérieux, force et humilité. Ce culte du souvenir, je l’ai retrouvé avec surprise, dans un autre temple, sous un autre nom : “notre fl èche du temps”.

Avec deux sous-officiers, certes non hongrois, nous avons été invités à la maison mère du rugby français, à Marcoussis. Le XV de France est en effet en préparation de sa tournée d’automne. Comme chaque regroupement du XV, le défi du sélectionneur et de son staff est immense : créer l’amalgame de joueurs, de clubs différents, à la culture différente, en état de forme très différent. Bref, Marcoussis est le “Bel-air” du XV. En quelques jours, l’esprit de corps d’une équipe, la grammaire du jeu collectif doit être réapprise. De tous les horizons de la planète rugby, des volontaires se regroupent pour servir le même maillot et partir au combat. Vous me voyez venir, le rapprochement XV-Légion tient à cela. Nous apprenons l’un de l’autre, confortant nos recettes. Je n’aurais donc pas dû être surpris de constater la place centrale du souvenir dans ce stage de préparation. La vitrine des trophées vous accueille dès la porte du hall franchie. La coupe du dernier grand chelem 2022 trône évidemment à côté de la coupe Dave Gallaher, marquant la victoire sur les All Black. L’entrée dans le salon d’honneur, nom de la salle de briefing est encore plus parlante. Organisée comme un centre opération, regroupant un carré d’analystes et une zone de projection, cette salle n’a qu’un message affiché au mur : “la flèche du temps”. C’est la mémoire du XV depuis février 2020. 26 panneaux, un pour chacun des 26 matchs internationaux disputés entre février 2020 et le 9 juillet 2022, le dernier, fixent le souvenir. Chaque rencontre est immortalisée par le score, une image forte illustrant le combat, un slogan rappelant l’esprit de cette journée et la mise à l’honneur de l’homme du match. Par exemple : 26 février 2022, Écosse-France, victoire 17-36, 8 ans après…6 essais, le plaisir de marquer, l’homme du match. Des mots même du sélectionneur, cette frise des combats sert à lutter contre l’éphémère du match. Elle prépare la victoire future, forge le souvenir commun et l’esprit d’équipe. À la Légion, la fabrique du légionnaire passe par là, c’est comme ça, à Marcoussis, aussi. En avant le XV !

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - Novembre 2022

KB857 - “Ya lo veremos, mon général !”

“La Légion étrangère est la meilleure troupe d’infanterie européenne, solide, brave et manœuvrière : elle s’est toujours montrée à la hauteur des circonstances les plus critiques" - Lieutenant-colonel José Millan Astray Terreros

Les mois de septembre sont propices aux belles découvertes.

Il y a un an, la Légion resserrait ses liens avec le sanctuaire de Camarón. Ce fut l’occasion d’approfondir la connaissance de notre histoire fondatrice - on ne connait que par la semelle de ses souliers – et découvrir pour l’anecdote, l’arbre endémique qui par sa fleur en forme de crevette, a donné le nom au lieu-dit du combat.

Ce mois-ci, après deux années de diètes pandémiques, accompagné des présidents de catégorie, j’ai répondu avec enthousiasme à l’invitation de la célébration d'anniversaire de la création du Tercio de Extranjeros, premier nom de la Légion espagnole. Notre enthousiasme donc, a été néanmoins durement éprouvé. La voie aérienne militaire (VAM), reposant sur un avion TBM 700 aux volets fainéants, s’est transformée en voie routière militaire (VRM) : passer du A au R signifiait 12 heures et 1 200 km de route entre notre voie sacrée et Almeria, quartier général de la brigade Rey Alfonso XIII .

Fallait-il renoncer ? “Ya lo veremos mon général !” (1)

J’empreinte et détourne avec respect cette annotation, du lieutenant-colonel José Millan Astray Terreros, à l’origine de la Légion espagnole.

