Carnet

20180203 - Adresse d’adieu au Lieutenant-colonel Anzanel prononcé par le Colonel (er) Rolf, Harald FIGGE le 20 janvier 2018 à Aubagne

Le dimanche 15 janvier 1967... Adieu Diégo...

20171031 - Obsèques du Général Paul SIMONIN

20161221 - Éloge funèbre du GDI Ghislain Gillet

prononcée par le GCA Rideau le 21 décembre 2016 à Taradeau.

« Mon Général,

C’est un bien lourd et triste privilège qui me revient aujourd’hui. Celui de vous rendre un dernier hommage et de vous dire adieu au nom de la communauté militaire et de la famille légionnaire auxquelles vous avez appartenu et n’avez cessé d’appartenir.

Au sortir de Saint-Cyr, en 1954, avec la promotion Union Française, brillamment classé, vous choisissez  l’Infanterie et les troupes  aéroportées. Votre première affectation vous conduit en Algérie où, quatre années durant, vous allez servir au sein du prestigieux 1er Régiment étranger de parachutistes.

Vous vous y révélez un chef de section remarquable particulièrement aimé et apprécié de vos légionnaires parachutistes.

Toujours à la pointe de l’action, possédant un sens inné du combat, vous menez personnellement plusieurs assauts sous un feu meurtrier. Vous êtes blessé au cours de l’un d’eux. Sept citations, dont deux à l’ordre de l’armée, et la croix de chevalier de la Légion d’Honneur viennent récompenser votre courage et votre brillante conduite au feu. Le jour où vous recevez la Légion d’Honneur, vous êtes le plus jeune officier de France à la porter.

Promu capitaine, vous allez instruire  deux années durant des officiers élèves de l’École d’application de l’infanterie à Saint-Maixent. Il est peu de dire que votre prestige, votre dynamisme et votre rayonnement font autorité auprès de stagiaires qui sont à l’aube d’une carrière d’officier.

Pour eux, vous êtes une référence.  La référence.

Pour vous, cette  mission passionnante accomplie, ce sera, en 1962, le retour à la Légion étrangère, aux confins sahariens cette fois-ci, comme capitaine commandant d’une compagnie portée du 4e Étranger.

Puis ce furent les temps de service et de responsabilités dans les états- majors et les unités, en Allemagne notamment,  entrecoupés de ce fameux  stage de deux années à l’École Supérieure de Guerre.

Désormais, breveté de l’enseignement militaire supérieur,  vous servez à nouveau en état-major, à Fribourg notamment.

En août 1978 ce sera  Djibouti. Vous y  prenez   le commandement de l’emblématique et mythique 13e Demi Brigade de Légion étrangère, cette phalange magnifique qui a été de tous les combats depuis Narvik et Bir-Hakeim. Pendant deux années,  vous faites preuve  de façon encore plus éclatante des qualités d’homme et de chef qui vous ont toujours été  reconnues.

L’aptitude opérationnelle de la 13e DBLE est alors au plus haut niveau. Les légionnaires sont fiers et heureux de servir sous les ordres  d’un chef prestigieux, un  soldat, très proche d’eux.  C’est avec le grade de Colonel, acquis depuis une année,  et la cravate de commandeur de la Légion d’Honneur que vous quittez la Corne de l’Afrique en 1980.

Les postes de responsabilités vont alors se succéder, tant à Lyon comme chef d’État-major de la 14e Division d’infanterie, qu’à Baden comme Chef de poste de la DPSD du 2e Corps d’Armée ou comme Directeur adjoint de cette même direction à Paris. Vos adieux aux armes eurent  lieu en 1988, à  Tours, après avoir commandé la 13e Division Militaire.


Les témoins de cette cérémonie se souviennent combien nombreux étaient vos compagnons d’armes de tous grades, venus souvent de fort loin pour témoigner par leur présence  la considération, l’admiration,  le  profond respect  mais aussi  l’affection en lesquels ils vous tenaient.

Alors que vous partez aujourd’hui, mon Général, pour  votre dernier bivouac, nous sommes nombreux à dire adieu à un grand soldat, Commandeur de la Légion d’Honneur, Grand officier de l’Ordre National du Mérite, une fois blessé, sept fois cité dont deux palmes.

