Articles 2015

20151104 - La Médaille Militaire N° 551

20151104 - La contribution de Madagascar à l'effort de guerre français

20151104 - DOSSIER INDOCHINE

201511 - Cultiver la solidarité

À Puyloubier, dans les Bouches-du-Rhône, l’Institution des invalides de la Légion étrangère accueille et aide à se réinsérer près d’une centaine de pensionnaires. Tous participent à la vie du lieu qui connaît un moment important aux vendanges, lorsque de jeunes légionnaires viennent prêter main-forte à leurs aînés.

Le soleil se lève sur la montagne Sainte-Victoire. Une douce lumière inonde le domaine Capitaine Danjou, à Puyloubier, dans les Bouches-du-Rhône. Rassemblés dans les vignes, 90 légionnaires d’active se munissent de sécateurs et de seaux. Comme chaque année, ils participent à une mission bien particulière : vendanger les parcelles de vignes de l’Institution des invalides de la Légion étrangère (Iile). Un geste de solidarité envers les anciens qui habitent ce lieu si particulier. Structure unique en France, l’Iile a pour mission d’accueillir, d’héberger, d’administrer, de soigner et de réinsérer d’anciens képis blancs.

le château, bâtiment principal du domaine Capitaine Danjou, abrite les bureaux de la direction et le musée de l’uniforme.

1954. La guerre d’Indochine touche à sa fn : elle a fait de nombreux invalides. La Légion décide alors d’ouvrir un lieu pour prendre en charge ces militaires rendus à la vie civile après avoir été réformés. Ils sont ainsi près de 180 à intégrer l’Iile lors de son ouverture, en 1955. Depuis, l’Institution n’a jamais fermé ses portes et continue à accueillir des légionnaires blessés physiquement ou « blessés de la vie », qui n’arrivent pas à trouver leur place dans le monde civil.
Aucun grade, aucun critère d’ancienneté de service et aucun revenu particulier ne sont exigés. Le seul sésame est le certifcat de bonne conduite attribué en fn de service. « Aujourd’hui l’Iile offre l’hospitalité à 87 hommes, âgés de 30 à 92 ans. Nous comptons quatorze nationalités différentes et deux apatrides », explique le lieutenant- colonel Daniel Bouchez, directeur de l’Institution. Le temps des séjours varie en fonction des pensionnaires. Le doyen actuel est arrivé en 1968 et n’a plus jamais quitté les lieux. « Dernièrement, l’un d’entre eux a retrouvé un travail et un logement dans le civil. C’est un exemple de réinsertion réussi. Son séjour à Puyloubier lui a permis de reprendre confance en lui », se félicite le lieutenant- colonel Daniel Bouchez. Pour l’épauler, le directeur de l’Iile peut compter sur une quinzaine de légionnaires d’active et du personnel civil, souvent d’anciens légionnaires reconvertis.
Ensemble, ils veillent au bien-être des pensionnaires. Ceux-ci vivent à « l’hémicycle », un grand bâtiment de style colonial qui domine le domaine. Chacun dispose d’une chambre individuelle. « Ils doivent respecter le règlement intérieur et sont libres de circuler ou de partir “en permission”, explique l’adjudant-chef Laurent Fransquin, chef de l’hémicycle. Je veille à ce qu’ils soient bien logés et qu’ils ne manquent de rien ! Je leur trouve des occupations, car il est important pour eux de savoir qu’ils servent à quelque chose. » Les pensionnaires participent ainsi à la vie du lieu en fonction de leur condition physique. « Ici, depuis l’origine, la réinsertion passe par le travail, souligne le directeur. Nous proposons des ateliers fonctionnels au sein desquels les hommes s’attachent à entretenir les abords du domaine, des ateliers occupationnels offrant de réaliser de la reliure et de la céramique, ainsi qu’un atelier production avec l’olivier et la vigne. L’activité viticole est très importante. » En effet, la vente du produit de la vigne subvient quasi exclusivement aux besoins financiers de l’Institution, qui ne reçoit aucune subvention de la part de l’État. Elle bénéficie aussi du soutien du foyer d’entraide et de solidarité de la Légion étrangère qui collecte des legs et des dons au profit de la Légion.

des hommes du commandement de la Légion étrangère, du 1er régiment étranger et du 1er régiment étranger de cavalerie aident les pensionnaires à vendanger les 40 hectares de vigne du domaine.

Vendanger dans la fraternité

L’adjudant-chef Laurent Fransquin veille également au respect de la discipline. « Les pensionnaires ont besoin de cette rigueur militaire. Durant toute leur vie, ils ont été commandés, ils ont respecté des règles. » « Ici, j’apprécie particulièrement l’encadrement militaire. Tout est carré : la discipline règne. Ce n’est pas comme dans le civil, témoigne Berthold Vossler, l’un des doyens de l’Institution. Cela fait plus de dix ans que je suis à l’Iile. Vous savez : légionnaire un jour, légionnaire toujours ! Avant je vivais seul, j’avais ma maison. Mais je m’ennuyais. J’ai ni ascendants, ni descendance. Ici, je suis entouré de mes frères d’armes. »

Un pensionnaire à l’ouvrage dans l’atelier de reliure.

Les vendanges représentent un moment important. Jeunes légionnaires et anciens travaillent ensemble. Il n’y a plus aucune nationalité, ancienneté, grade, âge… tous exercent la même activité dans un esprit de solidarité. « Cette fraternité dans la Légion existe tous les jours. Nous possédons un code d’honneur qui dit qu’au combat comme dans la vie, on n’abandonne jamais les siens », souligne le lieutenantcolonel Daniel Bouchez.

L’Institution des invalides de la Légion étrangère compte 220 hectares dont 40 sont dédiés à la culture de la vigne. Les pensionnaires produisent du vin rouge, blanc et rosé d’appellation d’origine contrôlée Côtes de Provence. Cette production représente environ 220 000 bouteilles par an, commercialisée au profit de l’Iile. Ces vins, dont la qualité est aujourd’hui unanimement reconnue, s’exportent partout dans le monde. Si vous souhaitez faire un don ou déguster une bouteille de l’Iile rendez-vous sur : www.legion-boutique.com/info_vin.php

La matinée touche à sa fin. Dans un rang de vigne, l’ancien légionnaire Clement Addante explique à ses collègues d’un jour comment s’organiser pour cueillir les grappes de raisin rapidement. « Il s’agit de mes cinquièmes vendanges à l’Iile. C’est agréable d’être avec ces jeunes. Il y a quarante ans, j’étais à leur place, à Puyloubier, à aider mes aînés. Ça fait partie de la solidarité. Il est primordial de ne pas oublier les anciens et les légionnaires en détresse. » À côté de lui, le maréchal des logis Fabien S., du 1er régiment étranger de cavalerie, écoute en souriant ses recommandations, puis témoigne : « C’est une chance pour nous de pouvoir donner un coup de main aux anciens. Tout le monde y met du sien. Tout un esprit légion prend alors forme à travers la cohésion.
Car sans solidarité, un corps de troupe ne peut pas avancer correctement. » Une fraternité, une solidarité et un esprit de corps qui contribuent à rendre l’Iile si exceptionnelle.