En effet, en 1919, engluées dans la guerre du Rif, les Forces armées espagnoles réfléchissent à se doter d’une troupe d’élite sur le modèle de la Légion étrangère française. Millan Astray est alors envoyé auprès du général Nivelle qui, compte tenu de l’objet de sa visite, le “dirige à Tlemcen pour suivre pendant plus d’un mois, la reconstitution du régiment de marche de la Légion étrangère (RMLE) sous les ordres du lieutenant-colonel Rollet” (2). L’identité de vue entre les deux lieutenants-colonels, en particulier sur la nécessité d’entretenir une mystique du sacrifice et du travail bien fait, va porter ses fruits. Le lieutenant-colonel Millan Astray, convaincra à son retour ses autorités et deviendra le premier commandant de la Légion espagnole. Lors de sa mission d’enquête, le général Nivelle lui prête un livre intitulé “méthode de combat au Maroc”.

À la page 10, dans le paragraphe infanterie, il est écrit : “La Légion étrangère est la meilleure troupe d’infanterie européenne, solide, brave et manœuvrière : elle s’est toujours montrée à la hauteur des circonstances les plus critiques ; sans la ménager plus qu’il ne convient, le commandement a généralement intérêt à la garder en réserve. La légion traverse une crise très grave d’effectifs, mais elle se reformera et, grâce aux traditions, elle redeviendra ce qu’elle était avant la guerre, une troupe incomparable que d’autres nations peuvent nous envier, mais dont elles sont hors d’état de constituer l’analogue à leur profit.”

Sur le livre qui trône au musée de la brigade de la Légion à Alméria, la dernière phrase est soulignée à la plume et en marge du paragraphe, l’annotation manuscrite du lieutenant-colonel Millan Astray stipule avec énergie “! Ya lo veremos mon général ! au revoir.” Effectivement, le 20 septembre dernier lors d’une prise d’arme solennelle et particulièrement martiale, nous avons vu l’esprit Légion : esprit de corps, fierté, souci du détail, masse, rigueur, culte de l’ancien, attention aux familles, cohésion par le chant…et la pompe à bière. On se sentait à la maison. Leur sens du cérémonial est un modèle. Impossible d’assister à une telle cérémonie sans ressentir la profondeur de l’âme de la Légion espagnole. Le défilé des emblèmes sur le chant Novios de la muerte (3), entonné religieusement par plus de mille voix, est édifiant.

Je remercie chaleureusement le général Melchor Elvira pour son accueil. La redécouverte de notre sœur Légion fut inspirante. La devise Legionarios a luchar – legionarios a morir (4), gravée sur le mur du centenaire, nous unit.

Au revoir, mon général !

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - Octobre

(1) “C’est ce que nous verrons !”

(2) Paul-Frédéric ROLLET , Pierre Soulié, édition Italiques, page 307

(3) “Fiancés de la mort”

(4) “Légionnaires au combat, légionnaires à la mort”

KB856 - Sept occasions de partager la flamme

"Faire vivre le patrimoine Légion, l’esprit de combat, le code d’honneur, les règles de vie… est une mission centrale de la Maison-mère d’Aubagne et de ses onze régiments", Général Alain Lardet, COMLE

 

 

La transmission est un enjeu fondamental du monde militaire. Pour une troupe d’assaut, quoi de plus essentiel que de bâtir sur un socle d’expérience, de savoir-faire, de traditions, etc., sans repartir de zéro à chaque nouvelle génération ? Autrement dit, la responsabilité d’entretenir la flamme est essentielle. Faire vivre le patrimoine Légion, l’esprit de combat, le code d’honneur, les règles de vie… est une mission centrale de la Maison-mère d’Aubagne et de ses onze régiments. Les deux inscriptions sur le musée, Legio Patria Nostra et More Majorum rappellent cette exigence de la mémoire collective. Elles encadrent d’ailleurs notre monument aux morts pour rappeler que le quotidien du légionnaire évolue lui aussi entre ses repères. C’est ainsi la première vision du candidat, lorsqu’il se présente à l’entrée du quartier Viénot pour devenir légionnaire. Si la mission de transmettre est quotidienne tout au long de l’année, comme l’illustre le ravivage de la Flamme du Soldat inconnu, ce mois de juillet a été particulièrement riche dans ce domaine. Je vous propose 7 occasions de partager la flamme, symbole de la force d’âme et de l’esprit de service.  