Un grand soldat, un chef qui avait fait sienne au quotidien la devise de notre Légion étrangère « Honneur et Fidélité » et celle de la 13e DBLE «  More Majorum » .On a coutume de dire « Le tombeau des Morts est le cœur des vivants »alors sachez, mon Général, que vous vivrez toujours  dans le cœur de vos compagnons d’armes qui  ne vous oublieront jamais.  Adieu, mon Général. »

20161210 - Eloge funèbre du LCL Pierre Legris

20160703 - Éloge funèbre au Capitaine Dominique Bonelli.

 

Éloge funèbre prononcé par le général d’armée (2S) Bruno Dary Lors des honneurs militaires rendus dans la cour d’honneur des Invalides au Capitaine Dominique Bonelli grand officier de la Légion d’honneur - 10 citations Le 16 juin 2016

Mon capitaine, mon ancien, ou plutôt, mon cher Dominique,

Voici une petite quinzaine de jours, quand nous nous sommes vus pour la dernière fois, alors que la maladie vous empêchait de quitter votre foyer, vous m’avez demandé de prononcer votre éloge funèbre ! Le moment de surprise passé, et connaissant votre sens de l’humour inaltérable, je me suis permis de vous répondre, cette phrase devenue célèbre depuis le combat de Camerone :

« On ne refuse rien à des hommes comme vous ! »

Je ne peux vous cacher qu’initialement, je fus surpris que vous m’adressiez si simplement une telle requête, car voici presque 70 ans, lorsque vous décidiez de choisir la carrière militaire, je n’étais pas né et quand vous sautiez à Dien-Bien-Phu, je marchais à peine. Mais vous connaissant bien depuis presque 30 ans, je savais que n’étiez pas à un paradoxe près ! Oserais-je dire dans les circonstances d’aujourd’hui, que vous avez aimé manier le paradoxe, pour ne pas dire que vous fûtes l’homme des paradoxes !

Dans le livre qui vous est consacré, écrit par celle qui vous accompagna au soir de votre vie, votre compagnon d’armes, Roger Faulques, qui était du même métal que vous, n’hésita pas à écrire en tête de la préface : « A un élève de la promotion « Hamacek » qui me demandait lors d’un amphi à Coëtquidan, quelles devaient être les qualités premières d’un officier, je répondis sans hésitation l’orgueil et l’indiscipline ! Et Roger de poursuivre : « l’orgueil d’appartenir à une communauté particulière, qui exige de ses membres un dévouement total et une recherche continuelle de l’excellence, l’orgueil qui permet de rester digne et droit dans les épreuves ; et l’indiscipline, non comme un mode de comportement normal et habituel, mais comme l’expression d’une révolte contre les compromissions et la lâcheté » , puis de conclure : « Dominique Bonelli a pleinement mis en pratique ce précepte que d’aucuns qualifieront de subversif. »

Sans doute, avez-vous reçu ce goût du paradoxe de votre sang corse ? D’une grand-mère, Jeanne, qui n’hésita pas à mettre votre maman au monde, seule, dans la chaleur caniculaire d’un mois d’août, sur le bord d’un mauvais chemin, alors qu’elle revenait du marché pour rejoindre son village de Piétrosella ? Sans doute, l’avez-vous reçu aussi de votre père, Jean-Pierre, qui devança l’appel des armes en 1915, connut l’horreur des tranchées, l’humiliation de l’internement, la fierté de l’évasion, puis l’ivresse de la victoire ; lui, qui connut aussi les grandeurs et servitudes d’une carrière militaire, l’engagement dans la 2e Guerre Mondiale, les contraintes de la vie militaire, la satisfaction de devenir officier par son travail personnel et le bonheur de voir ses deux fils, Toussaint et vous-même, suivre ses pas.

Car vous avez tout juste 20 ans, quand, contrairement au chemin qui s’ouvrait naturellement devant vous, vous refusez de préparer Saint-Cyr, pour vous engager au 1er Bataillon de Choc et rejoindre au plus tôt l’Indochine. Durant deux années, à la tête de votre section de parachutistes, vous serez de tous les combats, avec le 8e Groupement de Commandos Parachutistes, qui deviendra quelques mois plus tard le 8e Bataillon de Parachutistes Coloniaux,sous les ordres du capitaine Tourret ! Ces combats trouveront leur apothéose, ou leur paroxysme, dans la cuvette de Dien-Bien-Phu, où vous êtes parachuté lors de l’opération Castor en novembre 1953 et où vous vous battrez jusqu’à la dernière cartouche. Comme vos compagnons d’infortune, vous connaitrez alors durant plusieurs mois l’humiliation des prisons vietminh, la souffrance de la faim et l’exténuement des marches interminables. La fin de ce calvaire et la joie de retrouver la liberté et le monde civilisé seront ternis par l’annonce de la mort au combat de votre frère aîné, Toussaint, quelques mois plus tôt à la tête de sa section, dans les combats de Dong-Trieu.