Carine Bobbera

20150930 - Le prince, la comtesse, l’ambassadeur et les képis blancs

 

 

La Légion étrangère, arme d’élite par excellence, a depuis toujours compté dans ses rangs des personnalités exceptionnelles. Originaires de la Grande Russie, trois d’entre-elles y ont marqué leur passage d’une empreinte indélébile, contribuant largement au renom de cette troupe prestigieuse. C’est leur parcours pour le moins atypique que nous vous présentons aujourd’hui.

Le prince Amilakvari

Descendant direct des seigneurs du royaume de Géorgie, le prince Dimitri Amilakvari naît à Gori le 31 octobre 1906. La révolution de 1917 obligeant sa famille à l’exil, Dimitri, alors âgé de onze ans, arrive à Istanbul avec sa mère. Il y demeure six années et fait ses études dans une institution britannique.

Le baptême du feu

En 1922, sa famille s’installe en France. Dimitri s’intéresse au métier des armes et entre en 1924 à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, en qualité d’élève-officier étranger. Deux ans plus tard, il est affecté au 1er Régiment étranger d’infanterie, en Algérie. En 1929, il est muté avec le grade de lieutenant au 4e Régiment étranger stationné à Marrakech. A cette époque, l’Empire chérifien n’est pas totalement pacifié, des zones de dissidence restant à réduire dans l’Atlas. C’est ainsi que le 30 mai 1932, le 1er bataillon du 4e Régiment étranger est chargé d’occuper le plateau des Izeroualem, sur lequel a été signalée une forte concentration ennemie. Pour le lieutenant Amilakvari c’est le baptême du feu et une première action d’éclat, sanctionnée par une citation. A la tête de ses légionnaires, il participe ensuite à toutes les opérations dans le sud du Maroc. Il s’illustre encore au cours des combats particulièrement violents d’août et de septembre 1932. Nommé capitaine le 1er janvier 1937, il est affecté au 1er Étranger.

Chevalier de la Légion d’honneur

Après la déclaration de guerre, le 20 février 1940 un bataillon de marche est formé à Sidi-bel-Abbès, en Algérie et un second à Fès, au Maroc. Ils sont groupés sous l’appellation de 13 e Demi-brigade de montagne de Légion étrangère (DBMLE) destinée à combattre en Finlande. La 13e DBMLE, future 13e Demi brigade de Légion étrangère (DBLE), est finalement dirigée sur la Norvège. Volontaire, Amilakvari est affecté au 2e bataillon ou il prend le commandement de la compagnie d’accompagnement. Entre temps, il est devenu français par un décret de naturalisation. La demi-brigade embarque à Brest et cingle vers la Norvège. Le 13 mai, c’est le débarquement de vive force à Bjervik face aux Allemands qui tiennent les positions défensives. Le lendemain, bien que blessé, il participe aux combats pour la conquête du port de Narvik. Pour son comportement héroïque sur les côtes norvégiennes, il sera fait chevalier de la Légion d’honneur

Face aux troupes de Rommel

Mais en France la situation est grave. L’annonce de la demande d’armistice jette la consternation dans les rangs du corps expéditionnaire de Norvège. A son retour, Amilakvari fait partie de ces Français qui, refusant la défaite, rejoignent à Londres le général de Gaulle. Pour le chef des Français libres (FFL), il s’agit de continuer la lutte et de rallier à sa cause les pays constituant l’Empire colonial français. Suit une longue série de combats jalonnant le parcours des FFL à la recherche de soutien dans la France d’outre-mer. Après l’échec devant Dakar, les FFL rallient le Cameroun puis sont engagés en Érythrée contre les Italiens ; la 13e DBLE participe à la prise du port de Massaoua, le 8 avril 1941. D’Érythrée, Amilakvari promu chef de bataillon et ses hommes sont engagés dans la campagne de Syrie. Le 21 juin, ils entrent dans Damas. Nommé lieutenant-colonel, il prend le commandement de la 13e DBLE le 19 octobre 1941. Après la traversée de la Palestine, du Sinaï et de l’Egypte, le régiment se trouve, en janvier 1942, face aux troupes de Rommel au pied du plateau de Cyrénaïque. En juin il participe au fait d’armes de Bir Hakeim et à la sortie de la garnison encerclée ; la 13e DBLE y est en première ligne et subit de lourdes pertes. Ramenée à l’arrière pour se reconstituer, la brigade des Français libres accueille le général de Gaulle le 10 août, en Égypte. Au cours de la prise d’armes, le lieutenant-colonel Amilakvari est fait Compagnon de la Libération.

Ultime combat

Au mois d’octobre la 13e DBLE, rattachée à la VIIIe Armée britannique, prépare une attaque sur el Himeimat, à l’extrémité sud du dispositif anglais. Amilakvari doit faire man?uvrer ses bataillons pour contourner les défenses ennemies puis attaquer les flancs d’un plateau nommé « l’observatoire ». A 23h00, un premier champ de mines allemand est franchi. Le 24 octobre, à 1h00 du matin, le 1er bataillon attaque, mais il se heurte à des falaises à pic, battues par des mitrailleuses qui tirent depuis des grottes aménagées par l’ennemi et ne peut atteindre son objectif. A 5h00, le 2e bataillon parvient à prendre pied sur le plateau mais avec le jour qui se lève, les blindés allemands contre attaquent ; faute d’appui il est contraint de se retirer. Jusqu’à 9h00, l’artillerie et les mortiers ennemis se déchaînent sur les positions de la demi-brigade. Le lieutenant-colonel Amilakvari donne alors l’ordre de se porter plus en arrière pour occuper une position intermédiaire favorable. Profitant d’un instant de répit il se rase et dit à son entourage : « Lorsque l’on risque de comparaître devant Dieu, il convient de se mettre en tenue convenable ». Une heure plus tard, une salve de quatre obus l’encadre en explosant. Portant la main à son cou, il s’écroule, mortellement atteint.

Chef de guerre prestigieux, intrépide, animé d’un profond sens humain, il avait une reconnaissance infinie pour la France, sa patrie d’adoption. Il aimait à répéter à ses légionnaires : « Nous, étrangers, n’avons qu’une seule façon de prouver à la France notre gratitude pour l’accueil qu’elle nous a réservé : nous faire tuer pour elle ».

