1892 - 1893 - Les premières années de Diego Suarez - 1892 - 1893 2 - une ville qui grandit.

22 juillet 2015

La vile basse et le quartier militaire en 1893

Alors que les tensions se multiplient entre les français de Diego Suarez et les merina du fort d’Ambohimarina, la population et les activités de Diégo ne cessent de croître et les voyageurs s’étonnent de la transformation du petit village de 1885 en une ville de plusieurs milliers d’habitants

 

Une population en forte augmentation dans tout le Territoire

 

En 1892, dans la Revue de la Société de Géographie de Marseille, le voyageur Marius Chabaud s’étonne de cette croissance rapide : « En 1885, Diego Suarez ne renfermait qu’une soixantaine de porteurs et de pêcheurs sakalaves ; depuis notre prise de possession, une population assez nombreuse est venue se grouper sous notre pavillon et, actuellement, il y a environ 10 000 habitants sur notre territoire dont 500 européens, 1 000 hommes de garnison, 1 500 créoles de La Réunion et de Maurice ; le reste est composé de Malgaches, Anjouanais, Indiens de Bombay, Malabars, Sakalaves, Grecs de Port-Saïd, etc. ».

 

Place de la Douane dans la ville basse

 

Augmentation de la population dans le territoire français mais aussi dans la zone contrôlée par le Gouverneur d’Ambohimarina : « Le poste Hova d’Ambohimarine (sic), à proximité de notre territoire, a profité de cette prospérité; sa population a passé de 400 habitants en 1885 à 5 000 en 1891 ».

Le savant De Kergovatz, qui débarque à Antsirane en juin 1892, donne des chiffres à peu près semblables (et aussi peu attestés puisqu’aucun recensement n’a été fait) : « de la ville actuelle, il n’existait rien il y a sept ans, rien qu’une dizaine de huttes sur le rivage où vivaient une quarantaine de Malgaches, pêcheurs et pasteurs semi-nomades avec leur famille. Aujourd’hui Antsirane compte plus de 5 000 âmes, sans la garnison qui est d’un millier d’hommes; l’ensemble de la colonie est peuplé de près de 15 000 habitants, et tout y donne l’impression d’un pays en pleine voie de croissance et de prospérité »

 

Où résident ces 15 000 habitants ?

 

Surtout à Antsirane, comme nous venons de le voir ; à Cap Diégo aussi, où se trouve une partie de la garnison. Beaucoup d’agriculteurs, malgaches ou réunionnais sont groupés dans la plaine d’Anamakia autour de la grande usine de la Graineterie française ; les autres s’échelonnent depuis la plaine de la Betaïtra jusqu’à la montagne d’Ambre.

 

Une ville en train de se construire

 

Le chiffre des habitations varie énormément d’un observateur à l’autre, ce qui peut se comprendre compte-tenu de l’aspect hétéroclite des habitations dont beaucoup ne sont que de simples huttes de paille. Chabaud, en 1892 parle de 390 maisons et 452 cases malgaches pour Antsirane ; de 36 maisons et 57 cases pour Cap Diégo; enfin, d’après lui, Anamakia renferme 12 maisons et 600 cases. En ce qui concerne Antsirane, le chef-lieu du Territoire, la ville, enserrée dans 4 hectares marécageux au bord de la baie de la Nièvre, commence à s’étendre sur le plateau où est déjà installé le quartier militaire. « La ville est divisée en trois parties bien distinctes: la ville basse ou cirque d’Antsirane, le plateau et le quartier militaire » (De Kergovatz). Si la ville basse regroupe encore la quasi-totalité des commerçants : « Les commerçants français, indiens, grecs, italiens, se sont installés côte à côte le long des trois ou quatre rues qui aboutissent au quai et à la place de la Poste », le plateau, où il était interdit autrefois aux civils de construire, est en train de se transformer : « C’est un véritable étonnement de voir s’étendre sur ce plateau presqu’à perte de vue toute une autre ville, aux larges rues, se croisant à angles droits, où déjà alternent avec les cases primitives de belles maisons en pierre ou en bois ayant leurs vérandas supportées par d’élégantes colonnes ». Et il ajoute: « Partout des maisons en construction; j’en ai compté plus de vingt le long d’une seule avenue ».

 

La rade en 1893

 

Du côté d l’Administration, on commence aussi à s’installer. Les militaires sont à peu près bien logés, sur le plateau, avec les « cases Maillard » préfabriquées, importées de France. En 1892, on peut lire, sous la plume du délégué de Diego Suarez, Henri Mager : « Le développement des casernes de la colonie est considérable ; sur le plateau d’Antsirane ont été construits les quartiers de l’artillerie et les quartiers de l’infanterie, avec, en avant, plus au sud, les casernes des tirailleurs ; au Cap Diégo sont les disciplinaires, les bâtiments de l’hôpital militaire et le cimetière militaire. L’ensemble de ces constructions a coûté plus de 5 millions de francs [plus de 16 millions d’euros NDLA] et il s’y trouve réuni plus d’un million de matériel ».

Les civil sont moins bien traités : le journal de Tamatave Le Madagascar, dans son numéro du 11 mars 1893, annonce que « On va incessamment entreprendre la construction de plusieurs édifices, notamment d’une Direction de l’Intérieur ». Il s’agit sans doute d’un bâtiment en dur (la Résidence du gouverneur) puisque la Direction de l’Intérieur existe déjà : il s’agit d’un bâtiment en bois qui n’aura pas une longue durée d’existence puisqu’il sera détruit par le cyclone de 1894 ! Le village malgache, lui, est installé à la place Kabary. De Kergovatz en donne une description : « Chaque case est entourée d’une palissade qui l’isole des cases voisines. Cette disposition a été exigée par un arrêté de police en vue d’empêcher la propagation des incendies ». C’est dans une de ces cases que résidera Kergovatz, puisqu’il n’y a pas encore d’hôtel à Antsirane. Il la décrit comme « une maisonnette de roseaux, à travers lesquels je passe facilement le bras » mais qui est fermée par une porte de « deux pouces d’épaisseur »!

Des activités réduites
Dans cette ville en développement, les activités sont essentiellement consacrées au commerce.

 

Le commerce

 

Le commerce extérieur d’abord, avec le mouvement du port, assez actif. Marius Chabaud nous en donne une idée : « Diego Suarez est en relation avec la France par le paquebot mensuel qui dessert Maurice, La Réunion, Tamatave, Sainte-Marie, Nossi-Be et Mayotte. Le mouvement du port comporte une centaine de navires à l’entrée et autant à la sortie ». Mais l’activité du port est freinée par la difficulté à entrer dans la rade pendant la saison des alizés et par le manque de débarcadère. Il manque aussi un phare, puisqu’aucun n’existe encore. L’accès de la baie est donc interdit après le coucher du soleil. Aussi, comme le raconte Chabaud, les bateaux à vapeur qui se présentent tardivement sont « obligés de louvoyer toute la nuit ». Quant aux voiliers, ils sont parfois bloqués plusieurs semaines dans la baie car il n’y a pas de service de remorquage qui leur permettrait de sortir malgré les vents et les courants contraires.

Mais le mouvement du port se résume surtout au service des voyageurs et aux importations qui, d’après les bureaux de l’Intérieur, représentent environ 1 million par trimestre [3 270 000 euros NDLA]contre 200 000 ou 300 000 francs à l’exportation. Ces importations consistent en fers et métaux, tissus, riz et alcools. Cependant, depuis la création des usines de la Graineterie française à Anamakia, les exportations (de conserves de bœuf) ont énormément augmenté.

En ce qui concerne le commerce local, si les commerçants sont nombreux, ils vendent pour la plupart... de l’alcool. Tous les observateurs déplorent « le nombre étonnant de débits de boissons alcooliques qui pullulent dans toute la ville » et Kergovatz ajoute que « Les vins, bières, cognacs, liqueurs, rhums, entrent pour plus d’un tiers dans le total des importations, et plus de la moitié des commerçants d’Antsirane tiennent des cafés ou des débits ».