Et puis, à peine sorti de l’enfer de la jungle, avec vos cinq citations et la Légion d’Honneur, vous restez fidèle à votre goût pour le paradoxe et vous demandez à rejoindre le 1er Régiment étranger de Parachutistes, le 1er REP, que vous avez côtoyé à plusieurs reprises dans les durs combats indochinois et surtout dans la cuvette de Dien-Bien-Phu.

C’est dans les rangs de ce bataillon, devenu régiment, que vous connaitrez les heures les plus fulgurantes de votre carrière militaire. Vous, le guerrier dans l’âme, vous serez à la fois commandé et obéi par des hommes de votre trempe : comme l’écrira plus tard votre premier commandant de compagnie, Hélie Denoix de Saint-Marc : « Nous n’avions connu que la guerre depuis notre adolescence ; elle était devenue, sinon une habitude, du moins un ennemi familier ; le REP était une communauté fermée, avec ses coutumes et ses références, où les émotions étaient bannies !»

Heureusement, pour votre équilibre humain, le commandement vous accordera le temps de rencontrer et d’épouser Annie, qui vous donnera deux filles, Monique et Chantal et qui vous permettra de sortir, rarement sans doute, de ce monde austère, fermé et exigeant des troupes d’assaut. Votre état de digne enfant de la Corse vous fera sans doute regretter de n’avoir pas eu un fils, ne serait-ce que pour garder le nom ! Mais par fierté et par amour, ce regret restera un secret profondément caché !

Comme chef de section, puis comme capitaine commandant de compagnie, vous participerez pendant plus de 6 années, à la plupart des combats que le régiment conduira, d’abord sous les ordres du colonel Brothier, puis sous celui d’un chef légendaire, à l’image du régiment, le lieutenant-colonel Jeanpierre : vous serez engagé dans la bataille d’Alger, puis à Guelma, dans les Aurès, puis aux frontières ! Vous n’arrêterez pas, sauf lorsque vous serez grièvement blessé à l’épaule, au cours du même accrochage où le Lcl Jeanpierre perdra la vie ! Les succès tactiques succèdent aux succès tactiques, si bien que le combat devient presque une compétition, pour le régiment, pour ses cadres comme pour ses légionnaires. Mais cette aventure captivante, et même enivrante, qui vous accapare corps et bien, vous perdra corps et âme et se terminera dans les larmes. L’Algérie qui vous a vu naître, grandir et vous battre, cette terre que vous avez passionnément aimée, sera aussi votre terre de perdition ! Aux ordres de votre chef, le commandant Denoix de Saint-Marc et à la tête de la 4e Compagnie, vous participez au putsch. Après l’échec de cette « rébellion pour l’honneur », vous suivrez la même destinée que vos camarades : prison, condamnation, déchéance et perte de vos droits civiques. Votre goût habituel de cultiver le paradoxe se transforme en drame : vous, l’officier discipliné, vous êtes condamné pour votre rébellion ! Vous, qui avez fait du métier des armes un sacerdoce, vous êtes exclu des armées ! Vous, l’officier de la Légion d’Honneur aux dix citations, vous êtes dégradé ! Vous, qui étiez un capitaine reconnu, vous n’êtes plus rien !

Mais votre courage et votre optimisme l’emportent et vous vous lancez généreusement dans un monde nouveau pour vous, celui de l’entreprise et celui des affaires. Et, à l’instar de vos compagnons d’armes, même si vous gardez une blessure profonde au fond de l’âme, vous allez réussir dans cette nouvelle aventure ! Après quelques expériences plus ou moins heureuses, c’est à la CSF que vous ferez vos premières armes, notamment dans une fonction où tous les vôtres vont exceller, la direction du personnel ! Vous rejoindrez ensuite la CII, la compagnie Internationale pour l’Informatique comme chef de cabinet du président. Votre réussite au sein du Club des entreprises de l’informatique vous vaudront, en 1988, d’être promu Commandeur de la Légion d’Honneur.