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La comtesse du Luart

Leila Hagondokoff, née à Saint-Pétersbourg le 6 février 1898, est issue d’une famille princière à l’esprit militaire très marqué. Très tôt elle décide de se consacrer aux blessés de guerre et aux malades. A 17 ans, elle est infirmière à bord des trains militaires russes pendant la guerre russo-japonaise puis, à 19 ans, dans les hôpitaux de la Mer Noire, à titre bénévole.

Départ forcé

En 1917, Leila épouse un de ses grands blessés, le capitaine Bajenoff, officier de la Garde impériale. La Révolution d’octobre éclate, une fusillade se fait entendre pendant la cérémonie de son mariage. Peu après, ses parents se réfugient en France tandis qu’elle s’échappe avec son mari par le Transsibérien et gagne Shanghai. Au cours du voyage elle met au monde un garçon, Nicolas. En Chine, le capitaine Bajenoff meurt rapidement des suites de blessures dont il s’était incomplètement remis. Cinq ans plus tard, elle rejoint sa famille à Paris et trouve un emploi chez Chanel.

Là ou le combat fait rage…

Le 23 août 1934, elle épouse le comte Ladislas du Luart qui encourage ses actions d’entraide. Pendant la guerre d’Espagne elle crée, non sans difficultés, une formation chirurgicale mobile. Elle comporte des tentes-hôpitaux et un centre opératoire monté sur camion et rapidement opérationnel. Afin de conserver son indépendance, elle ne porte que des vêtements civils et refuse tout grade militaire. En 1940, lors de l’invasion allemande, elle se replie en zone libre. L’année suivante, elle part pour l’Algérie où elle intervient avec sa formation sur les chantiers de la voie ferrée Méditerranée-Niger, où une épidémie de choléra s’est déclarée.

Marraine du Royal étranger

Après le débarquement anglo-américain de novembre 1942 en Afrique du Nord, les forces alliées entendent chasser les Allemands de Tunisie. La comtesse du Luart est en première ligne, auprès du 3e Régiment étranger d’infanterie de marche. Été 1943, la campagne de Tunisie terminée, les unités de Légion venues du Maroc regagnent leurs garnisons. L’antenne chirurgicale arrive à Rabat où le 1er Régiment étranger de cavalerie (REC) est en cours de réorganisation. Le colonel Miquel, chef de corps du Royal étranger (1er REC), l’invite à une prise d’armes organisée en son honneur. Au cours de cette cérémonie, il lui demande si elle consentirait à devenir la marraine du régiment : elle accepte sans hésiter. Pour Noël, elle fait venir des États-Unis des cadeaux destinés à tous les légionnaires du 1er REC. Mais elle ne peut procéder elle-même à la distribution, le général Juin lui ayant demandé de le suivre en Italie, où le Corps expéditionnaire français est engagé. Au cours de cette campagne, son antenne chirurgicale est très sollicitée. Madame du Luart est partout, secourant les blessés en péril.

Toujours présente pour ses légionnaires

Quelques semaines après la prise de Rome de juin 1944, le Corps expéditionnaire français est réorganisé pour intégrer le corps de débarquement en formation. La comtesse profite de ce répit pour visiter le 1er REC stationné à la frontière algéro-marocaine. A la fin de l’année 1944, l’antenne chirurgicale est engagée derrière les unités au combat. Son antenne participe ensuite à la campagne d’Allemagne et suit la 1re Armée du général de Lattre en Autriche jusqu’au 8 mai 1945. La guerre terminée, le 1er REC regagne sa garnison d’Oujda au Maroc, mais sa marraine ne peut le suivre. Ce n’est que lorsque le régiment passe à Marseille, prêt à embarquer pour l’Indochine pour Noël 1946, qu’elle le retrouve sans pouvoir le suivre en Extrême-Orient. Pendant la guerre d’Algérie, elle crée à Alger un centre de repos et de détente pour les légionnaires du 1er REC. Fonctionnant de 1956 à 1960, il peut accueillir jusqu’à 400 permissionnaires. Avec la fin de la guerre, madame du Luart doit quitter l’Algérie ; le centre est fermé. A partir de l’installation du 1er REC à Orange, en 1967, la marraine des légionnaires cavaliers honorera le régiment de sa présence à l’occasion de toutes les grandes fêtes.

Le 21 janvier 1985, la comtesse du Luart s’éteint à l’âge de 87 ans. Ses obsèques solennelles se déroulent en l’église Saint-Louis des Invalides, l’église des soldats. Elle est portée par six légionnaires du 1er REC au milieu de centaines de ses filleuls qui la pleurent comme une mère. Elle repose au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, à Paris.

Brigadier-chef d’honneur du 1er REC la comtesse du Luart était commandeur de la Légion d’honneur et Grand officier de l’Ordre national du Mérite.

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L’ambassadeur Pechkov

Né le 16 octobre 1894 sous le nom de Yeshua Zolomon Movshevich Sverdlov, il est le frère aîné de Yakov Sverdlov, un des futurs chefs de file du mouvement bolchevique, puis haut responsable de l’Union Soviétique. En 1896, madame Gorki rencontre la famille Sverdlov dont elle devient rapidement une amie proche. Afin de contourner la loi tsariste interdisant aux juifs d’habiter les grandes agglomérations de Russie, Yeshua Zolomon Movshevich Sverdlov se fait baptiser selon le rite orthodoxe et change de nom. Maxime Gorki, de son vrai nom Pechkov, accepte d’être son parrain et Yeshua Zolomon Movshevich Sverdlov devient alors pour l’état-civil, Zinovi Pechkov.

Le « manchot magnifique » !

Zinovi passe une jeunesse tumultueuse dans une Russie déchirée et aux quatre coins de l’Europe. En 1904, il émigre au Canada mais au bout de deux ans il rejoint Gorki à Capri. Arrivé en France, il est parmi les premiers volontaires étrangers à s’engager dans les rangs de la Légion étrangère pour la durée de la guerre. Le 21 octobre 1914, il est nommé légionnaire de 1re classe au 2e Régiment de marche du 1er Étranger qui monte au front. En avril 1915, il est promu caporal. Le 9 mai, il participe à la tête de son escouade à l’attaque des Ouvrages blancs sur le front d’Artois. Blessé au cours de l’action, il perd un bras et reçoit la Médaille militaire. D’autres se seraient contentés de cette première expérience, mais Zinovi Pechkov s’engage à nouveau comme 2e classe en juin 1916. Comme son handicap physique l’empêche de participer directement aux combats il a un poste d’interprète. A ce titre il est promu officier et part en mission aux Etats-Unis et en Russie. Chevalier de la Légion d’honneur en 1917, Pechkov effectue plusieurs missions diplomatiques en Union soviétique et en Roumanie. En 1920, il est officier de liaison à Erevan auprès du haut-commissaire de France dans le Caucase.