Les cérémonies du 14-Juillet tout d’abord, dont le thème était précisément “Partager la flamme”. Dans les différentes garnisons Légion ou bien sûr à Paris, ce rendez-vous de nos armées avec les Français est une puissante occasion de partager, de transmettre l’esprit de Défense. “C’est à vivre, c’est inoubliable”, m’a dit un légionnaire du 2e REG qui descendait pour la première fois les Champs-Élysées. Oui, que l’on soit novice ou expérimenté comme cet adjudant de la musique qui défilait pour la vingtième fois, parader sur la plus belle avenue du monde rend palpables la grandeur et la fierté de servir. Ce fut un beau défilé qui a certainement allumé de nouvelles petites flammes et ravivé les autres.

Le thème de cette année faisait d’ailleurs écho aux quatre-vingts ans de Bir Hakeim et à la disparition du dernier des Compagnons de la Libération, le lieutenant Hubert Germain. Au dernier chapitre de son livre entretien, il écrit ceci : “peu à peu, les Compagnons disparaissent. Mais la marque viscérale de leurs sacrifices devra demeurer pour toujours dans la mémoire de la France ; rien ne meurt, tout est vivant”. Voilà une deuxième occasion d’alimenter notre flamme.

La troisième occasion de partager un peu de lumière de la flamme Légion s’est présentée lors de la traditionnelle prise d’armes au Sénat. Comme deux autres légionnaires d’active, Simon Murray, ancien légionnaire, recevait des mains de monsieur Gérard Larcher son décret de naturalisation française. À plus de quatre-vingts ans, cet aventurier, homme d’affaires et conteur sans pareil, est un falotier pour notre temps. Son dernier livre pourrait éclairer votre été et à coup sûr rallumera toutes les flammes vacillantes.

La quatrième occasion rejoint la précédente. J’ai retrouvé, lors d’une passation de commandement régimentaire, un ancien légionnaire de ma section. Le légionnaire Skelin avait ce charisme pour transmettre autour de lui, dans sa section ou dans sa compagnie, cette flamme du service avec honneur et fidélité. Presque 30 ans après, j’ai retrouvé le même sourire et ce même éclair dans le regard ; rien ne meurt.

Le mois de juillet est traditionnellement riche pour l’exercice de passage de flamme entre deux colonels. Nos quatre régiments d’infanterie Légion et le GRLE ont changé de chef de corps, voici une cinquième occasion de célébrer, au travers de la passation du drapeau ou du flambeau, le devoir de transmission. Avec ma profonde reconnaissance pour les colonels quittant leur commandement, tous mes vœux accompagnent les “nouveaux porte-flamme”.

Autre transmission majeure, la sixième occasion de ce mois de juillet concerne le changement de président des caporaux-chefs de la Légion étrangère. Après huit années comme représentant des militaires du rang à titre étranger, le caporal-chef Gobé quitte sa fonction pour la transmettre au caporal-chef Hovi. Ce poste est celui d’un gardien de phare qui s’assure de ce que la flamme ne s’éteigne jamais, afin qu’aucun légionnaire ne soit en perdition. Merci Gobé, et en avant Hovi.

Si cet éditorial devait être une charade, la septième occasion serait mon tout. L’adjudant-chef (er) Salih Gusic a été rappelé à Dieu. Né en Bosnie-Herzégovine, engagé à vingt ans à la Légion étrangère en 1947, le légionnaire Gusic aura tout traversé de son époque. Il aura tout connu. De toutes les batailles, avec toutes les unités légionnaires parachutistes, lui valant dix citations et l’attribution de la fourragère des théâtres d’opérations extérieurs aux couleurs du ruban de la médaille Militaire à titre individuel, à tous les postes, de légionnaire à commandant d’unité au feu, de la deuxième compagnie du 2e REP, en passant par président des sous-officiers à membre du conseil des sages de l’AALP, cet être d’exception possédait la flamme du guerrier. Dignitaire de la Légion d’honneur, porteur de la main du capitaine Danjou, Salih Gusic était un homme d’une gentillesse extrême et d’une attention touchante aux jeunes de la famille. Sa flamme a éclairé largement autour de lui. Rien de ce qui compte ne meurt.