Parallèlement à vos réussites dans le monde de l’entreprise, vous n’oubliez pas vos anciens compagnons d’armes et vous servirez pendant 20 ans comme secrétaire général de l’Amicale des Anciens Légionnaires ¨Parachutistes dont les membres sont venus nombreux aujourd’hui pour ce dernier hommage ! Cet attachement aux légionnaires parachutistes est votre manière à vous de vous rappeler les années passées au 1er REP. Malgré vos activités professionnelles, malgré la pratique de l’équitation ou du golf, malgré votre participation à de nombreux clubs, « des Meilleurs » aux moins connus, malgré le caractère souvent superficiel de la vie parisienne, vous ne regrettez rien, mais vous y pensez toujours ! Vous pensez toujours à vos combats, à vos légionnaires, à la vie simple et dure menée sur le terrain, à la fraternité d’armes forgée devant le risque, au fil des combats, à la mort, qui rode sans cesse et qui vous fait croire que vous êtes devenu invulnérable, tellement vous la côtoyée !

Dans cette vie civile, vous garderez toujours votre goût prononcé pour le paradoxe : vous étiez d’un naturel discret sur votre passé, mais vous aimiez bien être reconnu ! Vous étiez un homme d’honneur, mais vous n’étiez pas insensible aux honneurs ! Vous aimiez les relations vraies et profondes, mais la forme comme la manière de vous vêtir vous importaient aussi ! Vous vous méfiez du discours des hommes, mais vous aimiez bien parler et être écouté ! Pour vous, la fidélité avait un sens profond, mais vous appréciez aussi la présence et le charme des jolies femmes ! Vous possédiez une empathie naturelle, mais certains ne vous laissaient pas indifférent ! Mais, Dominique, c’est ainsi que tous ceux qui sont réunis aujourd’hui dans cette Cour d’Honneur, vous ont aimé et regrettaient votre absence quand vous ne pouviez pas être des leurs !

Et puis, en quelques mois, tout s’est accéléré : voici quelques temps, nous fêtions encore ensemble à la Saint-Michel. Et puis, nous vous avons vu arriver fatigué aux obsèques d’un camarade ! Puis, vous vous êtes excusé de ne pouvoir participer, pour la première fois, à l’Assemblée générale de l’Amicale ! Et puis, vous n’êtes plus sorti et vous receviez chez vous ! Et puis, vous vous êtes alité et, samedi dernier, vous avez sauté une dernière fois pour rejoindre Saint-Michel ! Votre départ nous rappelle ces paysages sublimes de la Corse, lorsque l’on voit le soir monter du fond de la vallée et chasser lentement les derniers rayons du soleil, accrochés aux sommets des montagnes ; votre étoile s’est éloignée, s’est élevée et nous a quittés !

Dominique, sachez surtout que nous garderons de vous l’amour qui vous animait : l’amour de la vie, de ce qui bouge et de ce qui vit, l’amour de l’insolite et de l’aventure, l’amour de vos camarades et de votre famille, l’amour de la Corse et de la France, l’amour du courage et de l’audace ! Et peut-être plus que tout cela, l’amour du métier des armes, de vos légionnaires et de vos combats ! Et au moment, où nous vous disons « A Dieu », nous reviennent dans le cœur, ces vers de Péguy :

« Mère, voici vos fils, qui se sont tant battus !
Qu’ils ne soient pas jugés sur leur seule misère !
Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre
Qui les a tant perdus et qu’ils ont tant aimée !

20160205 - Eloge funèbre du Capitaine Guy Branca

 

 

Mon Capitaine,

Voici venue cette heure que j'espérais ne jamais devoir vivre. Celle de vous dire au revoir.

Ah c'est une longue route commune qui s'achève aujourd'hui. Elle a débuté il y a 62 ans. Dans l'ambiance guerrière du dernier Camerone de Paix à Sidi Bel Abbès, où les pensées se tournaient vers ceux qui luttaient à Diên Biên Phu, vous fêtiez votre retour d'Indochine et votre affectation au 3ème BEP à Sétif.

Enfant de Tiaret en Oranie, né dans un milieu universitaire, vous aviez choisi le métier des armes. La Corniche Weygand au Lycée Bugeaud à Alger vous voit préparer Cyr.

Reçu en 1946, des soucis de santé vous retardent d'un an. Vous serez de la « Rhin et Danube 47-49 ». A la sortie de l'EAI, en tête de promo, vous choisissez la Légion. A bon ouvrier, bon outil. Vous ne serez pas déçu.