 

L’industrie

 

Elle est à peu près uniquement représentée par la grosse usine de conserves de bœuf qui a été créée à Anamakia et qui emploie, plus ou moins directement 12.000 ouvriers. Quant aux Salines, créées l’année précédente, elles n’ont pas commencé à fonctionner.

 

L’agriculture

 

Le Camp malgache Place Kabary

 

Le ravitaillement de Diego Suarez pose problème. Aussi, le Gouverneur Froger fait-il tout son possible pour faire venir des cultivateurs, essentiellement de La Réunion. En 1893, H. Mager, délégué de Diego Suarez au Conseil supérieur des colonies, envoie la note suivante : « La Chambre a voté un crédit de 50 000 francs [163 500 euros NDLA] destiné à favoriser l’émigration vers notre jeune colonie de Diego Suarez. Un égal crédit se trouve inscrit au budget de 1894. Seuls les cultivateurs peuvent obtenir une part de ces libéralités ». Les candidats à l’émigration doivent adresser aux autorité un certificat de culture et, s’ils sont agréés, l’administration leur accorde, à leur arrivée à Diego Suarez « une concession de terre à titre gratuit, des outils, des semences et des vivres pendant quelques mois si c’est nécessaire ; il a même été question de leur donner une case et une vache laitière ».

D’après le journal Le Madagascar du 15 décembre 1892 « de nombreux colons sont venus de France, et de La Réunion surtout, pour fonder des exploitations agricoles. Le sol n’est pas ingrat, il produit de tout, moyennant un faible travail. Maïs, riz, tabac, café, fruits et légumes de toutes sortes et de tous les climats. La vigne et le fraisier commencent à s’y multiplier, la pomme de terre donne un rendement presque égal à celui de France...». Tableau idyllique qui ne correspond pas vraiment à la réalité, de sorte que beaucoup de colons, déçus, repartiront plus pauvres qu’ils n’étaient venus.

Mais, d’après Le Madagascar, la faute n’en est pas aux hommes ni à Dame Nature mais au...manque de routes. En effet, Antsirane est une île : passé l’octroi, il n’y a plus de route. Aussi, si l’on en croit le journal de Tamatave, « lorsque les produits de l’agriculture arrivent à Antsirane, grevés de frais énormes, souvent avariés, le bénéfice du colon se trouve fort réduit ».

De fait, le crédit de 100 000 francs, voté par un amendement du budget des colonies et obtenu par le député de La Réunion François de Mahy (qui, en 1892, a rendu visite aux 300 créoles réunionnais d’Antongombato qui travaillent pour la Graineterie française) est destiné aux routes. En effet, le manque de routes fait partie des problèmes d’infrastructures qui se posent en 1892-93 aux autorités de Diego Suarez, problèmes qui mettront des années à trouver une solution... quand ils trouveront une solution !
(A suivre)

■ Suzanne Reutt

1892 - 1893 - Les premières années de Diego Suarez - 1892 - 1893 3 - Médailles... et revers !

1 août 2015

Le service de la baie d'Antsiranana

 

En même temps que la population s’accroît, les structures administratives, culturelles et sociales de Diego Suarez vont connaître, à partir de 1892, un essor important, qui va améliorer la vie quotidienne des habitants d’Antsirane. Mais beaucoup reste encore à faire...

 

Les structures administratives

 

Dans cette ville qui n’a pas encore 10 ans d’existence, la plupart des édifices publics ont vu le jour, même s’ils offrent encore, pour la plupart, un aspect plutôt rudimentaire. Déjà Antsirane dispose de bâtiments pour l’administration : direction de l’intérieur, hôtel du gouverneur. Ce bâtiment, qui n’est pas la Résidence du bas de la rue Colbert que nous connaissons, est situé en face de la résidence du Commandant supérieur des troupes dans le quartier militaire : grosses bâtisses carrées au toit à quatre pans, ils sont toujours là, l’un et l’autre, en face et à côté du Cercle Mess. On a également créé des écoles, une trésorerie, un bureau de poste, un hôpital (à Cap Diego), une église, un tribunal, une prison, un atelier des travaux publics et même, une Caisse d’épargne installée par un décret du 2 octobre 1892.

Par ailleurs, l’isolement du Territoire va se faire moins gênant du fait du développement – hélas relatif – des communications avec l’extérieur.

 

Les communications : du mieux... et du moins bon.

 

Les bateaux

 

En ce qui concerne les relations avec la France et les autres pays de l’Océan Indien, le trafic maritime se développe régulièrement : le port est visité plusieurs fois par mois par des paquebots des Messagerie Maritimes et de la Compagnie Havraise de navigation et par un bateau qui fait le service direct avec Maurice. En effet, depuis 1888, la Compagnie des Messageries Maritimes a établi, par accord avec le ministère français des Affaires étrangères, des dessertes locales incluant Diego Suarez. La ligne de la côte orientale d’Afrique, la ligne V, qui a été créée en 1888, part de Marseille et fait escale à l’aller à Port-Saïd, Suez, Obock, Aden, Zanzibar, Mayotte, Nossi-Be, Diego Suarez, Sainte-Marie, Tamatave, La Réunion, Maurice ; au retour : La Réunion, Tamatave, Sainte-Marie, Diego Suarez, Nossi-Be, Majunga, Mayotte, Zanzibar, Djibouti, Suez, Port-Saïd, Marseille. Le paquebot des

Messageries Maritimes part de Marseille le 12 de chaque mois et arrive à Diego Suarez le 5 du mois suivant. Quant aux bateaux de la Compagnie Havraise Péninsulaire, partant du Havre le 10 de chaque mois, ils arrivent à Diego Suarez après escale à Bordeaux et à Marseille. En fait, en l’absence de routes intérieures les navires de la Compagnie assurent une sorte de cabotage entre les villes de Madagascar. Transportant des passagers et des marchandises, ils assurent aussi le transport du courrier (ils sont subventionnés par l’État français pour cette mission postale) et sont généralement appelés localement, et quel que soit leur nom, « le Courrier » ou « la Malle ».

Ce mouvement du port permet à un Antsiranais d’écrire : « Depuis quelque temps, notre rade offre en petit le spectacle d’un port de Marseille [...] Une véritable forêt de mâts coupe l’horizon ». Mais il ajoute, et déplore que « ce sont des mâts de boutres battant pavillon rouge. Qu’il en est arrivé de ces marchandises anglo-indiennes et de cette camelote allemande !»

Cependant, la desserte de Diego Suarez par de nombreux navires a pour avantage - en dehors de l’ouverture sur le monde qu’elle procure- d’aider au développement du Territoire par l’afflux de clients, venus des régions avoisinantes qui ne sont pas en rapport avec l’extérieur. C’est ce que constate le voyageur Chabaud en 1893 : « Les Antankares [sic] forment un groupe d’une dizaine de milliers d’individus, qui ne peuvent se pourvoir qu’à Antsirane de tissus, de liqueurs, de quincaillerie etc. Enfin, les habitants des riches plaines de Vohémar commencent à envoyer leurs produits vers nos établissements et à venir y acheter des marchandises d’importation dont ils ont besoin, car le paquebot ayant cessé de toucher Vohémar, ce port ne se trouve plus en communication avec Maurice que pendant la mousson du sud-est.» Et il ajoute que ce commerce devra « évidemment se développer à mesure que les communications avec l’intérieur deviendront plus faciles » ...ce qui n’est pas encore le cas.

