Turqueries d'Afrique

I

LES COMMANDEMENTS DU CAVALIER


Noire comme une nuit sans clair de lune, ou blonde
Ainsi que les fruits mûrs qui pendent aux palmiers,
Plus blanche que le givre, ou sur sa croupe ronde
Ayant le reflet bleu des gorges de ramiers,

Honore ta jument. Vierge ou déjà féconde,
Aime-la chaque soir, par tes soins coutumiers,
Que l'orge la plus lourde en sa mangeoire abonde,
Et des pensers du jour donne-lui les premiers.

Qu'aux robes des houris sa housse soit pareille ;
De l'étrier d'argent fais son pendant d'oreille,
Sème sur son harnais les filigranes d'or ;

Choisis pour ses amours un époux : digne d'elle
Surtout, ne vends jamais ta compagne fidèle
Car son dos est un trône, et son ventre un trésor.

II

NOCTURNE

Les nuits, au Sahara, de mille bruits sont pleines
Tantôt légers, furtifs, et tantôt surhumains,
Ils naissent au lever dès étoiles sereines,
Et meurent quand revient l'aube des lendemains.

Un étalon hennit aux cavales lointaines,
Les fauves amoureux rugissent leurs hymens ;
Des yeux phosphorescents traversent les chemins,
Et les gazelles vont, par troupes, aux fontaines.

Tout à coup, de l'Amour ou du Djebel-Nador,
Partent en éventail de grandes flèches d'or :
Silence à tous. Quelqu'un est là qui va paraître

C'est le Sultan Soleil Immobile, écrasé,
Le Sahara se fond dans le vide embrasé,
Et se tait jusqu'au soir en présence du maître.

III

FAÇONS ROYALES


Un jour, jaloux d'offrir la dime la plus belle,
Tous les êtres vivants rendaient hommage en chœur
Au Sultan Si-Sliman-ben-Daoud, qu'on appelle
Autre part Salomon, leur prince et leur vainqueur.

Quand fut venu son tour, un murmure moqueur
Salua la fourmi, qui tirait derrière elle
Un cuissot tout entier de jeune sauterelle
On peut donner beaucoup, lorsque c'est de bon cœur.

Et le fils de David, se levant dans sa gloire,
Descendit les degrés de son trône d'ivoire
Pour la reine Balkis il avait fait ainsi.

Puis, se courbant, jamais scène ne fut plus grande
Au creux de sa main gauche il recueillit l'offrande,
Et dans sa langue il dit à l'insecte Merci.

IV

HOSTIA

Les Hadjoutes pliaient. Une fille tenue
Pour chaste, et belle aussi, mais étrange souvent,
Regardait la bataille et vit l'heure venue
Elle arracha sa robe et partit en avant.

Un étalon courait sans maître. Toute nue
Elle bondit en selle et clama dans le vent,
L’œil plein, sous le koheul, d'une flamme inconnue
« Les Mâles! A moi tous, de par le Dieu vivant »

Le soir, on relevait, troué de vingt blessures,
Un lamentable corps, sous les éclaboussures
Sombres, il paraissait plus touchant et plus beau

Et les vieux cavaliers, des pleurs sous la paupière,
Veillaient silencieux autour de la guerrière
Qui de sa chair de vierge avait fait un drapeau.

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