Première affectation. Le Keff en Tunisie, au 6ème REI, avec pour patron, le colonel Babonneau, personnage folklorique, Compagnon de la Libération. Vous retrouverez Babonneau à Sétif et Télergma 5 ans plus tard.

C'est le départ pour l'Indochine. Vous débarquez à Haïphong le 26 juin 1951 et vous êtes affecté au célèbre régiment du Tonkin, au III/5ème REI, bataillon en formation. En octobre 1952, le commandant Dufour, futur chef du 1er REP., en prendra le commandement. Vous vous ennuyez un peu à Tîen Yên, en bordure de la Mer de Chine, puis très vite le III/5 devient l'une des grandes unités d'intervention du Corps expéditionnaire. Avec lui vous êtes au Mont Bavi, sur le Day, dans le Delta. Toujours en octobre 1952 vous êtes aérotransporté à Na San. Vous allez être des gros combats de novembre décembre, à la tête de la 9ème compagnie. De ces engagements, vous tirez de riches enseignements sur la rasance des champs de tir et l'emploi des mines.

En 1953, vous êtes au Point d'Appui de la Plaine des Jarres, sur la Rivière Claire et le Delta.

Volontairement vous prolongez votre séjour de 6 mois et vous n'embarquez à Saïgon que le 5 janvier 1954.

Vous quittez l'Indochine avec la Légion d'Honneur, une blessure à la jambe gauche – 4 citations dont deux à l'ordre de l'armée, et la croix de la vaillance Vietnamienne.

Plus encore, vous pouvez arborer à titre personnel, la fourragère aux couleurs de la croix de guerre des T.O.E. C'est dire que vous étiez présent au corps lors des combats

qui ont valu à l'unité 2 citations à l'ordre de l'Armée.

De l'une de vos citations, il me semble encore entendre celui qui était à l'époque le Commandant Le Testu, présent lui aussi à Na San, dire : « Cette citation là, il ne l'avait pas volée ». Durant de longs moments vous aviez du ramper dans un champ de mines pour aller relever un légionnaire blessé. Il vous avait fallu neutraliser plusieurs mines pour vous ouvrir un chemin.

Ayant rejoint Sétif, le 18 septembre 1954, je vous retrouve peu après revenant d'El Outaya près de Biskra. Là, il suffit de vous observer pour apprendre le métier d'officier de Légion.

Le 1er novembre 1954 la guerre d'Algérie débute. Cette guerre vous allez l'entamer dans les rangs du 3ème BEP qui fin 1955 s'intègre au 2ème BEP pour devenir 2ème REP. Vous la mènerez trois ans comme chef de section – un métier à hauts risques - . Promu capitaine, le 1er avril 1958 vous prenez le commandement de la 2ème compagnie en août 1958.

Une belle compagnie cette 2ème Compagnie. Une palme au fanion obtenue à Ba Cum le 1er avril 1950 sous les ordres du lieutenant Cabiro. D'août 58 à avril 1960, j'aurai l'honneur d'y être votre adjoint.

En août 1960, vous passez la compagnie au capitaine Pouilloux et vous devenez chef d'Etat-major. Vous retrouverez la 2, Pouilloux et son adjoint blessés au Chélia le 2 décembre 1960, vous en reprenez le commandement durant quelques heures sur le terrain.

Cette guerre de chef de section et de commandant de compagnie vous apporte 7 citations dont 3 à l'ordre de l'Armée, la rosette d'officier de la Légion d'Honneur qui vous est remise par le général Gilles le 30 avril 59 à Souk-Ahras.

Votre première citation vous la méritez dans la chaleur estivale de l'Aurès en août 1955 – Devant la lourdeur des grandes opérations coups de marteau stériles, vous innovez. Au passage d'un fond de chabet vous sautez de votre GMC avec une poignée de légionnaires. Camouflés dans la broussaille vous attendez le client. Votre attente ne sera pas déçue.

Après vous hantez tous les hauts lieux du régiment : Aurès, Némentchas, Tébessa, Guelma, Souk-Ahras, la frontière Tunisienne, petite Kabylie...

Au cours de ces combats, toujours à l'avant, vous êtes blessé trois fois : le 18 décembre 1957 à l'Hamimat-Guerra touché par balle et éclat de grenades, le 13 février 1960 dans les Ouled Askeur, secteur de Djidjelli.