 

Les routes

 

En effet, Antsirane manque cruellement de routes. C’est ce que constate le savant Kergovatz en 1892 : « Des colporteurs, que les commerçants français commencent à employer, à l’exemple des Indiens, vont porter la toilerie, la quincaillerie, la verrerie débarquées à Antsirane jusqu’à 25 lieues dans l’intérieur, et rapportent en échange, de l’écaille, du caoutchouc, de l’ambre gris, du copal et des piastres [...] Chaque mois, à la suite du facteur de la Résidence Générale qui vient apporter et chercher la poste à Antsirane, tout un convoi de Sakalaves arrive ici, et se fournit de marchandises diverses. Malheureusement, en l’absence de routes carrossables, il faudrait organiser, pour développer ce commerce, des convois réguliers de bœufs porteurs ». Et Kergovatz ajoute que le gouverneur du fort militaire merina d’Ambohimarina s’était même associé à un négociant français pour organiser ces convois...a vant que les relations ne se détériorent entre français et merina ! En fait, Antsirane est totalement enclavée, vers l’intérieur, du fait du manque de chemins carrossables et les voyageurs doivent circuler en filanzane (chaises à porteur) dès qu’ils sortent de la ville. Mais l’administration de la ville, qui ne reçoit pratiquement pas de subventions pour les civils, n’a pas les moyens de construire des routes. Aussi, en 1893, le député de La Réunion, François de Mahy, se battra avec succès pour obtenir de l’Assemblée Nationale une augmentation de 100 000 francs du budget accordé à Diego Suarez pour construire des routes et éclairer la rade.

 

La voie ferrée : rêves et réalité

 

Cependant certains points de la colonie sont déjà accessibles par le rail, plus précisément par des voies de chemin de fer Decauville. Partant des quais une voie étroite grimpe au quartier militaire et se poursuit sur 8 km jusqu’au pied du fort de Mahatsinjoarivo (au-dessus de l’actuel aérodrome d’Arrachart) alors occupé par les tirailleurs sakalaves ; une autre dessert la Graineterie française, l’immense usine que l’on vient de construire à Antongombato. Cette seconde voie part de l’embarcadère de la rivière des Makis et remonte la vallée sur 9 km : elle est parcourue par la petite locomotive « La Mignonne » qui, avant d’être mise en service à Diego Suarez, promenait les visiteurs parisiens de l’exposition de 1889 (elle se trouve encore aux Salines, en pièces détachées qui atendent une bonne volonté pour être restaurées). Mais, en ce qui concerne les voies ferrées, l’année 1892 voit naître un projet beaucoup plus important. Ce projet, qui paraît dans le journal de Tamatave Le Madagascar est l’œuvre de l’agent-voyer de Diego Suarez, qui est également défenseur auprès du Tribunal. D’après Le Madagascar, ce monsieur, M. Rives, a été directeur civil de la ligne ferrée du

Soudan français. Quant à son projet, il le formule ainsi : « Projet de navigation et de transports par chalands pour desservir les Baies de Diego Suarez et du Courrier et la Côte Nord-Ouest, avec transbordement par chemin de fer Decauville entre les deux baies ». Après avoir détaillé le début de prospérité de Diego Suarez et le développement d’Antsirane, Rives constate que « ses rues spacieuses et bien trouées s’arrêtent brusquement à la sortie de la ville. A partir de ce point on ne trouve pas une route, pas un chemin réellement praticable...». Les communications entre les divers centres économiques du nord de Madagascar doivent donc se faire par bateaux. Un service de chalands existe déjà entre Antsirane, Cap Diego, Namakia et Orangea mais il est d’après lui rudimentaire et très cher : « Les voyageurs entassés pêle-mêle avec les marchandises sur de trop petites embarcations, fort négligées, restent pendant toute la durée de la traversée exposés aux rigueurs d’un soleil de plomb, de pluies torrentielles...»

Relier Diego Suarez à la Baie du Courrier permettrait de commercer facilement avec Nossi-Be... Son projet consiste donc à acheter, pour la baie de Diego Suarez, 3 chalands de 50 tonnes, 3 de 25 tonnes, conçus pour le remorquage des bateaux et 4 chalands (2 de chaque tonnage) pour la Baie du Courrier). Pour le transbordement entre les baies de Diego Suarez et du Courrier, il lui faudrait « Dix mille mètres de voies de chemin de fer Decauville d’un écartement de 0,50m, quatre wagons pour le transport des voyageurs. Dix wagons plate-forme de différents modèles pour le transport des marchandises.» La suite du projet nous laisse perplexe : « Ces wagons seront poussés à bras par des manœuvres pour les débuts, la traction par des mulets semble plus pratique pour ce petit parcours (8km environ).» Merci pour les manœuvres ! En fait, ce projet, qui sera repris plusieurs fois dans l’histoire de Diego Suarez ne verra jamais le jour. Sans doute encore une fois, faute de financement. Mais M.Rives verra encore plus loin. En 1893, on peut lire dans le Petit Journal que « Les concessions d’une ligne de chemin de fer de 64 km, entre Antsirane et la baie d’Irohono, avec adjonction de deux services par voie de mer, l’un pour desservir la baie de Diego Suarez et l’autre la côte Nord-Ouest de l’Ile de Nossi-Be, ont été accordées, le 23 janvier à M.Rives [...] Les devis s’élèvent à plus de 3 millions (environ 10 millions d’euros) Comme garantie, le gouvernement local lui a concédé 10 000 hectares de bon terrain et autres avantages qui représentent environ la même somme. Nous espérons que M. Rives hâtera l’exécution de ce vaste programme.» ...que l’on attend toujours !

Cependant, sans sortir de leur ville, toujours enclavée malgré les projets mirifiques, les Antsiranais commencent à avoir des loisirs culturels.

 

Un début de vie intellectuelle

 

Le Madagascar, toujours lui, annonce ainsi qu’Antsirane a pu accueillir un concert de « The artistical concert society » (ce qui montre que les relations ne sont pas si mauvaises avec les Anglais !). Plus important encore, Diego Suarez a maintenant (depuis début 1893) sa presse locale : en effet, deux journaux viennent d’être créés : Un journal satirique hebdomadaire, le Maki et un bi -hebdomadaire L’Avenir de Diego Suarez qui se veut « organe indépendant ». En fait, un autre journal avait déjà vu le jour, début 1892 : il s’agissait du Journal de Diego Suarez, qui, apparemment avait surtout des visées électorales. En effet, il avait été fondé à l’initiative d’Henry Mager qui préparait sa candidature à la députation de Diego Suarez. Il semble que ce journal, dirigé par deux Mauriciens, Huguin et Gimel n’ait pas eu une longue parution. Cependant, si « Diego Suarez marche chaque jour davantage dans la voie du Progrès », comme on peut le lire dans Le Madagascar, l’avenir n’est cependant pas totalement dégagé.

 

Le quartier militaire d'Antsiranana

 

Les points noirs

 

Tout ne va pas bien à Diego Suarez. Une des principales sources de mécontentement est le manque d’eau. Quand les français se sont installés à Diego Suarez, on a capté les quelques sources qui arrivaient à la mer ; mais elles ne suffisent plus à une ville qui a énormément grossi : aussi, la population est-elle fortement rationnée en saison sèche. Un projet, d’un montant de 300 000 F. établi par l’artillerie, et qui prévoyait d’amener l’eau à partir d’une dérivation de l’Analandriana, a été contesté et le Ministère des Colonies a mandaté une société civile pour établir un contre-projet... qui coûte 800 000 F. Cette concurrence désastreuse qui donne une idée de la rivalité permanente entre civils et militaires a d’ailleurs été évoquée à l’Assemblée Nationale dans sa séance du 15 mai 1893.