La Légion au Maroc

La guerre terminée, l’inaction lui pèse autant que la nostalgie de la Légion étrangère. Capitaine depuis deux ans, il retrouve la Légion en 1922 pour un long séjour dans les rangs du 4e puis du 1er Régiment étranger. Ayant participé aux opérations contre les dissidents marocains sur la Haute Moulaya et à Anoufi, il reçoit en 1923 une première citation au titre des théâtres d’opérations extérieurs. Affecté ensuite à la 22e compagnie du 1er Étranger il participe à la guerre du Rif contre Abdel Krim. De nouveau blessé au Maroc en 1925, à Bab Taza, il trompe son ennui en rédigeant ses souvenirs pendant sa convalescence. Ces derniers seront publiés sous le titre « La légion au Maroc ». De nouvelles missions l’appellent à l’étranger avant qu’en septembre 1930, il ne rejoigne le Levant comme chef de bataillon au II/1er Étranger. A l’occasion d’un nouveau séjour au Maroc, il commande le 4e bataillon du 2e Étranger pour quelques mois jusqu’à un nouveau départ en Syrie pour une autre mission. En 1937, il revient au Maroc prendre le commandement du 3e bataillon du 2e Étranger. Mais le temps le rattrape et au mois d’août 1940, il quitte définitivement la Légion atteint par la limite d’âge. Il aurait pu cette fois-ci jouir d’un repos bien mérité…

Convaincre Tchang Kai-Chek

Mais l’armistice en France vient d’être signé et, sans hésiter, il rejoint l’Angleterre et les Forces française libres du général de Gaulle. Ayant eu tout au long de sa carrière militaire maintes occasions d’exercer ses talents de diplomate, c’est tout naturellement que le chef des FFL fait de Pechkov son ambassadeur en Chine auprès de Tchang Kai-Chek. Il y accueille les rescapés du 5e Régiment étranger arrivant du Tonkin en avril 1945. Après la victoire, Pechkov reste en Extrême-Orient en qualité de chef de la mission française à Tokyo où il devient un grand ami du général américain Mac Arthur. Son activité remarquable au Japon lui vaut de recevoir les insignes de Grand croix de la Légion d’honneur le 30 juin 1947. A son retour en France Pechkov, alors âgé de 80 ans, reçoit du général de Gaulle une mission particulièrement délicate : celle de se rendre auprès de Tchang Kai-Chek et de lui expliquer les raisons pour lesquelles la France vient de reconnaître le régime communiste de la Chine de Mao Tsé Toung. Il s’acquitte de cette dernière mission avec brio et à son retour prend sa retraite. Vivant seul dans son petit appartement parisien, le général Pechkov vivra des heures de profonde solitude.

Un dimanche de novembre 1966, il se sent mal. Refusant l’ambulance qui vient le chercher, il se rend en taxi à l’hôpital américain de Neuilly. Sa joie est grande quand il apprend que la femme russe à l’accueil est comme lui originaire de Nijni Novgorod. Sentant qu’il va mourir, il demande que l’on fasse venir son ami le prêtre orthodoxe prince Nicolas Obolenski qui lui fermera les yeux lorsque le lendemain, lundi 27 novembre 1966 à 21h00 il rendra le dernier soupir. Ses obsèques sont célébrées le 30 novembre en l’église orthodoxe de la rue Daru à Paris. Son cercueil est porté par huit légionnaires en tenue de parade. Sur sa tombe au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois figure une seule inscription : « Zinovi Pechkov - Légionnaire ».

Aujourd’hui encore ces trois personnalités hors du commun, par leurs actions et leur attachement à la France symbolisent bien l’amour et la fraternité qui unissent deux peuples que tout pourrait opposer, mais que les forces du c?ur et de l’amitié rapprocheront toujours.

20150930 - La Légion Etrangère en Extrême-Orient (1883-1897)

 

De nos jours, huit emblèmes de formations étrangères au service de la France arborent la mention "Extrême-Orient" ou "Indochine". En particulier, celui du 5e REI, le "vieux régiment du Tonkin", porte sur sa soie les inscriptions "Camerone 1863", "Sontay 1883", "Bac Ninh 1884", "Tuyen Quang 1885", "Lang Son 1885", "Indochine 1945-1946 et 1950-1954". Ces noms de batailles ou de campagnes attestent le rôle primordial tenu par la Légion Etrangère dans les combats livrés par l'Armée Française sur la terre d'Asie.

Sans s’appesantir sur la description des affrontements, les pages qui suivent se proposent de décrire l'existence des soldats étrangers dans la péninsule.

La Conquête

Le 19 mai 1883, la mort du capitaine de frégate Henri Rivière au combat du pont de Papier près de Hanoï place les troupes françaises du Tonkin dans une position délicate. Dans un élan patriotique, la Chambre des Députés vote un crédit de 5.500.000 francs et ordonne l'envoi de 3.000 hommes "afin de venger ses glorieux enfants".

Parmi les unités ainsi dépêchées au Tonkin figurent quatre bataillons de Légion qui vont s'illustrer lors de la conquête de ce territoire. Quittent tout d'abord l'Algérie :
- le 1er Bataillon de Légion Etrangère (1er BLE) du chef de bataillon Donnier embarqué le 27 septembre 1883 sur le "Tonkin" et débarqué en Baie d'Along le 8 novembre suivant. Il constitue avec deux bataillons des 1er et 3ème Tirailleurs Algériens un régiment de marche.
- le 2e BLE du chef de bataillon Hutin embarqué les 27 et 30 novembre 1883 à bord de l'"Européen" et du "Châlons". Le premier navire touche les rivages tonkinois le 8 février et le second le 25 du même mois.

Désormais, avec deux interruptions de 1914 à 1920 et de 1941 à 1946, la noria des renforts légionnaires va fonctionner entre l'Algérie et le Tonkin jusqu'en 1955. Les 1.400 soldats étrangers composant les deux premières unités envoyées en Asie sont contents d'aller se battre dans un pays qui va les changer des arides djebels du Sud Oranais et correspond à leur avide désir d'aventures guerrières. Ils sont armés du fusil modèle 1874 et dotés de la tenue de campagne avec un képi à couvre-nuque et un casque insolaire. Ils portent au cou les fameuses cartouchières Négrier avec 14 paquets de munitions. Leurs chevaux de dotation sont embarqués avec eux. La traversée est longue et monotone car les militaires du rang ne sont pas autorisés à descendre aux escales et sont soumis à un service à bord rigoureux, à base de rassemblements, inspections, théories, maniements d'armes et même classes à pied sur le pont du bateau. Inaugurant une tradition qui va se perpétuer, à Port Saïd cinq Russes surnommés "les mangeurs de chandelles" désertent.