Ces 7 événements dessinent, vous l’aurez compris, notre grenade. Ils sont autant de reflets de la Légion et sont garants de notre force morale. 

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - Août

KB855 - Engageons la réserve

"L’esprit de corps est contagieux.", Général Alain Lardet, COMLE

 

 

« Bonjour général, je me permets de vous aborder. Je ne serai pas long et je ne veux pas vous déranger. Pour mon père, bien que non légionnaire, la Légion était tout. Il lui portait une vénération depuis qu’il avait rencontré des légionnaires en Algérie. Les récits les plus extravagants ont bercé notre enfance. Je voulais vous le dire car depuis, cette passion de la légion s’est transmise. On ne loupe jamais un Camerone” »

C’était samedi dernier lors de la fête annuelle de la branche française de l’Ordre souverain de Saint-Jean-de-Jérusalem, de Rhodes et de Malte avec qui la Légion entretient des échanges fructueux depuis 1994 et l’opération Turquoise. Participant pour la première fois à la Saint Jean Baptiste1, plusieurs aspects de cet ordre militaire et hospitalier m’ont marqué, dont la force d’une institution riche de sa vocation, de ses traditions et de son histoire quasi millénaire. Le “ici c’est comme ça”, cher au général Dary, aurait pu être le sous-titre des frontons des salles des croisades du château de Versailles, accueillant traditionnellement la célébration. Du haut de ces salles d’art, mille ans d’histoire vous contemplent ! Une petite fille lisait sous un tableau majestueux2 ; difficile de savoir si la bande dessinée était sur ses genoux ou sur les murs. Quel merveilleux endroit pour mesurer la profondeur de l’Histoire. L’admission des nouveaux chevaliers de l’ordre se fait dans cette salle face à la porte de l’hôpital de Rhodes, relique vivante d’une période glorieuse et symbole d’un fait d’armes mémorable en 1523. Les chevaliers à la croix blanche aux huit pointes ne furent pas défaits par Soliman. Après six mois de siège à un contre cinquante, ce dernier fut levé et le Sultan permit l’évacuation des survivants avec reliques, armes et trésors.

Les nouveaux légionnaires reçoivent leur premier contrat dans la salle d’honneur du quartier Viénot devant la relique de la main du capitaine Danjou. Juste après, la visite du Musée leur donne ce premier air ambiant de leur nouvelle patrie, la Légion. Ils parcourront les salles faites d’objets militaires, d’uniformes, de tableaux et de gloire, sans mesurer totalement le principe vital de ces premières respirations, mais l’esprit passe. La Légion use donc aussi, d’un lieu mémoriel pour illustrer les principes de l’Institution et sa profondeur historique. Ainsi s’amorce l’éducation des recrues.

L’analogie ne s’arrête pas là.  L’entrée dans l’Ordre de Saint Jean n’est pas un droit, mais se sollicite. L’Ordre donne un asile au volontaire qui veut servir. Un vieux règlement précise “qu’aucune fausse identité n’est permise, sous peine de renvoi, à moins qu’un pseudonyme n’ait été choisi d’un commun accord pour des raisons de décence ou de pressantes considérations”. Nous appelons cela, la seconde chance.

Enfin et j’en reviens à ma rencontre avec cette “fan de la Légion étrangère” pour illustrer un autre parallèle, l’Ordre de Malte allie une solide fraternité à une noble vocation, le service de l’humanité et particulièrement du pauvre. Il suscite ainsi un élan de bénévoles qui lui permet d’assurer ses missions. La joie de servir et la fierté d’appartenir à un corps riche, de son histoire et de son identité, permettent cet engouement et cette générosité.

La Légion suscite assez naturellement ce volontariat au service désintéressé, certainement pour des causes similaires. L’esprit de corps est contagieux. Combien de fois avons-nous entendu, nous les membres de la Légion, ces simples mots de soutien suscités par la rencontre d’un ancien, d’un grand-père, d’un ami proche ou moins proche. Les mots de cette femme ne visaient rien d’autre que de partager avec le “Père Légion” cette amitié profonde pour un corps, hors du commun. Cette profonde admiration suffisait à la sortir de sa réserve.