Autre sujet d’inquiétude : si les rapports qui partent pour Paris présentent la situation économique sous le meilleur jour, il n’en est pas de même dans la réalité : l’agriculture ne donne pas les résultats escomptés, quant à l’industrie, elle se résume en 92-93 à la production de la Graineterie française, l’énorme usine de conserves de bœufs d’Antongombato. Or, si Le Madagascar se félicite du « bon fonctionnement de la Graineterie française qui abat 20 bœufs par jour » (n° du 11 août 1892), c’est un autre son de cloche qui s’exprime en France, à l’Assemblée Nationale, dans la séance du 17 juin 1893. Quelques mots d’abord, sur l’honnêteté des pratiques de la Graineterie qui a fait durer la construction de l’usine pour bénéficier de l’autorisation (donnée par le ministère de la Guerre) d’acheter – en attendant la mise en service de l’usine – les conserves de bœufs en Amérique. Opération juteuse : la Société les achetait 55 centimes et les revendait à l’Etat à 1fr15 ou 1fr20 ! Quand enfin les produits d’Antongombato ont été livrés voici ce qu’a constaté le Ministère de la Guerre : « des conserves de viande qui présentent certaines défectuosités [...] dégraissage insuffisant [...] cuisson un peu trop grande [...] mollesse de la viande qui devient flasque [...] présence de petites masses de sang coagulées dans les fibres musculaires [...] excès de gelée [...] remplissage irrégulier des boites » Appétissant... Et l’intervenant, qui soulève le problème à l’Assemblée, termine par ces mots : « Voici ce que la Graineterie française nous glisse tous les jours dans les magasins militaires...».

Autre espoir industriel : les concessions de salines... mais qui ne sont pas suivies d’un début de réalisation, les deux sociétés attributaires se livrant un sauvage procès !

Une situation économique qui rend certains observateurs pessimistes sur l’avenir de Diego Suarez... d’autant plus que la situation se tend de plus en plus entre la colonie française et le gouvernement merina du fort d’Ambohimarina qui renforce son armement de 6 pièces de canons alors que les militaires de Diego Suarez se plaignent d’un manque d’effectifs avec la suppression de la 3ème compagnie d’infanterie de marine. Des nuages sombres qui s’amassent sur Diego Suarez et qui ne vont pas tarder à éclater...


(A suivre)
■ Suzanne Reutt

1894 - Les premières années de Diego Suarez - 1894 1 - une année qui commence mal...

17 août 2015

Le port de Diego Suarez après le cyclone du 5 février 1894 : le navire l’Eure est échoué

 

L’année 1893 avait vu Diego Suarez se développer sur le plan de l’urbanisme et des communications mais beaucoup restait à faire, dans un contexte politique de plus en plus lourd de menaces

 

Enlèvement des corps des Ancètres d’Ambohimarina

 

Antsirane, une ville qui a encore beaucoup de progrès à faire

 

Pour les premiers habitants d’Antsirane qui avaient vu le petit village originel devenir une ville, les progrès de l’urbanisme étaient indiscutables et beaucoup s’en réjouissaient. Mais pour les nouveaux arrivants, surtout pour ceux qui venaient de France, la première impression était loin d’être favorable ; ce fut même un choc pour C.Vray, pseudonyme de la femme d’un officier affecté à Diego Suarez, qui décrit dans son livre Mes campagnes son arrivée le 31 mai 1894 dans le port de Diego Suarez : « Oh! cet affreux pays, ce coin de terre française sur lequel on va nous laisser; c’est pis que tout ce que nous pensions; c’est plus triste, plus misérable que personne n’eût osé s’y attendre ». Le débarquement n’améliore pas les impressions qu’elle a eues du pont du paquebot : « Nous commençons par avoir mille peines à aborder, car, bien entendu, il n’y a ni quai, ni jetée, ni embarcadère ». Puis, c’est le premier contact avec la ville basse : « Nous parcourons l’unique rue, où sont de chaque côté les échoppes des marchands indiens, construites en bois avec des toits de fer-blanc, quelques misérables boutiques françaises, tout cela ayant l’air ruiné et minable d’un pays qu’on aurait abandonné depuis longtemps ». Epouse de militaire, C. Vray va loger dans la ville haute où sont construites les casernes et les bâtiments administratifs : «Par des chemins impossibles, trébuchant sur des débris de toutes sortes où brille principalement la boite de conserves, nous allons monter dans la ville haute. Ah! que ce nom est pompeux pour ce que l’on aperçoit ; c’est là qu’on a construit le gouvernement, les casernes, la gendarmerie, les quelques cases où l’on habite. Un peu de commerce s’y est installé comme en bas, des magasins chinois, indiens et français ». On ne saurait être plus enthousiaste !
Il faut dire que Diego Suarez n’est pas au mieux de sa forme, car comme elle l’a appris du directeur du port en arrivant, il y a eu « un cyclone affreux »

 

Un cyclone affreux

 

En effet, dans la nuit du 5 février un cyclone « court mais très violent» a ravagé Diego Suarez. Dans son édition des 11 et 12 février le Figaro rend compte des informations que le gouverneur Froger a transmises, via l’Ile Maurice, au Sous-secrétaire d’état aux colonies : « Un cyclone épouvantable a ravagé Diego Suarez dans la nuit du 5 février. L’aviso-transport l’Eure s’est échoué, son renflouement est certain. Les bâtiments militaires et civils ont été très endommagés. L’hospice, l’école, l’église, le marché et les entrepôts ont été entièrement détruits. Les deux tiers des maisons sont culbutées et la population est par suite sans abri. Heureusement, peu d’accidents de personnes et aucun décès. Il nous est encore impossible de calculer les pertes qui paraissent considérables.»
Mais, ce que va découvrir bientôt C. Vray, c’est que la situation politique est pire que la situation économique... En effet, les relations franco-malgaches se sont brutalement dégradées.

 

Une «situation pitoyable» sur le plan politique

 

C’est l’expression qu’emploie le Gouverneur Froger dans une lettre envoyée au journal français Le Figaro et qui paraît le 20 février 1894. Selon l’article du Figaro, si la situation est « pitoyable » c’est à cause de la faiblesse du gouvernement français envers le gouvernement de Madagascar : « Jamais, d’ailleurs, le Quai d’Orsay n’a osé revendiquer nettement nos droits de puissance protectrice. Il s’est appliqué, tout au contraire, à se garer du plus petit incident qui aurait pu l’obliger à prendre position ». Conséquences de cette situation, d’après l’article du Figaro : « Aussi, les Hovas, en présence de notre inertie, se sont-ils bientôt cru tout permis et ont-ils résolument relevé la tête ». Et la suite de l’article donne des exemples de cette prétendue agressivité : « Ils arment franchement et il n’est gère de résidence ou de poste français contre lesquels ne soient actuellement braqués quelques canons. A Diego Suarez, tout dernièrement, le troupeau du service administratif fut enlevé sous les murs mêmes du fort de Mahatsinzarivo ». En fait, on s’arme des deux côtés : le fort malgache d’Ambohimarina a reçu des canons supplémentaires et les effectifs militaires français de Diego Suarez ont été renforcés. La situation étant de plus en plus tendue entre les deux gouvernements, malgache et français, la confrontation semble inévitable. D’ailleurs, dans sa lettre, Froger, d’après Le Figaro « estime qu’une expédition – dont on peut d’ailleurs limiter l’importance – peut seule clore à notre avantage (celui de la France) l’ère périlleuse dans laquelle nous sommes entrés ». Ces prédictions pessimistes de Froger ne sont pas partagées par tous, en France. C’est toujours dans Le Figaro qu’un article appelle au calme en rappelant que le gouvernement français a mis l’opinion en garde contre « le pessimisme excessif – et peut-être intéressé – des nouvelles répandues ». Intéressé, car ceux qui répandent ces nouvelles (le gouverneur Froger, le député de Diego Suarez Louis Brunet, François de Mahy député de La Réunion) sont ceux qui animent le « Groupe colonial », favorable à l’annexion de Madagascar. Malgré tout, que ce soit du côté français ou du côté malgache, l’ambiance est tendue dans le nord de Madagascar.

 

Des bruits de guerre

 

C’est dans le Petit Parisien du 27 mars 1894 que paraissent les informations suivantes sur la situation dans le Nord de Madagascar : « Des bruits de guerre circulent dans la région de Vohemar. Les hovas et les indigènes ont pris toutes leurs dispositions pour fuir dans la montagne à la première alerte. La disette continue. La population est en proie à la plus affreuse misère ». En fait, ces «bruits de guerre» ne sont pas sans fondements. Malgré l’éloignement et l’enclavement de Diego Suarez, tout le monde sait dans le Nord que les relations entre le pouvoir central malgache et la France se détériorent de jour en jour.