A l'escale de Singapour, les hommes accoutumés à l'Afrique comprennent qu'ils entrent dans un autre monde en voyant des nuées d'Asiatiques ravitaillant le paquebot en charbon. Haïphong les déçoit car cette petite bande de terre concédée à la France en 1874 ne comporte que quelques bâtiments.

Les soldats du 1er BLE remarquent surtout "le cimetière édifié sur une digue très basse et proche de la rizière, emplacement qui occasionne la remontée des cercueils lors de la hausse de la nappe phréatique".

Le voyage d'Haïphong à Hanoï s'effectue par la Canal des Bambous à bord de canonnières ou de chalands traînés en remorque par une chaloupe remplie de Tonkinois. Les légionnaires sont très étonnés par les dents laquées et les chignons de ces autochtones et aussi par le fait que leur sexe n'est pas apparent à première vue. Ils engagent des paris à ce sujet et, afin d'empocher éventuellement la mise, vont constater "manuellement" la féminité ou la masculinité de l'objet de l'enjeu. Habitués à la sécheresse algérienne, les nouveaux débarqués contemplent avec stupéfaction les rizières, les cocotiers, les villages abrités derrière les haies de bambou. "Le paysage est peuplé de myriades d'êtres humains tous semblables, actifs, silencieux, voûtés sur la terre, en essaim d'insectes".

Hanoï leur semble une jolie ville, surtout la cité chinoise. Cantonnés à la citadelle et percevant une prime quotidienne de 20 centimes, ils sont nourris "d'une manière aussi variée que copieuse". Seuls, les chevaux arabes refusent de manger du paddy. Les premières sorties en ville se traduisent par un très vif engouement pour la cuisine locale et aussi par une abondante consommation d'alcool de riz qui ne vaut que 33 centimes le litre. Aussi quelques soldats étrangers doivent être ramenés ligotés à la citadelle par des patrouilles de marsouins.

A cette lointaine époque, les Alsaciens-Lorrains composent 45% des effectifs des corps étrangers. Les originaires des provinces perdues, très patriotes, sont fiers de porter les armes pour la France "même si le Tonkin est très loin de la ligne bleue des Vosges". Toutefois, leur ardeur à servir est tempérée par la rudesse, voire la brutalité, de leurs gradés. Ainsi l'un d'eux s'entend répondre par un sergent : "Si tu n'es pas content de trouver des asticots dans ta gamelle, tu n'as qu'à t'engager à la légion hollandaise ou chez Ménélik (1)". En outre, les Alsaciens-Lorrains acceptent mal d'être placés sous les ordres d'Allemands, à qui ils cherchent querelle lorsque ceux-ci entonnent des chansons d'outre-Rhin. L'encadrement des quatre premiers BLE envoyés en Asie est surtout formé d'officiers, de sous-officiers et de caporaux provenant des régiments de tirailleurs ou des bataillons d'Afrique ainsi que des garnisons métropolitaines et n'ayant donc aucune connaissance du milieu légionnaire.

En décembre 1883, l'état-major du Corps Expéditionnaire "dérangé" par les "débordements" des légionnaires à Hanoï les envoie au combat munis de quatre jours de biscuits, de 144 cartouches et d'un casque en liège insolaire recouvert d'une étoffe brune. Ils prennent la route de Sontay, ville tenue par 25.000 réguliers chinois ou Pavillons Noirs. Le 15 décembre 1883, l'assaut est donné et le légionnaire Minnaërt (2) plante le drapeau français sur la muraille de la citadelle, où il entre en même temps que le commandant des fusiliers-marins. La Légion déplore dix tués dont le capitaine adjudant-major Melh, premier officier de la Légion tombé en Indochine. Les soldats étrangers récupèrent trois étendards noirs flottant sur la citadelle, ce qui fait dire à l'un d'eux : "Ils ont étendu leur lessive". En outre, ils s'emparent de nombreux trophées ; le soir de leur entrée dans la ville, ils dansent déguisés en mandarins. Ils ont été surpris par le courage de leurs adversaires, mais horrifiés par les mutilations que ces derniers ont fait subir à leurs camarades blessés. Dès lors, ils se livrent à des représailles sur les captifs. La présence des 800 auxiliaires tonkinois du chef de batailon Berteaux-Levilain entraîne tout d'abord les sarcasmes des rudes légionnaires étonnés par leur aspect exotique et assez peu guerrier. Ce sentiment évolue rapidement étant donné l'ardeur au combat manifestée par les Asiatiques.

Le 2e BLE arrive en février 1884 en compagnie du général de Négrier. Ce dernier, qui a commandé la Légion en Algérie, jouit dans le corps d'un très grand prestige. Un légionnaire écrit à ce sujet : "Nous étions sa Légion, il comptait sur nous, nous allions lui prouver que nous étions dignes de sa confiance et de son estime". En 1884, de Négrier déclare aux Etrangers lors de l'embarquement du 3e BLE : "Vous autres légionnaires, vous êtes soldats pour mourir, je vous envoie où l'on meurt". Sous ses ordres, le corps va s'illustrer. Les 1er et 2e BLE devant prendre Bac Ninh, le général de Négrier dit alors au lieutenant-colonel Duchesne du 1er Etranger : "A la Légion, l'honneur d'entrer dans Bac Ninh". Les Etrangers prennent successivement Dap Cau puis le 12 mars 1884 la citadelle. Le légionnaire Minnaërt, encore lui, pénètre le premier dans la forteresse. Plus tard, la Légion avançant vers Phu Lang Thuong est arrêtée, car elle ne dispose pas de sampans pour franchir le Fleuve Rouge. Le tirailleur tonkinois Quan Nhan plonge et va récupérer avec ses camarades trois embarcations sur la rive opposée distante de 100 mètres. Au cours de ces opérations, chaque unité étrangère est accompagnée de 200 coolies dont 8 brancardiers.

Le 1er juin 1884, deux compagnies du 1er BLE vont occuper Tuyen Quang sur la Rivière Claire. L'avance de cette colonne est ponctuée de nombreux cas d'insolation car "tout homme qui ôte son casque deux minutes tombe foudroyé". Les fièvres du pays sont terribles et souvent mortelles. En outre, les corps vêtus d'effets de drap sont couverts de bourbouille et de dartres annamites bien que chaque homme ait perçu un éventail en papier. La petite garnison sous les ordres du chef de bataillon Dominé du 2e Bataillon d'Afrique comprend les 5e et 2e compagnies du 1er BLE (capitaines de Borelli et Moulinay), ces deux formations étant placées sous l'autorité du capitaine Cattelin, et la 8e compagnie du 1er Régiment de Tirailleurs Tonkinois commandée par le capitaine Dia. La canonnière "La Mitrailleuse", la 1re section et la 2e Batterie bis d'Artillerie de Marine, 8 sapeurs du 4e Génie, 11 infirmiers et ouvriers de la 15e section soutiennent les légionnaires et les tirailleurs tonkinois. Ces derniers sont rejoints par leurs épouses et leurs enfants venus sans autorisation le 23 décembre alors que la position est sur le point d'être encerclée.