Nous sommes atteints par la même balle qui, après avoir blessé mortellement le légionnaire Riedel me laboure le cuir chevelu et vous brise des dents.

Blessé à nouveau une semaine plus tard, toujours dans le même secteur des Ouled Askeur – Après une quinzaine de jours à l'hôpital, la blessure pourtant mal cicatrisée, la 2ème compagnie vous revoit.

Chef d’État-major à l'automne 1960, vous êtes la cheville ouvrière du régiment qui sur le terrain s'actionne en EMT commandés par le Commandant Cabiro, le capitaine Amet et parfois par vous même.

C'est l'heure où le chef de corps écrit dans vos notes « Personnifie l'élite des capitaines ».

Une belle carrière vous attend. Vous êtes de ceux promis à commander le régiment et à obtenir les étoiles.

Le « Clash » que nous attendions sans trop y croire surprend le régiment à Philippeville au matin du 22 avril 1961.

Nous partions en opération dans les Guerbes. Durant la journée les esprits s'échauffent et veulent s’engager. Vous maintenez l'unité du régiment qui entraîné par ses capitaines part pour Alger le 22 au soir, le Colonel s'étant retiré sous sa tente. Le plus ancien, le capitaine Amet se dévoue et prévient le Commandant Cabiro, Commandant en second, qui décide de suivre le mouvement. Cabiro et Amet nous rejoindrons à Sétif.

Après des heures chaudes à Maison-Blanche, c'est l'échec. Le pays, las de la guerre qui lui prend ses fils, a renoncé à l'Algérie Française.

Le 3 mai, nous sommes 5 à quitter définitivement le régiment. Cabiro, Amet, Devousges, vous et moi. Maison-Carrée, les Forts de Nogent et de l'Est, Fresnes nous attendent.

Le 21 juillet le verdict tombe Amet, Branca, Montagnon, un an de prison avec sursis. Le 22 août, nous sommes remis à l'Etat-civil en qualité de 2ème classe.

Pour vous, l'enfant de Tiaret fidèle à sa terre natale, rien n'est encore totalement perdu. Vous prenez les contacts voulus. Le 18 septembre, la Tramontane du SDECE parti de Persan Beaumont, nous ramène à Alger via Perpignan.

Une autre vie toujours consacrée à la défense de l'Algérie française s'annonce. Quelques jours après notre arrivée, le général Salan vous nomme Commandant du secteur d'Alger-Centre avec mission de défendre tous ceux qui veulent rester français.

Sans distinction d'origine. Vous l'avez rappelé lors de votre procès. Vos parents vous ont élevé avec pour frère Kaïd Ahmed qui se dresse aujourd'hui contre la France sous le nom de commandant Slimane.

La clandestinité use – La mort, l'arrestation guettent. Des camarades sont arrêtés, le Capitaine Le Pivain est abattu le 7 février 1962. Chaque jour l'horizon s'assombrit.

Début mars, devant les risques du moment et les incertitudes du lendemain, vous me déclarez : « J'ai rendu sa parole à ma fiancée ». La fiancée, Jocelyne – c'est vous. Evidemment vous n'en ferez rien et vous l'attendrez.

Dans la nuit du 27 au 28 mars, un train chauffé clandestinement par les C F A, nous conduit direction l'Ouarsenis. Et c'est là, à Aïn Sultane, petit village du Chéliff que nous allons nous séparer. Dans la Jeep du Capitaine Arfeux, en tenue de simple légionnaire, vous partez pour Sidi Bel Abbès où des concours sont annoncés. Il n'en sera rien et le maquis de l'Ouarsenis qui se voulait une poche française échouera.

De retour à Alger vous échappez par miracle à l'opération contre l'immeuble du Telemly au cours de laquelle est arrêté le Lieutenant Degueldre. Après quoi vous partez sur l'Oranie pour tenter de rallier d'ultimes bras.

Si le cœur dit oui, la raison dit que malheureusement la cause est perdue. Le bon accueil général qui vous est réservé n'est pas suivi d'effet. Vous échappez là encore par miracle à une embuscade du FLN, et au génocide du 5 juillet à Oran. Le 6 juillet en tenue d'officier de marine, vous quittez à jamais l'Algérie sur un bâtiment de la Royale.