 

La France arme Diego Suarez

 

On ne tardera pas non plus à apprendre que l’Assemblée Nationale française, si réticente à accorder des subventions pour les routes et l’urbanisme de Diego Suarez vient de débloquer « en raison de la situation » un crédit d’un million pour l’expédition de troupes et de matériel à Diego Suarez et à La Réunion. Dès le début d’avril des ordres sont donnés pour la mise en route, dans le courant du mois, de 640 soldats de l’infanterie de marine dont la moitié sera dirigée sur La Réunion et l’autre moitié sur Diego Suarez.

Par ailleurs, on peut lire dans Le Figaro du 26 avril 1894 : « Le ministre de la Marine vient de donner ordre à l’Ecole de Pyrotechnie du port de Toulon de préparer le chargement pour Madagascar de 200 000 cartouches pour fusil Lebel (modèle 1886) et de 2 000 obus pour canons de 14 centimètres à tir rapide.

Ces munitions seront embarquées sur un steamer spécialement affrété qui partira de Toulon le 5 mai prochain avec de la troupe, pour La Réunion, Diego Suarez et Madagascar »

De leur côté, les hovas du fort d’Ambohimarina se préparent à l’affrontement/

 

Le gouverneur Ratovelo et sa femme

 

Le gouvernement d’Ambohimarina se prépare à la guerre

 

Nous avons vu (n° précédent) que le fort d’Ambohimarina avait été doté de 6 nouveaux canons. Cependant, malgré leur position inexpugnable au sommet de la Montagne des français, les soldats de la reine, isolés du pouvoir central de Tananarive et en dépit de leur nombre relativement élevé, savent qu’ils auront du mal, en cas de conflit, à résister aux soldats français dont le nombre a été augmenté et l’équipement complété. Aussi, se préparent-ils à l’affrontement. Nous avons à ce sujet le témoignage du naturaliste Charles Alluaud, qui, au début de 1894, obtient l’autorisation de faire des recherches à Ambohimarina. Voici le récit de ce qu’il a vu à Ambohimarina : Après avoir rappelé que Diego Suarez « confine au sud à la province hova d’Antankarana dont le chef-lieu est Ambohimarina, ville d’environ 1400 habitants » il décrit l’accès au fort : « Ambohimarina est bâtie sur l’extrémité méridionale de la chaîne calcaire dite "Montagne des Français" à une altitude de 376m et domine d’une hauteur presque verticale, de 286m, les plaines environnantes. Plusieurs sentiers permettent, au moyen de lacets très raides, d’atteindre ce véritable nid d’aigle. Le plus fréquenté est muni d’une échelle qui permet l’ascension des dernières falaises à pic ; [...] Le trajet d’Antsirane, chef-lieu du territoire de Diego Suarez, à Ambohimarina, s’effectue rapidement en filanzane, la chaise à porteurs malgache. Avec six "bourjanes", dont deux se reposent à tour de rôle, on peut franchir cette distance d’environ 40 km en six heures avec arrêt à moitié chemin, à la douane hova d’Antanamitar. Le gouverneur Ratovelo (prononcez Ratouvel), que j’avais avisé de mon intention d’aller faire des recherches aux environs d’Ambohimarina, m’avait demandé de retarder mon voyage le plus possible. Voulait-il avoir le temps de dissimuler les armements que l’on prétend avoir été faits sur ce point ? Je croirais plutôt qu’il était peu désireux de voir un Français assister aux déménagements dont je vais parler. Pendant l’ascension de la plaine de Magag à l’échelle, ascension qu’il faut faire à pied, je rencontre des groupes dont la gaîté ne me ferait guère supposer que ce sont là des convois funèbres. Les femmes jouent de l’accordéon en suivant le cortège composé d’une dizaine de personnes environ. Les restes humains sont enfermés dans des cercueils en bois quand il s’agit de corps ensevelis récemment et dans de vieux bidons à pétrole quand ce sont des débris d’anciennes sépultures.

Cercueils ou caisses de fer-blanc sont enveloppés de lambas multicolores et portés par deux individus au moyen d’une longue et forte perche. [...] Pour tout bagage, les amis et parents qui accompagnent le défunt portent une natte roulée sous le bras. Un domestique suit avec une bouteille de rhum et un verre. Le cimetière est fouillé, retourné de fond en comble; aucun débris humain ne doit y rester. La ville des vivants devient aussi déserte que celle des morts. On transporte le cimetière, m’affirme-t-on, aux environs de Tananarive, ou au moins sur le plateau d’Imerina, c’est à dire à plus d’un mois de marche ! [...] Le Hova a par dessus tout le culte de ses morts. Les gens d’Ambohimarina savent bien que leur citadelle tombera entre nos mains le jour même d’une déclaration de guerre et ils ne veulent pas que leurs proches reposent en terre étrangère.»

Le récit d’Alluaud, s’il montre que les habitants d’Ambohimarina envisagent la guerre qui s’annonce avec un parfait pessimisme, illustre aussi le fait que les merina ne voyaient pas en tout français un ennemi en puissance, ainsi que l’indique la fin du récit d’Alluaud:
« Pendant mes excursions aux environs d’Ambohimarina, j’étais accompagné d’un neveu du gouverneur qui me servait d’interprète et de divers autres personnages. Des hommes armés entouraient ma case pendant la nuit. J’étais surveillé de près, mais nullement entravé. La situation de Ratovelo était assez difficile à cause des relations tendues entre Français et Hovas. En me laissant une liberté sans contrôle, il risquait d’être blâmé par le gouvernement de la reine de favoriser un espion (il se serait cru trop naïf d’admettre que l’on puisse quitter son pays dans le seul but d’aller ramasser des insectes et des débris de vieilles coquilles) ; d’un autre côté, il avait à réfléchir sur les graves conséquences que pourrait avoir la moindre insulte faite à un envoyé du gouvernement français et devait craindre d’avoir à en supporter les risques. Ratovelo s’est tiré de ce dilemme avec beaucoup de diplomatie. Il a tout fait pour faciliter mes nombreuses recherches ...et je lui dois d’autant plus de reconnaissance que sa situation, je le reconnais, était des plus délicates.»

Malheureusement, cette courtoisie de part et d’autre ne sera pas la règle dans les mois qui allaient suivre et qui vont voir malgaches et français s’affronter, d’abord dans des escarmouches puis enfin dans une véritable guerre !
(A suivre)

■ Suzanne Reutt

1894 - Les premières années de Diego Suarez - 1894 2  - la guerre des chefs.

17 septembre 2015

Charles Marie Le Myre de Vilers (1833 - 1918) Résident général de Madagascar

 

Le premier semestre de 1894 a été marqué, à Diego Suarez, par une montée des tensions entre le Territoire (sous domination française) de Diego Suarez et le gouvernement malgache de la forteresse d’Ambohimarina, fidèle à la reine. Ces tensions vont s’aggraver au fur et à mesure que le gouvernement central de Tananarive et la France durciront leur position réciproque

 

La détérioration des rapports franco-malgaches

 

Le traité de 1885 qui accordait entre autres le territoire de Diego Suarez à la France n’avait jamais été vraiment accepté par les deux parties en présence. Dès le début de 1894, les rapports entre les deux gouvernement se détériorèrent gravement. En octobre 1894, le représentant de la France, Le Myre de Vilers présenta au Premier Ministre malgache Rainilaiarivony un additif au Traité de 1885 qui établissait en fait le protectorat de la France sur la totalité de Madagascar ; puis, le 20 octobre, il adressa un ultimatum au gouvernement malgache. Faute d’un accord, Le Myre de Vilers quittait Tananarive le 27 octobre. Les relations étaient définitivement rompues. Comme le dirent les observateurs de l’époque « la parole était aux canons ».

Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, dans le Nord, on s’armait de part et d’autre depuis quelques mois. Les effectifs militaires du fort merina d’Ambohimarina s’étaient considérablement renforcés, des armes et des munitions étaient arrivées et les soldats s’exerçaient sous la conduite de deux officiers anglais. Du côté français, de nouvelles troupes étaient venues renforcer la garnison et des crédits pour des munitions avaient été votés. Les mois qui allaient suivre virent les deux gouverneurs, hova et français faire assaut de provocations réciproques.

 

Des intimidations de part et d’autre

 

Le gouverneur Ratovelo informa les autorités françaises, le 20 juin 1894, qu’il avait pour mission d’administrer la région en dehors de la limite d’un mile et demi de Diego Suarez, en vertu de l’appendice au Traité signé en 1885 et que, par suite, il demandait l’évacuation de tous les postes français en dehors de ces limites. Froger écrivit alors au Ministre des colonies (lettre du 6 juillet 1894) : « L’attitude arrogante des Hova s’est tournée ces jours derniers en hostilités déclarées. Les nouvelles de Tananarive sont de plus en plus mauvaises. Au Cap, à Natal, à Maurice, on recrute ouvertement des instructeurs et des aventuriers anglais pour nous faire la guerre ». Et il ajoutait, dans un autre courrier, que l’on recrutait, à prix d’or, de nombreux officiers étrangers, dont des allemands. Cependant, sa hiérarchie lui recommanda de ne pas céder aux provocations. Fin juillet, Froger avertit que plusieurs centaines de hovas occupaient des villages où flottait le pavillon français. A la suite de l’intervention du Résident Général Larrouy auprès de la cour de Tananarive, les Hovas évacuèrent la quasi totalité des villages occupés sur les flancs de la montagne d’Ambre. Mais la guerre des gouverneurs se poursuivit à travers menaces et promesses. Tandis que Ratovelo enjoignait aux français établis en dehors des limites françaises de quitter les lieux et annonçait que les français seraient bientôt jetés à la mer, le gouverneur Froger « bombardait » son administration de nouvelles alarmantes.

 

Une grande rue avec le tamarinier où étaient affichées les proclamations

 

Des « escarmouches » à Diego Suarez

 

Les duels verbaux s’étaient doublés, dès le second trimestre de 1894 de heurts entre les deux camps. Dès le mois de juillet un certain nombre d’accrochages avaient opposé les français aux malgaches d’Ambohimarina. Un des plus importants se produisit le 1er juillet. Voici le récit qu’en donne, le 20 août 1894, le journal Le Gaulois : « On lit dans le Madagascar, arrivé ce matin, par le paquebot Amazone : "Nous avons reçu de graves nouvelles de Diego Suarez ; nous les donnons sous réserves ; On se souvient que les gendarmes d’Antsirane, envoyés par le gouverneur, M.Froger, pour se rendre compte de l’installation des Hovas à Ambibaka, sur le territoire français, avaient capturé sept indigènes armés qui ont été écroués. Dernièrement, Ratovelo, gouverneur d’Ambohimarina, a pris sa revanche paraît-il. Un administrateur des affaires indigènes à Antsirane, s’étant risqué avec deux de ses agents, dans la zone française envahie par les Hovas, aurait été enlevé avec deux agents et amené à Ambohimarina. Le 17 juillet, les trois français étaient encore prisonniers. Le même jour, le commandant du bataillon de tirailleurs sakalaves, avec 100 à 150 de ses hommes et 50 soldats d’infanterie de marine, a été envoyé pour réclamer à Ratovelo la mise en liberté immédiate de l’administrateur et de ses compagnons, avec ordre de les reprendre de force en cas de refus" ».

Une autre version – moins dramatique – de ces évènements est donnée dans son livre Mes campagnes par C.Vray, femme d’un capitaine de Diego Suarez : « Hier un petit évènement de guerre est venu rompre un instant la monotonie de notre existence. Des gendarmes ont amené ici, par ordre du gouverneur, 8 prisonniers hovas, que l’on avait trouvé armés sur notre territoire ; c’est de Mahatinzo (poste des sakalaves commandé par nos officiers) que l’on avait eu vent de la chose ». Là où le Gaulois parle de « graves nouvelles » C.Vray parle d’un « petit événement » : en fait, il semble bien que la politique du gouverneur de Diego Suarez, Froger, ait consisté à grossir l’importance des évènements susceptibles de justifier des actes de guerre.

La suite du texte de C.Vray confirme cette impression : « Hier soir le poste télégraphiait que les Hovas faisaient une distribution de fusils aux indigènes et paraissaient vouloir attaquer ; ici, l’alerte a été donnée ; on était prêt à les recevoir mais, grâce à Dieu, l’ennemi n’a pas bougé et tout me paraît maintenant rentré dans l’ordre, à part les prisonniers qui, eux, ne sont pas du tout rentrés chez eux ». et la suite du texte parle de « fausse alerte ».

Mais il ne semble pas que le gouverneur Froger ait voulu considérer cet incident comme mineur si l’on en juge par sa proclamation officielle (affichée, comme tous les documents officiels, sur le Tamarinier qui poussait au milieu de la rue de la République, dans la ville basse) :
« Le gouverneur de Diego Suarez et dépendances.
Les Hovas ont envahi le territoire de la colonie !

Il n’est pas sûr que ce soit un commencement d’hostilité ; mais les nouvelles de Tananarive font craindre une tension telle dans nos relations politiques avec le gouvernement d’Imerina, que nous avons à redouter une période de trouble où la sécurité de la ville serait menacée par les pillards et les incendiaires. Dans ces conditions, la police locale serait insuffisante. L’administration fait appel aux volontaires pour seconder la police en prévenant les incendies et les pillages à main armée.
Les engagements seront reçus à la Direction de l’Intérieur.
La police volontaire sera tout à fait distincte de la police locale, elle sera directement sous les ordres du secrétaire général. Une décision fixera l’organisation de la police volontaire.
Antsirane, le 2 juillet 1894.»

Mais l’attitude belliqueuse des deux gouverneurs n’était pas forcément appréciée par leurs hiérarchies respectives. Le Premier Ministre malgache, Rainilaiarivony conseilla au gouverneur d’Ambohimarina d’éviter les confrontations avec les français, quant au gouverneur Froger, il fut fermement invité par le Ministre des Affaires étrangères à Paris, à éviter les occasions de conflit.

 

Les Antankarana entre deux feux

 

Les Antankarana, qui s’étaient rangés du côté des français lors de la « guerre » de 1885 (qui avait abouti à l’octroi à la France du Territoire de Diego Suarez) avaient fait l’objet de la part du gouvernement d’Ambohimarina d’une « politique de charme » pour contrecarrer l’attraction qu’exerçait la ville nouvelle d’Antsirane. Les instructions données dans le Nord proclament que « le pardon est accordé à tous ceux qui se sont révoltés [...] que les biens des gens, saisis après la fin des hostilités, doivent être restitués. Les sujets royaux seront administrés avec équité, et encouragés ou entraînés à respecter les lois du royaume. Les officiers sont appelés à déployer tous leurs efforts pour supprimer les foyers de tension et éviter les troubles ». (M.Esoavelomandroso)

 

Tsialana, roi des Antakaras

 

Mais cette politique n’a pas eu le succès escompté. Diego Suarez séduit les populations d’abord par sa nouveauté ; par ailleurs les besoins économiques du nouveau Territoire entraînent des salaires motivants pour les populations avoisinantes. Enfin, Diego Suarez, d’après l’expression du Gouverneur Froger est une « terre de liberté » c’est à dire que l’esclavage y étant interdit, elle est devenue le refuge des esclaves en fuite. Aussi, en 1894, quand les relations se tendent entre la France et Madagascar, le gouverneur d’Ambohimarina, Ratovelo fait savoir que les malgaches qui se rangeraient du côté des français seraient sévèrement punis. De son côté, le gouverneur de Diego Suarez, Froger, courtise étroitement le roi Antankarana Tsialana, qui est associé aux fêtes françaises comme nous le raconte C.Vray dans son livre :
« Le roi des Antankares
Août
Il y a une quinzaine est arrivé à Antsirane le roi des Antankares et toute sa suite ; il est venu à petites journées pour rendre sa visite au gouverneur et saluer les Français ses amis, ainsi qu’il a coutume de le faire chaque année à l’occasion du 14 juillet ».