Du 23 janvier au 3 mars, la garnison défend la citadelle contre les assauts de 20.000 réguliers chinois et Pavillons Noirs. A diverses reprises, les hommes du capitaine Cattelin sont impressionnés par le courage de leurs frères d'armes asiatiques.. Ainsi des tirailleurs se joignent aux 25 légionnaires tireurs d'élite qui abattent les Chinois comme "au tir à la foire", les coups réussis étant signalés, du moins au début du siège, par une allègre sonnerie de clairon : "le Rigodon". Le capitaine Dia est d'ailleurs tué d'une balle au front au cours d'une opération de ce type. De même, les combattants du 1er BLE commentent favorablement la conduite de Pierre, l'interprète chinois du commandant Dominé, atteint mortellement par un obus en circulant dans la citadelle. Également, à plusieurs reprises, un caporal tonkinois se dévoue pour porter des messages en se laissant descendre au fil du courant de la Rivière Claire. Revenu à son unité, il repart le 21 février avec une lettre demandant des renforts, car "bientôt les forces et la santé de mes hommes pourraient trouver leur terme" écrit le chef de la place.

Le 16 février, la colonne de secours du colonel Giovanninelli s'est déjà mise en route. Elle comprend entre autres unités une compagnie et demie du 1er BLE qui l'a rejointe à Phu Doan. Après un très dur combat le 2 mars 1885 à Hoa Moc, qui coûte aux Français 27 officiers et 600 hommes tués ou blessés, la citadelle de Tuyen Quang est libérée le lendemain. Pratiquement, "à un moment ou à un autre, tous ses défenseurs ont été touchés, éraflés, brûlés ou commotionnés. Sur 390 légionnaires, 32 sont morts et 126 blessés ; seuls 180 sont encore en état de combattre". Ce fait d'armes est resté l'un des plus éclatants de la Légion. Le capitaine de Borelli écrit peu après un émouvant poème : "A mes légionnaires qui sont morts".

Alors que Tuyen Quang est encerclé, les autres formations étrangères ne sont pas restées inactives. Le 3e BLE du chef de bataillon Schaeffer est arrivé au Tonkin en janvier 1885. Il forme avec le 2e BLE du commandant Diguet et le 2e Bataillon d'Afrique, le 4e Régiment de Marche de la 2e Brigade sous les ordres du général de Négrier. Cette dernière doit agir contre l'armée chinoise du Kouang Si occupant la région de Lang Son. La ville est atteinte le 13 février, le 2ème BLE en tête de la colonne va cantonner dans la citadelle. Les deux bataillons étrangers marchent ensuite sur Dong Dang "porte de la Chine". Celle-ci est atteinte par la 4e Compagnie du 2e BLE qui dynamite le monument le 7 mars (3). Le 3e BLE quant à lui prend part le 23 mars à l'attaque des cinq forts de Bang Bô en territoire chinois. Un légionnaire qui signe Bon Mat écrit alors que "les soldats étrangers trouvent normal d'envahir la Chine avec 3.000 hommes car de Négrier les accompagne". Toutefois, les Français se heurtent à de tels obstacles qu'ils sont contraints de revenir à Lang Son sous la protection des légionnaires qui à plusieurs reprises doivent contre-attaquer à la baïonnette pour sauver la situation.

Le 28 mars, les deux BLE défendent Ky Lua contre des "nuées de Chinois", puis retraitent en bon ordre. Cependant, en traversant Lang Son, quelques étrangers ne peuvent résister à la tentation de se désaltérer avec des barils de vin et de tafia abandonnés par le Commissariat de la Marine. Le lieutenant-colonel Herbinger, qui a succédé à la tête de la 2e Brigade à de Négrier, rétorque que "15 à 20 de ses hommes se sont certes saoulés, mais qu'en tout état de cause, les responsables auraient dû briser ces tonneaux". Quoi qu'il en soit, les 1er et 2e BLE assurent l'arrière-garde de la colonne jusqu'à Chu, atteint le 1er avril.

Le 21 janvier 1885, le 4e BLE transporté sur le "Canton" débarque à Kelung (Formose). Au cours de la traversée, quelques légionnaires sont atteints du choléra. Sous les ordres de l'amiral Courbet, le bataillon refoule les Chinois au delà de la rivière Tam Sui et prend le camp de Louan-Louan. Les opérations ayant pris fin le 17 mars, il rentre au Tonkin, d'abord à Phu Nho Quang, puis à Dap Cau.

Au cours de l'année 1886, les quatre corps Etrangers vont mener une existence moins mouvementée que par le passé. Le 1er BLE renforcé par une section du Génie et 500 coolies est utilisé à des travaux de route. Le 2e BLE traque les pirates dans le secteur de Phu Long Thuong et de Thaï Nguyen. Sa 3e Compagnie se transforme en unité montée sur des chevaux locaux qui "étant donné la carrure des légionnaires paraissent de la taille d'une chèvre". Le 28 mars 1886, le 3e BLE réussit, guidé par des autochtones, l'ascension du Mont Bavi. Le 4e BLE enfin entre dans la composition d'une colonne se dirigeant vers Lao Kay, sa 2e Compagnie étant désignée pour tenir le poste.

Après trois ans de séjour dans la péninsule, les légionnaires ont pris l'exacte mesure du pays. Ils se familiarisent avec la nature tonkinoise qui exerce même une certaine fascination sur eux. Ainsi, en 1884, un caporal en route pour Tuyen Qang est sensible "au point de vue touristique de la Rivière Claire et à la douce lumière se reflétant sur l'éventail des palmiers".
Mais, sans cesse en opérations, les soldats étrangers ont peu de contacts avec la population, hormis avec les coolies qui les accompagnent en colonne ou travaillent avec eux sur les chantiers. Hommes durs, voire brutaux, ils sont habitués à rudoyer les algériens et font de même avec les asiatiques. Les moeurs étranges et la politesse cérémonieuse des Annamites les déroutent : cependant, ils apprécient leur habileté dans les travaux manuels et leur ardeur à l'ouvrage. Peu à peu, des relations se créent. En 1883, après la prise de Sontay les hommes du 1er BLE évacuent les habitants "sans bruit ni tapage". En 1885, les difficultés de ravitaillement qu'ils éprouvent à Lang Son sont résolues en partie par un réseau de "petites amies autochtones" qui vont chercher des vivres dans le delta. Le 3e BLE en 1886 se fait précéder de 100 Muongs "dans un pays qui reste à explorer". Le 16 juillet 1886, il délivre près de Hoa Binh un village dont les paysans sont fréquemment pillés par les pirates.