Sortons notre réserve alors et parlons-en ! C’est l’objet de ce Képi blanc : la réserve à la Légion. La réserve est en terme tactique, une condition de la victoire. En terme viticole et légionnaire, la réserve du général est le top du nectar de Puyloubier. Au quotidien, il est facile d’étendre cette clé de succès à nos réservistes opérationnels ou citoyens. Les quelques exemples de ce numéro sont éloquents et combien d’autres pourraient compléter ce tableau d’honneur. Si l’attractivité de la Légion étrangère est puissante, la Légion vit aujourd’hui de ces générosités et de ces compétences externes : œnologues, juristes, architectes, notaires, chefs d’entreprise, directeurs de travaux, professeurs, journalistes…

Est-ce à dire que tout va bien ? Au hasard d’une visite régimentaire, j’ai découvert un réserviste citoyen, affecté depuis six ans à l’état-major du COMLE et semble-t-il assez peu employé. L’axe de progrès existe toujours : sortons nos réservistes de leur réserve naturelle, profitons pleinement de leurs talents et de leurs expertises. En avant toujours en avant.

1 le saint patron de l’O rdre de Malte

2 La remise de Saint Jean d’Acre à Philippe Auguste et à Richard Cœur de Lion en 1191

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - Juillet

KB854 - Des “hommes sans nom” mais pas sans toit

"Depuis Rollet, de nombreux officiers ont poursuivi la noble tâche, d’adapter notre dispositif de solidarité, dont le foyer d’entraide est le moteur, afin de s’assurer qu’un légionnaire, dès lors qu’il a effectué ses premiers pas dans notre collectivité, ne sera jamais abandonné." Général Alain Lardet

 

 

Un toit aux pans vert et rouge couvre un képi blanc ; vous reconnaitrez le logo de la Maison du Légionnaire située au domaine de Vède à Auriol. Il dit tout de l’action sociale de la Légion étrangère : la solidarité coiffe et protège le service avec Honneur et Fidélité.

Cette Maison du Légionnaire, fondée en 1933, est la première réalisation tangible de l’action sociale au profit des militaires à titre étranger. Assurer un toit, sans péremption, à cet étranger venu rejoindre la Légion est un symbole de la reconnaissance que porte la Nation française à ses hommes sans nom.(1)

Parce que justement ils sont sans nom, ils ne doivent plus jamais être sans toit.

Bien sûr nos légionnaires ont tous un nom, ils en ont deux même : celui de naissance et celui de la renaissance. Le temps qu’il faudra, le jeune légionnaire aura un nom de légionnaire, le rendant ainsi sans passé puisque sans patronyme le reliant à son histoire. Cette spécificité, la seule au demeurant, est exorbitante et lourde de conséquences. Elle rebâtit l’homme mais déconstruit le statut social originel. En privant le légionnaire de sa maison refuge d’origine, elle fragilise l’individu, autant qu’elle le relance dans une nouvelle vie et une nouvelle maison. La Légion étrangère française détient ainsi la baguette magique d’un nouveau départ qui plus est en évaporant le premier. Je crois avoir eu l’occasion de l’écrire dans cette lettre de famille, l’immense majorité des partants à la retraite que je reçois, c’est-à-dire totalisant plus de 25 ans de service, témoignent de leur reconnaissance débordante pour notre Institution qui leur a tout redonné : “la Légion m’a donné l’honneur, je lui donne fidélité”.(2)

Gare cependant aux douze coups de minuit, sonnant le retour à la vie civile ! Notre père Légion, le général Rollet, fit dans les années 30 le constat désolant de la transformation du carrosse Légion en un pont de Marseille. Combien de légionnaires libérés furent réduits à mendier, il est vrai, victimes d’une crise économique terrible ? Trop, et cela lui fut insupportable. Il est alors le premier à porter une attention soutenue à l’action sociale au profit des fins de contrats. Ayant compris que les besoins du légionnaire sont particuliers et qu’ils nécessitent, pour être correctement satisfaits, des solutions elles aussi particulières, il bâtit une politique sociale et de solidarité dont l’esprit ou même certaines réalisations persistent aujourd’hui : logement, foyers, primes, reconversion, amicales, maison d’Auriol… jusqu’à la mise en chantier d’une “œuvre d’entraide” dont notre FELE(3) est l’héritier direct.