Mais, l’amitié de Tsialana ne suffit pas : dans une lettre du 29 août 1894, Froger signale que : « Les enfants de Tsialana sont venus à Diego Suarez informer que ses hommes ont déserté sur les menaces d’officiers hova qui sont venus leur dire que les Français allaient être jetés à la mer, qu’ils avaient perdu deux forts et qu’ils n’osaient sortir d’Antsirane ». Et, un mois plus tard, dans une lettre du 28 septembre, il annonçait qu’un traité avait été signé entre les Hova et les Antankara pour que ces derniers s’engagent aux côtés des Hova si la guerre éclatait.
Intox? En tous cas les deux partis essaient de s’assurer l’appui des populations locales dans le conflit qui se profile. Les pillards de toutes sortes profitent de cette situation confuse, se réfugiant, après leurs forfaits à Ambohimarina, si leurs victimes étaient françaises ou à Diego Suarez quand ils s’attaquaient aux Hova. Tous ces troubles, dénoncés par Froger dans une lettre du 1er août 1894, entretiennent la peur et ce que nous appellerions maintenant le réflexe sécuritaire. Une attitude que dénonce C.Vray lorsqu’elle se moque des volontaires français qui ont répondu à l’appel de Froger pour constituer une police parallèle : « A la limite de la ville, nous avons trouvé, en effet, quelques braves individus en chapeau de paille et complet blanc, faisant beaucoup d’embarras avec les fusils qu’on leur avait prêtés ; grâce à Dieu on ne les avait pas chargés ; la chose fût devenue dangereuse avec des gens n’ayant pas l’habitude de manier des armes de guerre ». En réalité, C.Vray a beau se moquer, dès le mois de juillet, tout le monde craint et prévoit la guerre ...sur laquelle l’année finira par déboucher.


(à suivre)
■ Suzanne Reutt

1894 - Les premières années de Diego Suarez - 1894 3  - et pour finir... la guerre.

2 octobre 2015

Le dernier trimestre de 1894 va voir la fin des efforts diplomatiques pour éviter la guerre entre la France et Madagascar. L’ultimatum français signifié par le représentant de la France Le Myre de Vilers étant resté sans réponse, l’année s’achève par la déclaration de guerre

 

Le personnel de la Résidence française quittant Tananarive

 

Le Myre de Vilers quitta Tananarive le samedi 27 octobre. En cela il obéissait aux instructions qu’il avait reçues de son gouvernement, tout en ayant l’impression d’un immense gâchis comme il l’exprime dans une lettre au Directeur du Journal Officiel : « Mieux que personne, je comprenais la nécessité d’éviter une expédition militaire, dont l’inutilité me paraît certaine. [...] Comme dans tous les conflits, les deux partis ont également des torts, mais en fait d’incorrections, le pompon nous appartient ». Et il terminait sa lettre par ces mots : « J’accepte l’inévitable tout en regrettant d’attacher mon nom à une entreprise que je crois mauvaise ».

 

Diego Suarez à l’approche de la guerre

 

Dès le début d’octobre, les militaires en poste à Diego Suarez sont sur le pied de guerre. C.Vray, femme de capitaine, écrit le 6 octobre dans son livre Mes campagnes : « Pierre [son mari - NDLA] vient de recevoir l’ordre de se tenir prêt à partir en mission ; il doit s’embarquer sur La Rance. On n’a rien voulu me dire, mais ce ne peut être qu’à Majunga faire quelques projets de guerre sur le papier ». Et, tandis que son mari, avec ses chefs, se plonge dans les cartes, C.Vray égrène quelques réflexions sur la guerre qui approche : « Pourquoi cette guerre ? Pourquoi cet affreux mal ? Pourquoi ce trouble inutile à tous ? et elle cite Guy de Maupassant : « La guerre... se battre... s’égorger... massacrer des hommes... et nous avons aujourd’hui, à notre époque, avec notre civilisation, notre science et notre philosophie, des écoles où l’on apprend à tirer de très loin, avec perfection, beaucoup de monde en même temps, à tuer des tas de pauvres gens innocents et chargés de famille ». Mais ces réflexions, qui ne sont sans doute pas celles de son militaire de mari, ne sont pas non plus celles des autorités (à Paris et à Diego Suarez)qui se préparent à la guerre !

 

Les préparatifs de la guerre ...en France

 

Dès le 13 novembre 1894 le Ministre de la guerre français dépose un projet de loi « portant ouverture aux ministres de la guerre et de la marine de crédits montant à la somme de 65 millions pour pourvoir aux dépenses de l’expédition de Madagascar » (Journal Officiel du 13 novembre 1894). De longs débats vont s’ensuivre qui évoqueront souvent le sort de Diego Suarez : les limites de son territoire, son avenir si la France n’intervenait pas etc. En réalité, le sort de Diego Suarez est souvent le pivot des débats parfois très vifs qui se font à l’Assemblée Nationale comme on peut le voir dans cet extrait de la séance du 24 novembre 1894 : « Eh quoi ! on nous proposerait sérieusement de laisser sans défense ce poste de Diego Suarez, celui qui importe plus que tous les autres à notre influence politique ; ce poste qu’on nous a présenté comme le siège et la garantie nécessaire de notre puissance dans les mers de l’Inde ! Comment ! On abandonnerait à la garde de 200 hommes cette immense baie destinée à abriter nos flottes militaires et marchandes ? De telles affirmations me confondent, et je ne puis comprendre qu’on ait pu les produire à la tribune.» (intervention de M. Delbet en réponse à la proposition d’envoyer les 2000 soldats de Diego Suarez occuper Tananarive). Ces débats aboutissent le 26 novembre au vote de la totalité des crédits demandés, par 377 voix contre 143. Le 6 décembre 1894, le Sénat adopte à son tour le projet de crédits par 267 voix contre 3. Immédiatement, ces crédits sont utilisés, notamment pour renforcer la garnison de Diego Suarez.

Le Journal des Débats annonce le 12 décembre 1894 : « Le paquebot Araouaddi des Messageries Maritimes, qui part aujourd’hui de Marseille, emmène 380 soldats de l’infanterie de marine à destination de Diego Suarez. Dans le chargement figurent 80 tonnes de munitions de guerre pour Madagascar.» et le 24 décembre : « Un nouveau détachement d’infanterie sera envoyé, le 3 janvier prochain, à Diego Suarez, pour compléter à 200 hommes toutes les compagnies d’infanterie de marine qui s’y trouvent actuellement, en vue de l’expédition de Madagascar.»

 

... et à Tananarive

 

A Tananarive, la mobilisation générale est décrétée et la Reine et le Premier Ministre exhortent la population à résister aux envahisseurs. D’après L’avenir de Diego Suarez, les Hovas ont reçu des milliers de fusils anglais mais, toujours d’après le journal, ceux-ci sont en mauvais état...

 

A Diego Suarez on se prépare aussi à la guerre...