Le 1er janvier 1887, 7.910 légionnaires ont déjà combattu au Tonkin depuis 1883, et se sont accoutumés à coopérer avec les tirailleurs tonkinois. Petit à petit, les Étrangers ont constaté que les "demoiselles", ainsi qu'ils surnomment les Asiatiques, sont en réalité de précieux auxiliaires connaissant bien la brousse et "pouvant subsister plusieurs jours avec une boule de riz". Désormais, appréciant leur habileté à se déplacer sans bruit, ils les baptisent "les mille-pattes".

En 1887, un document affirme ; "Au Tonkin, à Formose, comme partout, les légionnaires ont été dignes de leurs devanciers. Ils ont bien mérité de la France".

En 1887, un diplomate britannique écrit : "Maintenant que les Français ont le Tonkin, il leur reste à le conquérir". Dans ce but, la Légion Étrangère, formation métropolitaine de l'Armée d'Afrique, va détacher en permanence des unités dans la péninsule. En effet, la loi du 30 juillet 1893 qui organise l'Armée Coloniale prévoit dans son article premier "l'emploi de la Légion en son sein mais seulement en cas d'expédition et en particulier s'il y a insuffisance numérique d'engagés volontaires et de rengagés français dans les corps destinés aux colonies".
Dès lors, les bataillons étrangers vont participer à la poursuite incessante de "bandes disparaissant rapidement sous la menace et réapparaissant dans une autre région avec la complicité des populations qu'elles rançonnent". Les légionnaires sillonnent le pays en créant des postes. En 1897, le 1er BLE occupe la région de Cao Bang, le 2e celle de That Khe, le 3ème cantonne à Tuyen Quang et le 4ème stationne à Lao Kay et Yen Bay. La création le 6 août 1891 de quatre Territoires Militaires articule ceux-ci en dix cercles et soixante-sept implantations militaires.

L'existence des légionnaires se partage entre l'accomplissement de colonnes "en coup de lance" et la construction de postes. Lourdement chargés, vêtus trop chaudement pour le climat du pays bien que la vareuse en molleton soit remplacée par un "cai ao" local plus léger, les Étrangers s'enfoncent dans la brousse. Alors, "la colonne devient un reptile se glissant au milieu des bosquets de bambous, les soldats conquis par le mystérieux charme de la nature ressentent un frisson d'angoisse". En opérations, l'organisation des forces respecte un panachage rigoureux entre européens et tonkinois.

La mission de ces derniers consiste en la surveillance des coolies qui s'enfuient en jetant leur charge au premier coup de feu. Les légionnaires préfèrent marcher avec des tirailleurs originaires de la Haute Région qu'ils estiment plus fiables que ceux du delta. Les Étrangers placés en général à l'arrière du convoi sont souvent accompagnés par les femmes des militaires autochtones qui par jeu ont ralenti leur allure pour les rejoindre. Ils ne réussissent pas toujours à les chasser de leurs rangs, leurs injonctions ne recueillant "qu'un sourire dévoilant leurs belles dents laquées de noir et une bordée de paroles qui doivent être drôles car toutes les femmes éclatent de rire en dévisageant avec effronterie les légionnaires".

Ces colonnes sont peu efficaces. Lorsque le combat s'engage, sur cinquante Étrangers, seuls dix sont en état de se battre. Beaucoup, harassés, restent en route et sont désarmés sur le champ afin que leur équipement ne tombe pas aux mains de l'adversaire. L'un d'eux, encouragé à continuer la marche, répond à son capitaine : "Je n'en ai rien à foutre, qu'ils me coupent la tête une bonne fois pour toutes". Pour inciter leurs compagnons éreintés et gisant sur la piste à rejoindre leur poste, les légionnaires font brûler des allumettes sous la plante de leurs pieds. A ces convois ralentis par les coolies, les Etrangers préfèrent les petits détachements dont les hommes ne portent qu'une toile de tente roulée, leurs armes et 144 cartouches. Ainsi, ils arrivent parfois à surprendre les pirates. Mais en dépit des résultats relativement infructueux des grandes opérations, les soldats des quatre BLE sont toujours volontaires pour y participer. En 1895, le chef de bataillon Famin déclare que lors de la prochaine opération de Ba Chau "il n'y aura ni pain, ni vin, mais des coups de fusils à recevoir". Sur le champ, de nombreux Étrangers sont candidats pour partir avec lui. Le colonel Galliéni lors de la colonne de Lung Lat constitue un groupe spécial de cinquante volontaires de la Légion, "la colonne infernale", sous les ordres du capitaine Verreaux du 1er RE. Les légionnaires se plaignent surtout des fatigues inutiles occasionnées par les opérations à gros effectifs. De 1887 à 1909, 271 d'entre eux sont tombés au combat alors que 2.707 sont morts de maladie. En 1889, comme chaque année, les tombes du cimetière de Sontay sont relevées et les corps exhumés jetés à la fosse commune. Le commandement ne désire pas en effet agrandir le champ funéraire pour ne pas porter atteinte au moral des militaires.

En 1882, un bataillon de marche du 1er RE est formé sous les ordres du chef de bataillon Tournier. Fort de 20 officiers et de 695 légionnaires, il occupe le Haut Mékong. Il stationne en particulier à A Ki Khoai où il est doté d'un canon-revolver et d'une pièce de 80, ainsi qu'à Khong. En 1893, le lieutenant Oûm du 2e RE est affecté à la Mission Pavie. Lorsque les Étrangers ne participent pas aux colonnes avec des effectifs allant de 75 à 800 hommes, ils construisent des postes. Outre de très rudes travaux (à Tien-Phong le sommet d'un piton doit être abaissé de sept mètres pour construire les bâtiments) ils souffrent sur la frontière de Chine d'un ravitaillement insuffisant. Ce dernier est constitué en guise de "vivres frais", de macaroni et de riz, l'alimentation étant cependant améliorée par les jardins potagers et les élevages de porcs des postes. Les conditions sanitaires sont médiocres ; ainsi à Cang Poun, le lieutenant de Menditte du 1er BE note laconiquement en 1896 "19 septembre : mort d'un légionnaire de dysenterie ; 20 septembre : un tirailleur meurt de dysenterie et un légionnaire de bilieuse hématurique ; 23 septembre : un légionnaire décède de la même maladie que son camarade ; 24 septembre : mort d'un légionnaire victime d'un abcès pernicieux". Il est vrai que dans ce lieu proche de la Chine, la température enregistrée le 10 août est de 28° et de -4° le 21 décembre suivant.