Il est utile de se replonger dans les principes fondateurs de cette politique naissante de solidarité. Le général Rollet aimait à préciser que la première des solidarités est la connaissance du légionnaire et de sa psychologie. Il souhaitait ensuite s’intéresser, tout particulièrement, au sort de ces libérés, pour des considérations humanitaires évidentes, pour des raisons de fidélisation, en enlevant aux actifs le souci de la retraite et enfin pour couper court à la critique du traitement d’un mercenaire qui n’appartient à personne à la fin de son service. À cette époque, le légionnaire fin de contrat ne disposait que du costume Clemenceau(4) comme aide au départ. La tâche était donc immense et Paul-Frédéric Rollet fixa les axes de travail : faciliter les modalités internes de libération ; donner les moyens de se créer une nouvelle existence et de mettre à l’abri de la misère ; résoudre les problèmes liés à l’obtention de la carte de séjour ; maintenir “l’esprit Légion” entre les anciens, en créant des liens qui les rattachent à la famille légionnaire ; mettre à jour les livrets individuels pour l’établissement des pensions. Déjà avec l’appui du Sénat, le général Rollet obtient en 1935 la délivrance d’un récépissé autorisant les légionnaires étrangers à rechercher du travail, ce qu’alors la loi française ne permettait pas.

En revisitant ces lignes, le chemin parcouru par la solidarité Légion est impressionnant. Le colonel Gaultier en 1950 fut le second animateur de ce chantier avec la création du SMOLE, service du moral et des œuvres de la Légion étrangère. L’Institution des invalides de la Légion étrangère vit le jour en 1954. Le FELE prit sa forme définitive en 2015. Le GADIPLE, organisme visant à sécuriser les droits individuels des légionnaires est né en 2020.

Depuis Rollet, de nombreux officiers ont poursuivi la noble tâche, d’adapter notre dispositif de solidarité, dont le foyer d’entraide est le moteur, afin de s’assurer qu’un légionnaire, dès lors qu’il a effectué ses premiers pas dans notre collectivité, ne sera jamais abandonné. Je rends ici hommage à leur dévouement à la mesure de leur attachement aux légionnaires. Je pense en particulier, pour n’en citer qu’un, au regretté lieutenant-colonel Xavier Lantaires. Je remercie enfin le lieutenant-colonel Geoffroi Legat pour son action à la tête du FELE qu’il quitte cet été.

Ce numéro de Képi Blanc vous présente donc l’histoire en marche de notre solidarité. L’adaptation de la gouvernance, l’élargissement de l’offre de solidarité et la consolidation des ressources sont les trois axes d’effort qui nous amèneront en 2030 aux cent ans de notre action sociale.

À l’heure où j’écris ces lignes, un pensionnaire de l’IILE vient de décéder. Il avait 47 ans et ne sortait plus de sa chambre. En grande détresse psychologique, très malade, il a bénéficié chaque jour de la présence bienveillante de ses frères d’armes légionnaires. Il avait un toit.

Au fond, la devise de l’action sociale de la Légion étrangère pourrait être : “pas sans toi!”

Art II : “… Tu lui manifestes toujours la solidarité étroite qui doit unir les membres d’une même famille.”

 

 

(1) Désigne le légionnaire. Nommé ainsi par Jean des Vallières dans son roman éponyme, paru en 1933. Cette appellation a depuis été régulièrement reprise. Elle constitue le chapitre 2 du livre Monsieur Légionnaire du Général Jean Hallo, Édition Lavauzelle, et a récemment été revisitée dans un film documentaire “Voyage chez les hommes sans nom”, carnet de route de Sylvain Tesson au cœur de la Guyane française ; France 2, Infrarouge 2021.

(2) Témoignage dans le livre d’or des sous-officiers.

(3) Foyer d’Entraide de la Légion étrangère

Général Alain Lardet

Commandant la Légion étrangère

Editorial Képi Blanc - Juin

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