Débarqué à Toulon, vous vous noyez dans la foule des rapatriés et après un bref séjour en Corse, une filière des Anciens du bataillon de choc de Roger Camous vous mènera en Afrique du Sud.

Là il vous faudra vivre. Vous trouvez emploi, modeste au départ, dans une filiale du Carbone Lorraine. En quelques années vous passerez de « sixième balayeur » à celui de Directeur. Témoignage de l'estime qui vous entoure, lorsque vous partirez, il vous sera donné votre voiture de fonction, une magnifique Mercedes blanche. Seul défaut son volant à droite.

Entre temps, Joselyne a pu vous rejoindre et vous avez pu vous marier. Par deux fois une première fois sous votre nom d’emprunt. Une seconde sous votre identité réelle après les mesures d'amnistie.

La retraite venue, vous plantez votre guitoune à Orange. Le soleil du midi vous rappelle un peu celui d'Algérie.

Avez-vous une retraite heureuse ? Je crains que non. Le passé vous suit par trop. L'Algérie, votre terre natale. L'Armée, votre Vocation. La Légion, le cadre où vous avez pu vous épanouir. Accroché à ce passé, vous êtes un fidèle des Anciens de la Corniche Weygand, des cérémonies militaires à Orange, à Aubagne à Calvi.

Vous n'oubliez rien. Chaque année le 6 juillet, le chrétien que vous êtes fait célébrer une messe au Barroux pour le Lieutenant Degueldre.

Peut-être vos satisfactions proviennent elles de votre cravate que le Père Casta vous remet à Calvi le 25 juillet 2004 et de la plaque de Grand-Officier de la légion d'Honneur reçu à Aubagne en juillet 2012.

Il vous a manqué quelques mois. La promotion proche vous aurait apporté le Grand Cordon, bien mérité avec 15 titres de guerre, 16 si l'on compte la croix de la Vaillance Vietnamienne (12 citations – 4 blessures).

Mais déjà la maladie vous frappait. A Aubagne, en juillet 2012 vous avez du faire grand effort pour rester digne et droit. Vous ne pouvez plus guère quitter votre domicile et il ne vous est plus possible chaque été de vous rendre à Bocagnano votre village corse. Heureusement Jocelyne veille sur vous mais, que d'heures douloureuses pour elle. Quelle soit, par ma voix, au nom de tous mes camarades, remerciée pour tout ce qu'elle a fait pour vous jusqu'au bout.

Capitaine Branca, vous étiez un soldat homme de courage, et un chef, homme d'autorité. Vous étiez aussi beaucoup plus. Homme de culture, passionné d'Histoire, vous ne cessiez d'enrichir vos connaissances. Vous possédiez une langue très pure avec un vocabulaire précis du sûrement à vos parents universitaires.

Votre imagination sans cesse en éveil recherchait constamment les meilleures solutions aux problèmes qui se posaient à vous. La 2ème compagnie partait toujours allégée dans une guerre qui se voulait très mobile. Vous aviez appris à vos cadres l'usage des mines, combien utiles pour les longues embuscades de nuit. L'hélicoptère était le moyen de transport que vous dominiez. Avec vous, que de posers d'assaut au plus près !

Votre intelligence vive vous permettait de voir loin. Il me souvient de ce jour, c'était avant avril 1960 où vous évoquiez déjà le moment où vous devriez défendre vos compatriotes par d'autres moyens.

Ah, certes, vous aviez parfois le contact difficile voire vindicatif – votre sang corse peut-être ?

Malheureux sergent que vous avez entendu un jour dire à ses légionnaires : « Allez rassemblez-vous, faites-moi plaisir ». Ce ne sont pas là ordres d'un chef. Mais derrière cette carapace parfois rugueuse et votre exigence de service, se cachait un homme de cœur, à grande chaleur humaine.

Sans doute aviez vous fait votre le précepte de Saint Exupéry : « Aimez ceux que vous commandez mais sans le leur dire ». Ceux-là vous le rendaient bien. Ils vous aimaient et vous admiraient, sachant que vous payiez de votre personne, toujours en tête à l'heure des assauts.

Ils connaissaient aussi votre Honnêteté profonde, préférant l'Honneur aux honneurs.

C'est fini. Vous allez nous manquer, oui vous allez nous manquer. Mais quel magnifique exemple d'honneur et de fidélité vous nous laissez.

Mes respects, mon Capitaine.

Capitaine Pierre Montagnon

Pévisions d'activités