 

A Antsirane, la situation est ambigüe. Malgré les escarmouches qui se produisent entre hovas et français, malgré l’inquiétude générale, les relations entre les autorités françaises et le gouvernement hova du fort d’Ambohimarina restent empreintes de la plus parfaite courtoisie. C’est ainsi qu’en 1894, comme les années précédentes, les français furent invités à célébrer la fête du « Bain de la Reine » dans la citadelle d’Ambohimarina, invitation qu’en raison de la situation politique ils préférèrent décliner. Par ailleurs, le 5 novembre, alors que les hostilités ont pratiquement commencé, la France se charge d’embarquer les épouses des officiers hova d’Ambohimarina que, sur ordre du Premier Ministre de la Reine, il faut renvoyer à Tananarive : « Le gouverneur les a pilotées toute la journée, reçues à déjeuner, logées au gouvernement (la Résidence), puis, finalement, conduites au bateau et recommandées chaudement au commandant.» (C.Vray)

Cependant, ainsi que nous l’avons vu dans l’article précédent, la population, craignant une attaque des hovas d’Ambohimarina, est sur le qui-vive et, depuis juillet 1894, une milice civile constituée de volontaires a été mise en place par le gouverneur Froger. Le 17 octobre, une circulaire officielle placardée sur le fameux tamarinier de la ville basse, fait encore monter la tension, aussi bien auprès de la population européenne que de la population malgache. Voici le texte de cette fameuse circulaire :
ORDRE GENERAL

Le gouverneur de Diego Suarez et dépendances

 

Un appel aux armes à Tananarive

 

Vu les troubles qui règnent sur les frontières et dans une partie du territoire de la colonie et pour rassurer la population contre les dangers d’incendie et de pillage;
Décide :
A partir de samedi, 20 courant, jusqu’à nouvel ordre, il est interdit à quiconque n’est pas fonctionnaire ou militaire en service de pénétrer dans Antsirane du coucher du soleil jusqu’à 5 heures du matin sans un passeport délivré par le gouverneur;

Il est interdit de pénétrer dans la ville par d’autres voies que la route neuve d’Anamakia et la route d’Ambohimarina.

A partir de 10 heures du soir jusqu’au lever du soleil nul ne pourra circuler en ville sans être muni d’un fanal.

Toute contravention à la présente décision sera punie d’une amende de 15fr. [environ 60 euros ou 200.000 Ariary NDLA] et d’un emprisonnement de 2 à 5 jours.

La présente décision sera publiée et communiquée dans toute la colonie.

Diego Suarez, le 17 octobre 1894.
Le Gouverneur.
Signé : FROGER

Avec son humour habituel, C.Vray voit le bon côté des choses : « Somme toute, c’est une bonne affaire que cette ordonnance des lumières pour le soir, les chemins sont tellement pierreux et mauvais, qu’on risquait toujours de se casser le cou ». Mais ce n’est pas une bonne affaire pour ceux, et surtout les malgaches, qui n’ont pas le droit de circuler le soir, et qui, s’ils n’habitent pas en ville, sont entassés dans le marché d’où ils ne pourront sortir qu’au petit jour.

Si le gouverneur Froger a tendance à dramatiser la situation, il est cependant certain que celle-ci, sur le plan national et sur le plan local s’est beaucoup aggravée.

 

La guerre avant la guerre : les premiers affrontements

 

Si l’on en croit le rapport du Général Duchesne établi après l’expédition « Aussitôt après la rupture des négociations, les Hovas avaient envahi le territoire de notre colonie de Diego Suarez et y avaient établi une série de postes plus ou moins fortifiés ». Mi-novembre les journaux parisiens annoncent que « les Hovas concentreraient des troupes autour de Diego Suarez». Dotées d’une artillerie, ces troupes, sous la direction du prince Ramahatra et du général Ravoninahitriniony, rassemblent des soldats issus de nombreuses tribus de l’Ile. Dès novembre, un camp hova est installé Mahagaga et une batterie est positionnée près du Point 6.

Du côté français, dès novembre 1894, la décision avait été prise de fortifier le territoire français de Diego Suarez. L’usine d’Antongombato est dotée de canons et certains colons sont armés. Des troupes prélevées à La Réunion sont envoyées à Diego Suarez en novembre; en décembre le Journal des débats indique que le Ministre de la Marine a télégraphié au port de Toulon de « prendre dans la 4ème brigade d’infanterie de marine 2 lieutenants et 250 hommes destinés à aller renforcer la garnison ». Le 25 décembre un nouveau détachement d’infanterie est prévu.

Cependant certains espèrent encore que la guerre pourra être évitée. Le Journal des débats du 24 novembre, relate la proposition du député Dumas qui « propose un expédient qui consisterait à occuper Diego Suarez et quelques autres points de l’Île, en renonçant à marcher sur Tana ». Mais en fait, la décision d’une expédition militaire sur Madagascar est déjà prise à Paris et sur le terrain, les hostilités ont déjà commencé. Les premiers affrontements vont commencer début décembre sur le territoire de Diego Suarez. Depuis le 1er décembre, les pluies ont commencé à tomber et les sentiers étant devenus impraticables Diego Suarez est isolé et connaît de gros problèmes de ravitaillement. Les colons ont été évacués de la Montagne d’Ambre, du Point-Six et d’Ivondro et ont été regroupés à Antsirane ou à l’usine de la Graineterie française d’Antongombato. Les Hovas envahissent, le 4 décembre le sanatorium de la Montagne d’Ambre. Se rapprochant d’Antsirane, ils incendient, courant décembre le poste français d’Antanamitarana et le village de Betahitra. Obéissant aux ordres reçus, les soldats français restent sur la défensive mais le 9 décembre, d’après le journal d’Antsirane Le Clairon, la gendarmerie intervient à Anamakia : « Elle (la gendarmerie) a fait une razzia de cent dix Mavoorongs (sic), qu’elle a conduit à Antsirane, où ils sont provisoirement sous clef, en attendant l’instruction qui sera la conséquence de leur présence non justifiée sur le territoire français. Ces hommes ont fait irruption dans le village d’Anamakia, qu’ils avaient, par ordre hova, la mission d’incendier avec toutes les récoltes pendantes ou déjà emmagasinées...» Le 19 décembre, à 5h du matin, un détachement de tirailleurs sakalaves, sous la conduite du capitaine Jacquemin, attaque un petit poste hova à Bekaraoka d’où les occupants, pris par surprise sont délogés. Le 22 décembre, les troupes hova mettent le feu à plusieurs concessions et le 23 décembre, 150 hommes attaquent le poste de Mahatsinjo, d’où ils sont repoussés par les tirailleurs sakalaves de Diego Suarez.

 

Diego Suarez en état de siège

 

Le 24 décembre 1894 la Colonie de Diego Suarez est déclarée en état de siège par le commandant de la division navale et le lieutenant-colonel Piel, de l’artillerie de marine est nommé commandant supérieur (rapport du général Duchesne). Ce dernier prit ses dispositions pour mettre la ville d’Antsirane en état de défense. La garnison de la ville comptait seulement 4 compagnies d’infanterie de marine, la 2ème compagnie de disciplinaires et un détachement d’artillerie. Officiellement, on n’était pas en guerre, le corps expéditionnaire n’avait pas encore débarqué mais, depuis quelques mois personne ne s’y trompait : les hostilités avaient commencé... et à Diego Suarez, la sensible C.Vray évoque, dès le 31 octobre le désarroi et l’inquiétude de la population : «...le courrier de Tamatave est signalé; il entre en rade et cette fois nous rapporte des nouvelles graves [...] en 5 minutes nous sommes sur le quai. Toute la population est là, officiers et civils, indigènes de toutes sortes : Antankares, Sakalaves, Antémours ; car tous ces gens sont venus de très loin, pour savoir ce qui a été décidé sur leur sort et ce qu’ils vont devenir ; eux aussi sont anxieux, les pauvres gens ; comme nous, ils vont et viennent, formant des groupes, courant de l’un à l’autre pour recueillir quelques débris de phrases, quelques nouvelles enfin. [...]Au milieu du va et vient, nous finissons par recueillir ces mots, ces terribles mots qui vont de bouche en bouche et qui se transmettent ici dans plusieurs langues : « La guerre..., la guerre..., la guerre ». C’est comme une traînée de terreur et de stupéfaction que ces deux mots laissent après eux : évidemment on le savait, on le prévoyait, ce terrible résultat; mais, c’est égal, tant qu’une chose n’est pas faite, sait-on jamais?».

En fait, la notification de l’état de guerre ne fut faite, au chef de la division navale française, que le 11 décembre. Dès le 12 décembre, un détachement français s’emparait de Tamatave. Les hostilités étaient officiellement commencées
■ Suzanne Reutt

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