Une fois le poste construit y compris le four à pain et les locaux disciplinaires (ceux de Chang Poun abritent "un hercule de foire belge, une bête fauve"), l'Infanterie de Marine vient relever la Légion qui part édifier une autre position. Aussi, un légionnaire chevronné s'écrie : "J'ai déjà fait les charpentes de cinq postes et au moment où je posais les tuiles, nous recevions l'ordre de partir pour céder notre place aux marsouins. Je n'ai jamais habité que des paillotes avec les rats, les mille-pattes pour camarades de lit". Une certaine rivalité oppose la Légion et les Troupes de Marine. Celles-ci dirigent en effet vers les corps étrangers nombre d'hommes chassés pour ivrognerie ou mauvaise conduite dont elles entendent se débarrasser. Un officier du 1er RE, Omer, déclare : "La Légion n'est pas un tas de fumier destiné à recueillir les coloniaux éliminés de leur corps pour de nombreuses fautes". En outre, les cadres supérieurs du 4e BLE se plaignent de ne pas recevoir des commandements de leurs grades, aucun n'étant placé à la tête d'un territoire militaire. Seuls, le lieutenant-colonel Donnier remplace en 1886 le général Giovanninelli à la tête de la 3ème Brigade et en 1897 le chef de bataillon Betboy assume par intérim la responsabilité du 3e Territoire Militaire (4). Pourtant nombre d'officiers légionnaires, tels les chefs de bataillon Bergougnoux, Betboy et Nouvel, se montrent très efficaces dans la répression de la piraterie. Ils savent allier les qualités militaires des légionnaires et celles des tirailleurs tonkinois "qui le 2 janvier 1887, côte à côte, la charge étant sonnée, s'élancent à l'assaut de la position de Deo Go fortement tenue par l'importante bande de Bo Giap". Plus tard, le capitaine Breton fait opérer ses Étrangers avec une milice de 100 Muongs.

Éloignés des villes, les hommes des BLE ont peu de rapports avec la population. Toutefois, beaucoup dans les postes commencent à contracter des "mariages à la mode locale". Les unions éphémères sont plus ou moins tolérées par les officiers qui "se réservent les plus belles jeunes femmes".


(1) Ménélik, Négus d'Ethiopie.
(2) Le légionnaire Minnaërt était déjà célèbre pour ses exploits tapageurs au Village Nègre et à la cantine du 1er RE de Sidi Bel Abbès. Cet établissement était tenu par l'arrière-grand-mère de l'auteur, décorée comme vivandière du Régiment Étranger lors de la campagne du Mexique. La fille de cette dernière a plus tard épousé le sergent Charles Schaâl natif de Sélestat et ancien du siège de Tuyen Quang.
(3) Sur les décombres, le général de Négrier fait afficher la sentence : "Le respect des traités vaut mieux que des portes aux frontières".
(4) En 1927, le colonel Maire du 1er RE se plaint que "la promesse à peu près formelle qui lui avait été faite de placer un officier supérieur de la Légion à la tête du territoire de Lang Son n'ait pas été tenue". Il ajoute amèrement qu'il a appris plus tard "que les coloniaux ne pouvaient admettre qu'un officier métropolitain put administrer une parcelle quelconque de nos colonies".

 

Colonel Maurie RIVES

20150731 - Le dernier combat du général ROLLET

La Plume et le Képi

 

Le dernier combat du général ROLLET

 

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La maison du légionnaireLa maison du légionnaire

L’ancêtre de notre «Képi Blanc » du mois d’avril 1935, la revue « la Légion étrangère » présentait l’action sociale qui était à cette époque troublée par une crise internationale envahissante. L’article justifiait pleinement la nécessité d’une action sociale mais expliquait que seules les amicales pouvaient intervenir, la Légion d’active ayant bien d’autres préoccupations et missions. L’enjeu était vital, les écrits éloquents : « Au cours de l’année passée, nous avons pu placer, dans des emplois divers, quelques légionnaires, huit environ alors qu’une centaine par mois se retrouvent sur le port de Marseille). Ce maigre résultat ne prend pas moins une certaine importance à nos yeux, eu égard aux conditions économiques actuelles et à l’accroissement de chômage qui en découle.

Nous avons pu, également, habiller quelques-uns de ces hommes particulièrement miséreux et dont l’état des vêtements était un premier obstacle à l’obtention d’un emploi.

Quelques autres reçurent chez nous une petite « obole », modeste aide que leur dénuement complet nous imposait de leur consentir, afin qu’ils puissent franchir le cap d’une nuit et prendre un repas dont leur pauvre face amaigrie ne décelait que trop l’urgent besoin ».

Certes la misère est affreuse pour tous ceux qu’elle atteint, mais il semble qu’elle soit plus encore pour ces anciens légionnaires aux yeux desquels elle revêt l’aspect d’une injustice.

Ces hommes comprenaient difficilement qu’il n’y avait pas à leur libération, une aide officielle organisée, dans un pays à la grandeur duquel ils avaient conscience d’avoir largement contribué par au moins cinq ans d’une vie très dure  et pour grand nombre, au prix de leur sang versé.

Ils admettaient encore moins aisément de s’y voir – sous prétexte d’être de nationalité étrangère et par suite de chômage qui sévit ici comme partout ailleurs – refuser la carte de travailleur qui leur permettait une chance de trouver un emploi.

De plus, ils n' admettaient pas qu’ayant été jugés assez bons pour revêtir un uniforme militaire français ils ont montré un savoir faire ouvriers, en  construisant des pistes, des routes, des postes, des villes dont en même temps, ils assuraient la sécurité, on leur dénie, maintenant qu’ils ont quitté cet uniforme, le droit de vivre ici, comme s’ils étaient chez eux, et d’y gagner tout simplement le droit de vivre.

Ils doutaient de l’esprit d’équité d’un pays dont ils furent, cependant, chargé d’administrer les principes de civilisation et de justice.  

Voilà ce à quoi le général Rollet était confronté en 1935, au moment pour lui de prendre sa retraite, notre « père Légion » ne pouvait ne rien faire, jusqu’à sa mort le 16 avril 1941, ce fut son dernier combat.

L’histoire se renouvellerait-elle ?     

Le dernier combat du général ROLLET

Le dernier combat du général ROLLET

20150606 - De Tsinjoarivo à Ambohimilanja par la vallée de l'Andranomena - CNE Deleuze

20150605 - Six semaines dans le Sud-Ouest - G. de Thuy Cne de la Légion étrangère

20150401 - La Légion étrangère pendant la campagne de Madagascar 1895 - 1896

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